La galère du premier rencard - Journal intime

La galère du premier rencard !

Le premier rencard ! Ce premier soir où l’on a enfin rendez-vous avec ce type qui nous fait vibrer par texto depuis des jours. Ce rendez-vous pour lequel on s’éclipse en douce du bureau une heure plus tôt pour être prête et nette, en vue du dernier verre. Un grand moment tant attendu et tout aussi inquiétant. Aussi excitant que stressant. En un mot pour moi : l’horreur !

Comme pour la demande en mariage, je considère que les meilleurs moments du premier rencard sont :

-       L’invitation. On se dit que ça y est, il est décidé, nous lui plaisons suffisamment pour qu’il ait envie de nous rencontrer.

Et :

-       Le retour chez soi. On est enfin sortie de cette galère, s’il ne nous plait pas, on est débarrassée et s’il nous plait on n'a plus à se demander si un bout de salade est coincée entre nos dents.

Le reste n’est qu’un enchainement de scènes tirées d’une pièce de théâtre sur le thème de l’illusion et de la manipulation. Chacun connait plus ou moins son texte, tout le monde a préparé ses répliques et bien souvent on s’aperçoit que nous avons à faire à de grands comédiens qui n’en sont pas à leur première représentation.

Vous l’aurez compris, j’ai horreur des premiers rendez-vous.

Je passe toute la veille à me demander ce que je vais me mettre, comment je vais me coiffer, me maquiller, me comporter. Est-ce que je lui parle tout de suite de mon penchant pour la sieste dominicale ou, est-ce que je lui parle plutôt de ma nouvelle passion pour la course à pied ? D’un côté je me dis que la sieste dominicale, elle au moins je la pratique déjà, du coup je peux parler de ces bienfaits en toute connaissance de cause. La course à pied un peu moins.

Mais ça encore c’est la veille, parce que trois jours avant il a fallu préparer la tenue. C’est donc après une dizaine de selfies envoyés aux copines que je finis par sélectionner les deux ayant rapportées le plus de votes. J’ai déjà imaginé la coiffure pour chacune d’elles, préparé les bijoux et les chaussures assorties. 

Le jour J arrive, c’est le moment du choix. Je me retrouve devant mes deux tenues. D’un côté j’ai la robe sexy qui, quoiqu’il se passe, m’assure de ne pas payer ma part au restaurant. Celle au décolleté pigeonnant, au dos nu et dont la longueur s’arrête à mi-cuisse ou sous-fesse selon notre degré de mauvaise foi. Cette même (très) petite (courte) robe que l’on accompagne d’un maquillage au regard charbonneux.

La combinaison torture pour l’homme. Un œil hypnotisé par le décolleté et un autre par les yeux, sans se faire griller à loucher. Je l’appelle la tenue « menu express », le dessert étant à emporter.

Sur l’autre côté de mon canapé se trouve la tenue numéro deux. Un jeans moulant avec une chemise fluide relativement classique mais qui permet de laisser quelques boutons négligemment ouverts. Assortie d’un maquillage effet naturel, fond de teint naturel, fard à paupière naturel, gloss au brillant naturel (seuls, le prix de ses produits et le temps passé à les appliquer ne sont pas naturels). Avec cette tenue on n’est pas certaine d’avoir le droit à notre café gourmand mais on a plus de chance d’avoir son attention.

De toute façon on le sait toute. Il n’existe que deux véritables fins de soirée. Celle du dessert à emporter avec pour les plus gourmandes un petit digeo cul sec et ,celle où on finit la tête dans le frigo à se bâfrer. Parce que oui, trois jours de soupe aux choux pour ressembler à une femme fatale plutôt qu’à une femme boudin, ça ne se rattrape pas avec une salade Caesar et deux verres de vin.

En vue de cette soirée et comme toutes les filles, je me prépare rapidement en 3 heures, tout en faisant attention d’être sexy mais pas vulgaire. Bien maquillée, mais naturelle. Moi-même mais en vachement mieux quand même.

Disons que je garde les bases… Le corps… Grosso modo la seule chose que je ne peux pas changer en trois heures…

Finalement j’opte pour la tenue numéro 3. Jupe et haut moulant à col roulé, regard légèrement souligné et des lèvres d’un rouge flamboyant. Une tenue tout en un.

Le rendez-vous est fixé dans un restau situé sur un terrain neutre mais pas trop loin de la chambre à coucher.

On arrive avec 20 minutes en avance sur le parking mais 10 minutes en retard devant le restaurant. Et après un bise maladroite on le sait, on le sens… l’entretien d’embauche commence.

Reste à savoir si c’est pour une vie ou pour une nuit.

Chacun de nous se vend (et se vante) du mieux qu’il peut.

On tente par tous les moyens de ne pas nous ruer sur la corbeille de pain et de couvrir les cris de famine de notre estomac.

Lui se concentre à rester concentré sur la partie haute de notre corps, à savoir le visage.

Et là les questions futiles et les réponses débiles s’enchainent, bref l’arnaque commence.

·         Alors dit moi, quels sont tes plus grandes qualités et tes plus grands défauts ?

Qui va oser répondre la vérité ?

Ha bah moi je suis bordélique, fainéante, possessive et capricieuse. Mes passions sont les chaussures et les bijoux. Et ma plus grande qualité, c’est que le dimanche matin je vais te foutre la paix parce que je ne me lèverais qu’à 12h pour grignoter et que j’irai me recoucher à 16h, pour me caller devant Netflix.

Lui ne va pas non plus nous dire qu’il est radin, infidèle et pervers et que ses trois grandes passions dans la vie sont le foot, la bière et sa mère.

Surtout pas. Le manuel du premier rendez-vous précise bien que nous sommes tous : honnêtes, généreux, ordonnés, patient, sportif… parfait. Le premier soir nous devenons tous des êtres parfaits, matures et prêt pour le grand saut.

D’où ma question : Qu’est-ce qu’on fout là ? Lui comme nous ? Si nous sommes si parfait et tellement prêt à vivre l’histoire d’amour de notre vie. Pourquoi sommes-nous seuls et en pleine prospection ? Nos ex sont-ils à ce point allergiques à la perfection ? Etaient-ils des phobiques de la vie heureuse ?

Un homme qui se dit prêt à se marier et à procréer, mais qui est célibataire depuis six mois. Qu’est ce qui s’est passé au juste ? Son ex de trois ans qui à bout de patience l’a quitté, à t’elle par cet acte appuyé sur la touche déclic de son cerveau ? Il s’est dit quoi lui une fois largué ? Tient elle me quitte, on a passé trois ans ensemble, j’évitais le sujet mariage et bébé avec elle mais je vais aller en parler avec la première inconnue qui acceptera de dîner avec moi.

Á bien y penser, on n’est pas crédible.

Chaque rencard (oui c’est comme la loterie on y croit pas mais on retente chaque fois) c’est la même chose. Le même interrogatoire, avec des questions détournées, à côté d’une table d’inconnus qui profitent de notre premier rendez-vous pour alimenter leur propre soirée. Parce que oui ! Les premiers rencards sont des examens oraux publiques !

Puisque nous parlions d’enfant. L’une des questions souvent posée :

·         Tu envisages d’avoir d’autres enfants ? (on l’aura compris, cette partie est écrite par une mère célibataire)

Traduction :

·         Tu comptes arrêter de te reproduire ou tu es le genre de femme à faire un môme avec tous mecs qui croisent ta route ?

Á ce moment-là, on a presque envie de s’excuser, d’avoir un jour, cru en nos histoires d’amour passées et de s’être rendue compte que l’on avait fait le mauvais choix avec nos ex. De leur dire à quel point nous sommes désolées d’avoir été jeune et naïve et d’avoir eu une vie avant cette soirée avec lui. Si nous avions su, nous l’aurions attendu…

Et pour les célibataires qui ne sont pas encore mères, on ne peut pas non plus lui dire qu’à 35 ans et quelques mois bien tassés, il nous reste peu de temps pour mettre la machine à bébé en route, parce que l’horloge biologique tourne et que nos 5 enfants ne vont pas se faire tous seuls.

Et que puisqu’on en parle justement, s’il n’a rien de prévu après le restau, on pourrait éventuellement mettre en route la chaine de production…

Bah non …. On ne peut pas.

On esquive la question sans trop se mouiller en disant que pour le moment on cherche surtout un homme qui nous donnera envie d’en avoir un, mais que le principal est pour nous, de rencontrer la bonne personne à aimer. Parce que oui, nous avons beaucoup d’amour à donner à un homme.

Il est évident que nous n’allons pas être honnêtes au premier rendez-vous. On se met en valeur et on tente de trouver les réponses attendues par notre rencard. On le veut ce poste, on veut réussir l’examen d’entrée ne serait ce que pour flatter notre égo. Et puis lui ou un autre, à un moment on devient moins regardante sur nos ambitions et nos prétentions sont revues à la baisse.

Rencard après rancard on a bien compris que le marché de la séduction en avait pris un sacré coup. Surtout avec le mouvement « Coming-Out » qui nous prive des plus belles pièces, la mode des hommes en slim et pull rose qui un jour vont finir par nous piquer nos fringues ou encore les barbus que l’on situent encore mal entre Sébastien Chabal et Al Quaïda.

D’ailleurs à toutes celles qui aiment les hommes en slim et pull rose, je les invite à remettre leur sexualité en question. Je pense qu’il y a pas mal de lesbiennes refoulées dans ces binômes et je les encourage vivement à trouver une vraie femme et non pas un substitut ridicule au travers d’un homme qui se cherche dans le rayon nouvelle collection de chez H&M.

On arrive en fin de droit du Célibat, dans quelques années on sera transférée dans la catégorie fin de série, friperie déclassée. On se voit déjà adopter des chats pour nous tenir compagnie et à vivre notre vie par procuration au travers de série télé.

Alors nous passons les soirées « premier rencard » à se raconter des bobards, surtout à lui, mais dans les règles de l’art, tout en observant les réactions et en réajustant nos propos.

On analyse aussi un peu, on le compare à la fois à nos ex mais aussi à l’homme idéal (mélange de Jason Statham et Robert Rodwey Jr. pour moi). On tente de ne pas faire de gaffe, pouvant dévoiler notre véritablement Nous tout de suite.

On passe les étapes de l’entretien du mieux que l’on peut en étant le plus crédible possible se rappelant que c’est le seul entretien d’embauche ou l’on doit à tout prix éviter de parler de ses expériences passées. Pas facile de se vendre sans référence.

On est gênée toute la soirée, on attend qu’il nous embrasse enfin, ou on stresse qu’il nous embrasse tout court, selon...

On se retient de dire des gros mots. Ce qui est compliqué, car aujourd’hui quand on reste deux heures sans sortir un gros mot, c’est qu’on dort. Enfin moi, vous je ne sais pas…

On ne couche officiellement pas le premier soir mais on s’est quand même épilée, on ne sait jamais. On se sait physiquement prête mais mentalement pas du tout. Alors on laisse le vin nous dicter notre avenir et surtout notre conduite.

On ne fait ressortir que le meilleur de nous, ce qui pour certain et certaine est assez peu de chose. Mais quoi qu’il en soit, ne dévoilons pas tout le mystère de nos défauts ce soir-là. Il aura tout le temps de le découvrir une fois dans nos filets.

Chacun d’entre nous, décrit (ou s’invente c’est presque pareil) ses plus grandes qualités, encore une fois il découvrira l’arnaque bien assez tôt, comme celle de notre décolleté push up ou de nos cils jettables.

Nous sommes, forcément une excellente cuisinière, on adore ça on pourrait passer nos dimanches à lui préparer des bons petits plats. Et par chance.. lui aussi dit donc ! Il adore faire la cuisine, et ça ne le dérange pas du tout de se coller aux fourneaux le soir en rentrant du boulot pour nous faire l’une de ses spécialités.

D’ailleurs avec son ex c’est lui qui faisait la cuisine parce qu'elle ne savait pas cuisiner. Oui les ex de ses messieurs sont toutes des faignasses, incapables et incultes… Ce qui ne nous rassure pas forcément quand on pense qu’il leur a fallu près de trois ans et une rupture pour s’en rendre compte.

Alors moi je me demande toujours lequel est le plus con des deux dans l’histoire. Elle ou lui ? Surtout que bien souvent c’est elle qui est partie…

C’est un aspect chiant de la soirée ça aussi. Nous nous efforçons ne pas parler de notre ex, et on l’écoute dénigrer la sienne. Je me fais toujours la réflexion : Si un jour c’est moi son ex, il y a de forte chance pour que je devienne cette faignasse, incapable et inculte…

Un verre de vin après l’autre, les questions se suivent et se font de plus en plus précises, sans pour autant gagner en intérêt :

·         Est-ce que nous sommes toujours en talons ou c’est juste en l’honneur de cette soirée ?  

Oui bien-sur les talons c’est toute notre vie, on court avec même. On fait l’amour avec, la vaisselle, la cuisine… tout !

Et eux ? Ils sont toujours en chemise propre et repassée ou c’est juste pour ce soir et après on aura le droit au jogging délavé et au t-shirt Star Wars ?

Bon d’accord ce serait moins glamour si on se posait les vraies questions du quotidien, comme :

·         Combien tu gagnes ? Plutôt que : Tu fais quoi dans la vie ?

·         Si une ex m’appelle, tu vas me faire une crise de démence ? Plutôt que : Tu es jalouse ?

·         Tu aimes la sodomie ? Plutôt que : Tu es plutôt ouverte d’esprit ?

Non vraiment pas glamour et pas du tout vendeur. Mais quand même, toute cette préparation pour ça … Il est où l’amour complice au premier regard ? Cet amour qui va nous faire rire aux éclats et nous faire danser au beau milieu de la rue ou encore nous aimer sans maquillage, sans brushing et sans talons ?

Peut-être devant nous finalement, à tenter de nous plaire par des faux semblants... Á attendre un signe naturel de notre part pour faire tomber les masques illusoires ?

Et si, au prochain rencard on se présentait tout simplement ? Plutôt que de porter tout notre aparat on ne portait que notre humour et notre maladresse naturelle.

Qui nous dit qu’il n’aime pas les marmottes et que notre côté tête en l’air ne va pas lui plaire ?

De toute façon le premier rencard on ne peut vraiment y échapper, alors autant se laisser une vraie chance de ne pas à avoir à les enchaîner...