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Hors Recueil

"Le théâtre au cœur du Melhoun marocain"

Le Théâtre au cœur de la poésie

 du Melhoun marocain

 

 

 

 

Salma FELLAHI

Université Mohammed V de Rabat-Maroc

 

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines

Formation doctorale « Art, Littérature et Société »

 

 

 

Résumé ....................................................................................

 

       Le Melhoun marocain  est une poésie populaire chantée née au XVème siècle dans la région de Tafilalet. Celle-ci comprend plusieurs signes linguistiques, culturels et sémantiques qui démontrent que le cheikh du Melhoun donne de l'importance non seulement aux mots et au rythme mais aussi à l'impact du message. La transmission du texte se fait alors dans un lieu théâtralisé où le récepteur devient souvent co-créateur.

     Par conséquent, quand le poète présente son texte, il le fait dans un cadre théâtral où les gestes comme les images poétiques sont vivement liés à l’histoire véhiculée. Et bien la qasida ne soit pas toujours jouée sur scène, mais lors des rassemblements, le public, le chanteur et les musiciens créent un spectacle, un espace de partage.

 

Abstract

 

      The Melhoun is a Moroccan popular song, originating during the fifteenth century in the Tafilalet region. The genre is a poem who includes several elements related to the theater. Indeed, the linguistic, cultural and semantic signs we find in some texts show that the sheikh gives importance not only to the words and the rhythm but also to the impact of the message. The transmission is done in a public who is able to understand what the performer say and who can be a co-creator sometimes.

 

       Therefore, when the poet enshrines the meaning of the poem with metaphors and symbols or uses the characteristics of the song as a representation, the receiver must be able to grasp the hidden meaning. Moreover, he should know how the story would end from the »initial situation«, and even if the Melhoun is not always performed on stage, the public, the singer and the musicians forms a play.

 

 

ﻤﻠﺨﺺ

 

المَلْحون غِناء شعبي مغربي ظَهر في منطقة تافيلالت في حوالي القرن الخامس عشر؛ وهو نَصّ شعري يتضمَّن عِدَّة عَناصر تتعَلَّق بالمَسرح. نعم، إِن اﻹِشارات اللُّغَوية والثَّقافية والسّيمَائية التي نجدها فِي بَعْض النُّصُوص كُلُّها تُؤَكِّد أن الشَّيخ ﻻ يَكْتفي بإدْخَال القَافية واﻹِيقاع واللَّحْن على كلماته، بل إنَّه يبحث دائما على تبليغ رسالة. وَيتِمُّ هذا غالبا في إطار عمومي يَسْتَلزم حضور مُتَلَقِّي يَقِظ يتَحَوَّل أحيانا إلى شريك في اﻹِبداع.

ومن ثم، فعندما يطلق الشَّاعر حوارات أَوْ «مُونُولُوغَات» مليئة بالتَّشبيهات والرموز أو يستعير خصوصيات القِصَّة التي تُعرض على الخشبة، فإنه يجب على المتلقي أن يَلْتقط مغزاها وأن يكون قادرا على إطلاق فرضيات نهايتها وذلك منذ بداية القصيدة. وبالرَّغم من أن نَصّ الملحون ﻻ يتِمّ تمثيله دائما على الخشبة، فإنَّه يُشَكِّل في حَدّ ذَاته مسرحية، وذلك بتواجد العموم والڭرّاح (المنشد) والموسيقيين.

 

 

        Introduction

       Au début du Moyen-âge (VIème siècle av. J.-C), la poésie arabe préislamique invite à un voyage imaginaire qui célèbre la beauté du monde, celle de la femme et de la passion qui lui est portée, l’extase suscitée par le vin ainsi que l’amour voué à Dieu et à sa Sainte religion. Cette poésie se développe tout d’abord en Asie d’où elle progresse, puis vers l’Afrique du nord où elle inspire des chants populaires régionaux et nationaux.

      Les plus anciens poèmes arabes qui nous ont été transmis sont relatifs aux mouâllaqat[1]. De ces textes, les Andalous puis les chantres maghrébins s’inspirent aussitôt que reçus. Parmi ces chants : le Melhoun marocain, poésie populaire officiellement née à la fin du XVème siècle.   

      Suivant l’exemple de la poésie arabe classique et andalouse, le Melhoun expose la beauté de la nature et de la femme, la puissance divine et la complexité du sentiment amoureux dans toute sa diversité. Conséquemment, que le poète soit lettré ou jugé « illettré », la même fibre poétique anime son être.

     De ce fait, si Antara Ibnou Chadad, Zuhayr Ibn Abi Salama, Amr Ibn Abi Kalthoum ou encore Imru' Al Qays sont la fierté de la littérature arabe antéislamique, Jilali Mtired, Keddour El Alami, Thami Mdaghri, Ahmed El Grabli ou Driss Ben Ali sont les maîtres d’un chant poétique qui séduit tant par ses images poétiques par des thèmes puisés dans le quotidien.

     Ainsi, il est évident que la création poétique ne nécessite pas forcément la connaissance des règles théoriques mais exige l’observation minutieuse du milieu vécu et la présence d’une profonde sensibilité.  

   Cette observation donne naissance à des chants populaires riches dans lesquels les dialogues, la narration et la représentation métaphorique permettent une théâtralité évidente. Dès lors, nous ne sommes pas surpris que le Melhoun soit généralement récité ou chanté en public, intégrant ainsi les principes de la représentation théâtrale. Nous ne sommes également pas surpris de constater que certains textes puissent faire l’objet de pièces théâtrales[2].

 

1. Poésie et théâtralité

 

   Certaines poétiques du Melhoun enchâssent des dialogues apparents. Le poète, généralement narrateur, converse avec le présent et l’absent, l’abstrait et le concret, le mobile et l’immobile. Ainsi, il se confie, par exemple, à une bougie tout en faisant d’elle son double, ou il fait de l’abeille, allégorie politique, son porte-parole. Cette forme à la fois lyrique, narrative, descriptive, conciliabule et didactique a pour effet de créer une tonalité théâtrale. C’est le cas de « La bougie/ Chamaâ »[3] où les dialogues intégrés dans le récit donnent une tonalité dramatique au texte lyrique :

Par Dieu, chandelle, je t’ai questionné, réponds-moi!

Tant que tu brilles, pourquoi pleurer par ce froid ?

[...]

Saches le bien, mes misères dépassent

De bien loin tes tourments ardents et me lassent!

Ah mon Dieu, Chandelle ! Si je devais te raconter,

Ma vie et les malheurs qui me sont décomptés,

Tu oublierais tes misères et entendrai,

Ma bien longue et interminable histoire vraie !

Et si tu te plains des feux en toi embrasés,

Que dirai-je des flammes en mon corps basées!

Si tu te lamentes de la séparation ;

Je suis moi-même éloigné de ma passion !

Qui pourrait de cette absence me consoler ?

Elle me manque et tout, tout me semble dépeuplé !

Et si tu pleures ton pauvre état délabré!

 

Vois comme j’ai redoré mon image altérée!

Alors ! Raconte-moi du début à la fin ;

Tout ce qui t’est advenu, tout ce qui t’advient !

Tu n’es guère séparée d’amant, que je sache!

Ni de bien-aimée comme moi, sans relâche !

[...]

Et enfin ! Après silence parole vint

M’évitant ainsi de faire appel à devin ?

Tu n’ignores point, oh questeur, ma détresse !

Il suffit de voir ma profonde tristesse !

 

Nous étions, au fait de la gloire, mes hommes et moi,

Hommes de coeur, au discours vous mettant en émoi!

Comme les rois, ils érigeaient des forteresses,

Et l’hiver, s’y cloîtraient en grande liesse,

Pour n’en sortir qu’au printemps dès qu’apparaissent,

Les premiers bourgeons, pour les vêpres d’allégresse.

Les prêtres agressèrent, mes entrailles brûlèrent

Et me laissèrent, après gloire, dans la misère !

Et lorsque vint l’heure et la nuit de la pression,

Ils furent de moi un jus, qu’ils disent, avec passion,

Force, remède, pour corps périssables et minés,

En filtrèrent ma cire et me laissèrent ruinée !

Mon histoire est infinie, la nuit bien longue,

Longue sans fin, à faire délier les langues ?

 

وش بيك فالليالي تبكي مدى ان اشعيلا

 

تنسى غرايبك وتصغي لغرايبي طويلا

عدات كل نار فداتي وجوارحي عليلا

من قيس وارثو بعد فناه اسقام حب ليلى

وعلى الفراق صابر وش صبرنيﻋﻠﻲ لعقيلا

ما فارقة خليل بحالي ما فارقة خليلا

تقول باكيا عند خيام السمر والليالي

عربان آمنوا بالمختار شحال من قبيلا

 اش كان سبتك فمصابك

يستغرب من لا تحدثو بخطابك

 

يكفاك يا السايل عن حالي حالتي وحيلا

قبايل لجناح لا تحكي كيفها قبيلا

ويعمروا بروج من مواهب ربنا جزيلا

وأيام الربيع يخرجوا للبطايحا لحفيلة

 تركوني بعد العز فحالتي ذلي

صابوه قوت ودوا للذات الفانية العليلا

للقدام القصة باقيا طويلا

لله يا الشمعة سالتك ردي لي سآلي

[...]

لو جيت يا الشمعة نحكي لك كل ما اجرى لي

اذا باكيا من نارك نيران في ادخالي

واذا باكيا باسقامك شوفي اسقام حالي

واذا باكيا بفراقك مفروق عن اوصالي

وانت منين جاك تحكي لي اولي وتالي

ولا على فراق الي عشق حيها بحالي

ولا على بطاح وما دار فمقام ليلى

سللتك لله عيد لي ما اصابك 

! لي احكي خطابك وانا نصغاك

[…]

بلسان حالها قالت لياما اخفاك حالي

في صولة العمالة كنت وكانوا لي رجالي

يشيدو بروج من لعمالة كل برج مالي

فيهوم كيحجبو كيف الملوك فالليالي

 طلاب جاو ا هزمو بالحامية ابطالي

وليت للعصارة شهدة صفاوا من امصالي

ومن امصالي صفاو شماعي يا لي صغا لي

L’existence de cette théâtralité poétique dont parle Paul Zumthor dans son essai de  Poétique médiévale, existe dans toutes les civilisations occidentales et arabes et ce depuis des siècles. En effet, « cette forme est abondamment représentée dans les documents du XIIIe, XIVe, XVe siècles mais on peut supposer qu’elle fut très vivante dès une époque plus ancienne»[4].

        Le dialogueétant le moyen le plus commun de communication, permet l’échange des idées et le partage des connaissances transmises oralement. C’est dans cette perspective que les premiers jongleurs, troubadours, poètes arabes et gerrahs[5] maghrébins utilisent le dialogue en le façonnant.

        Par conséquent, le simple dialogue anodin revêt non seulement une conception poétique mais également dramatique. Les faits de la vie quotidienne sont poétisés, les idées abstraites sont représentées. Ces textes oraux, accompagnés d’instruments musicaux, de tonalité dans la voix et de gestuelle, donnent à la poésie un caractère théâtral dont la principale fonction est « d’accentuer fortement la situation externe du texte »[6]une fonction qui ne peut être complète que si elle est directement transmise.

      De ce fait, la représentation scénique est nécessaire dans le Melhoun. Bien que la littérature arabe n’ait pas conçu des règles théoriques en vue d’un théâtre élitique dans la période antique comme fut le cas pour le théâtre gréco-romain, le théâtre a toujours été présent dans la civilisation arabe d’une manière indirecte. Le poète qui récitait ses vers dans des places publiques se trouvait déjà dans un cercle théâtral.

          La règle principale pour qu’il y ait théâtre c’est qu’il y ait un acteur et des spectateurs. C’est le cas pour les poètes antéislamiques et ceux du Melhoun. Les poèmesrécités en public, revêtent effectivement une théâtralité qui permet un partage direct avec autrui. Et bien que la gestuelle[7] ne soit pas toujours au cœur du texte, le chant poétique, par la présence des dialogues directs ou indirects, donne toujours au texte une tonalité dramatique représentable sur scène.

      Ainsi, la poésie amoureuse, religieuse, bachique et politique peuvent contenir des éléments de théâtralité grâce aux dialogues nourris de symboles culturels et de métaphores. Le langage utilisé est à la fois un langage commun et poétique. La différence entre la langue populaire utilisée dans la rue et celle utilisée dans le Melhoun réside dans la forme du poème, dans sa musicalité et dans le choix d’un vocabulaire imagé au point que certains vers deviennent des proverbes et citations culturelles, incompréhensibles à ceux qui y sont étrangers.

       Anissa K’hal Laayoun a par exemple essayé, dans son ouvrage Popular Proverbs from Morocco[8]de mettre en exergue certaines expressions populaires afin de ressusciter un patrimoine oral qui reste ambigu si l’on n’en fait pas partie. L’auteure y donne une brève explication de certains proverbes populaires dont les échos sont omniprésents dans le Melhoun.

        En effet, la qasida renferme toujours des expressions qui interpellent et dont la forme linguistique renvoie à celle de proverbes soit à travers la description ou la narration, soit à travers le dialogue.

      Le dialogue n’est cependant pas le seul élément qui donne au texte une conception théâtrale. D’autres  éléments  renforcent  cette  idée. Il s’agit du jeu des personnages. Par ce mot, nous signifions la présence physique des personnages liée au décor et aux actions. Des actions qui ne passent sans nous rappeler le théâtre classique occidental dans lequel le port du masque, les déguisements et les métamorphoses font partie du jeu théâtral surtout quand il s’agit de comédie.   

    Subséquemment, le discours théâtral des personnages, dans le Melhoun, diffère du discours narratif par la présence d’éléments visuels et sonores. L’on parle alors de mise en situation dramatique. En ce qui concerne les didascalies, elles font partie intégrante du texte où sont concentrées les marques externes de cette cohérence. Les répliques en revanche peuvent porter les marques externes et/ou internes. Le discours direct et indirect sont utilisés pour faire des signes linguistiques des paroles échangées. La situation initiale ainsi que l’intrigue sont généralement connues par le récepteur, un public culturellement capable de déceler le dénouement avant qu’il n’ait lieu.

       Autrement dit, les premiers vers annoncent déjà les thématiques essentielles de l’histoire. Aussi, les termes utilisés au début de la plupart des qasaid à caractère théâtral, nous renseignent sur le genre poétique auquel nous avons affaire. Prenons à titre d’exemple le poème « L’Audace I/ Zatma»[9] de Jilali Mtired 

 

جاني بشاروجاني ،ياك عطاني صحة الخبار

و أمرني بالوصال، نمشي لغزالي بوحرام،

 هاهواصيفطلي كتاب

محبوبي صيفطلي اكتاب قريتو نجبر فالجواب

 

امحبوبي يا روح راحتي

 يامن بيك الذات شايقا وقت يوصلك

 يا ربيع قلبي مرسولي نوض لا تغيب

 وجي حتى نشاهدك و تشاهدني

 بارت الحيال بقيت نخمم كيف نعمل

 واش المعمو باش نوصل

 براني فالبلاد و البراني مسكين

 مايلو صولا و لا ليه جاه و لا خصلا

 لو كان غول من الغوال اناسي

 كيف نعمل الوصال على الرضا

ابغيتو ولايني الخوف دهشني

 ما نعرف في عراضي سيتل

ولا الفيل و لا تغبان ازعيم

 أو عفريت ولا من بعد اصلاصل

غشما يا لطيف ولا نلقي بعض الغوال

 هاهواصيفطلي كتاب.

Mais ma mie m’a adressé un message !               

En lisant j’y trouvai un présage :

« O mon amour ! Flamme de mes jours,           

 Sans toi mon corps brûle comme un four !

Dès que mon messager à toi se montre,             

Lève-toi et viens vite à ma rencontre,

Que je te sente, que tu me sentes » 

 

Que faire ? De quelles astuces userai-je ?            

Aller en son site, tomber dans un piège ?

Etranger, je n’ai aucune chance                          

 D’y parvenir, même avec manigance !

Même vil et horrible Dracula                               

Ne pourra parvenir jusque-là ! 

 

Que faire ? Je veux y aller ! J’ai peur !                

Mais je ne suis guère serpent siffleur  

Ni démon ni lion ni grand éléphant                     

Ou même affreux gnome ébouriffant              

Et si j’y trouvai des diables en rage ?                  

Mais ma mie m’a adressé un message !

 

Ce poème est à mettre en corrélation avec le chant médiéval à caractère théâtral qui possède exactement les mêmes concepts ; tous deux utilisent le prologue pour rappeler didactiquement le bien culturel, commun et « connu d’avance par les spectateurs »[10]. Plus encore, ces éléments qui constituent une sorte de monologue établissent un vif contact entre le récepteur et le destinataire qui devient dans certains cas co-créateur.

       2. Un public acteur, spectateur et co-créateur

    Etant un chant populaire représenté en public, plusieurs éléments relatifs à la représentation théâtrale existent, que ce soit dans certains poèmes ou dans les conditions et l’ambiance générale où l’on lisait les textes, chose qui dispense les conditions d’un réel spectacle. Il s’agit notamment de la participation de l'assistance, de la musique accompagnatrice, du chorus et de la lumière. Cela n’est pas inaccoutumé au niveau du principe si nous remontons aux premières origines du phénomène théâtral composé de poésie et de chant avant que chaque genre soit formé dans une entité indépendante. C’est dans cette perspective que s’inscrit le Melhoun, dans le sens où certains poèmes constituent quasiment des opérettes.

        Autrement dit, la qasida du Melhoun n’est pas un simple texte linguistique à lire ou à chanter. Il est conçu pour soi et pour l’Autre. L’ambiance qui règne lors de sa représentation est festive, l’organisation bien souvent commune. Les relations entre les intervenants et le show sont indispensables dans la lecture et l’écoute du poème du Melhoun. Le fait de ne pas en tenir compte nous empêcherait d’assimiler le texte, d’en être impacté, de réagir à son égard et de goûter à ses plaisirs.

        La performance du gerrah et ses initiatives de création et d’improvisation dépendent des réactions des auditeurs ; pendant la lecture, les réactions des spectateurs et leurs arrêts pour discuter d’une anomalie linguistique ou rythmique font d’eux un deuxième créateur. Dès lors, leurs altercations participent au perfectionnement de la qasida. Tout ces éléments donnent un sens plus aigu au texte et permet au gerrah et à l’orchestre d’accomplir leurs fonctions artistiques, esthétiques et socio-morales.

       Dans ce sens, la représentation scénique du texte est primordiale, elle constitue un aspect et une condition principale de la transmission des messages, marquée par la présence des spectateurs.

      Subséquemment, le Melhoun ne peut être prédestiné à une lecture à huis clos. Il s’agit plutôt d’un show populaire organisé selon des rituels déterminés en vue de procurer du plaisir à travers la forme et le sens, que ce soit lors des cérémonies religieuses et profanes que dans les rassemblements des vendredis où les gens se divertissent instinctivement.

        Le décor renforce cette représentation et réside dans la disposition des plans, des arrières plans et des marges, où les personnes présentes sont tantôt assises tantôt debout dans l’assistance. Ainsi, les voix des hommes se mêlent à celles des femmes et des enfants, créant  par là, une scène de théâtre qui s’élargit et entre en osmose avec le poète du Melhoun.

        Autrement dit, le public spectateur devient également acteur. Tout le monde est placé en dehors de la scène mais participe quand-même à la poétisation du texte récité ; les invités participent avec le même enthousiasme que l’orchestre qui se lance habituellement dans un rythme calme et homogène en tant qu’accompagnateur des paroles poétiques du cheikh.

      Parallèlement à ce chant, le gerrah peut aussi avoir recours à des gestuelles pour faire passer le message plus facilement et créer un double impact sur le public qui l’entoure. Ceci remonte aux origines grecques et arabes dans lesquelles les poètes chantaient en se déplaçant entre les villes et tribus, ainsi que dans les moussems et les souks. Leurs poèmes évoquaient « la belle époque », la gloire des ancêtres, ainsi que les mythes des premières générations. Grâce à ces rassemblements, l’Histoire de la nation est sauvegardée.

     Cet aspect d’une poésie théâtralisée confère au Melhoun une dimension unique où le barde se plait à transfigurer la réalité en des faits poétisés proches du conte et de la légende. Des péripéties banales peuvent alors revêtir des faits captivants. Nourris d’imagination, ils répondent aux attentes d’un récepteur ayant déjà acquis les codes linguistiques et culturels nécessaires pour la compréhension des poèmes.

 

        Conclusion

 

     Le Melhoun détient des signes sémantiques et linguistiques riches lui permettant de rivaliser avec la poésie arabe classique et avec la poésie occidentale, tant au niveau des images utilisées qu’au niveau de la notion de transmission.

       A la forme, au chant et aux thèmes, s’ajoute la notion du théâtre. Ayant recours à des figures poétiques à l’image de la poésie arabe classique, le cheikh transporte son récepteur dans un univers où toutes les disciplines sont réunies : poétique, théâtre et chant pour faire du Melhoun un art populaire multidisciplinaire qui célèbre essentiellement l’amour et la beauté du Monde. Cette dernière est exposée métaphoriquement et symboliquement, comme le veut toute discipline artistique et littéraire, arabe ou occidentale.

       Par conséquent, il n’est guère surprenant de voir animaux, objets inanimés et éléments de la nature conserver comme le fait le poète avec son cœur ou avec une bougie dans le but de véhiculer un message politique ou religieux.

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Bibliographie

 

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ZUMTHOR Paul, Essai de poétique médiévale, Paris : Points, Seuil Essais, 1972.


[1] - Les mouâllaqat sont un ensemble de poèmes antéislamiques suspendus sur les murs de la kaâba de la Mecque. D’ailleurs le terme « mouâllaqat » signifie lui-même « être suspendu ». Le nombre de vers de ces poèmes (qasaid) que l’on peut rapprocher des odes varie selon les poètes, de six à dix vers, sept pour la plupart. Ces qasaid furent réunies, pour la première fois, par Hammad Ar-Rawiya. Elles contiennent des thèmes considérés aujourd’hui comme classiques. Il s’agit notamment de la description de l’univers du poète, de l'éloge des protecteurs, des morts ou du poète lui-même, de l'injure des clans ennemis, de l'amour et du vin. Ce sont exactement les mêmes thèmes que l’on retrouve plus tard dans la culture andalouse puis chez les poètes du Melhoun.

(Cf. EncylcopédieUniversalis, 2009, CD ROM).

 

[2]- Certains auteurs ont en fait l’expérience. C’est le cas d’Abdessalam Chraïbi qui a, par exemple, mis en scène « Le cerbère » de Belkorchi, genre poétique se rapprochant de la maqama arabe. Cette pièce a été représentée dans les années soixante-dix et récemment reprise par la troupe « Aquarium» au Théâtre Mohammed V de Rabat (11/02/2011) sous le nom de « Harraz Ouîcha ».

 

[3]- Fouad Guessous, Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Douze siècles de la vie d’un royaume, Casablanca/Association 1200 ème anniversaire de la fondation de la ville de Fès, 2008, pp. 306-311.

 

[4]- Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris : Points, Seuil Essais, 1972, p. 506.

 

[5]- Dans le Melhoun, la notion « gerrah » correspond »à la fonction de « chanteur ».

 

[6]- Paul Zumthor, Essai de poétique médiévaleOp.cit., p. 509.

 

[7]- Ce qui n’est pas le cas pour la chanson de geste en Occident qui préconise la gestuelle pour accompagner les textes.

 

[8]- Anissa K’hal-Laayoun, Popular proverbs from Morocco, Marrakech: El Wataniya Imprimerie, 2007.

 

[9]- Fouad Guessous, Anthologie de la poésie du Melhoun marocain, Op.cit., pp. 56-57.

 

[10]- Paul Zumthor, Essai de poétique médiévaleOp.cit.,p. 513.


26-01-2018

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