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Lettre à ma muse... - Lettre Perdue

Lettre Perdue "Lettre à ma muse..." est une lettre perdue mise en ligne par "Cathou inafrica"..

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Lettre à ma muse...

 

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Collage de Ch. Guerry 2015.

Lettre à ma muse…

 

J’avais cinq ans, entre les feuillages des arbres qui entouraient le square de mes jeux d’enfant, je cherchais. Je ne savais quoi mais je me souviens…

Parfois, une voix lutine chuchotait quelques mots et je me retournais pour ne jamais trouver à qui elle appartenait. Ces mots, ses mots, je les écoutais, je me les redisais, je les chantais, je les apprenais et je les rangeais, je ne savais pas trop où, dans une petite boite ou dans un grand sac. Pas sur une étagère, non, je n’ai jamais aimé les étagères qui figent les choses. Elles s’y empoussièrent et y jaunissent, elles y meurent prématurément et ça, je le savais déjà.

Je courrais la campagne, je longeais les plages, chaque ciel bleu d’alors a envoyé des mots dans les sacs, dans les boites. Chaque vague, tous les embruns, chaque soleil, toutes les étoiles avaient leurs couleurs…

 

J’avais dix ans, j’ai dû tout quitter ; « ma carrière » disait mon père. Je n’ai pas trop su ce que cela signifiait. J’ai juste dû tout quitter. Pour me réhabituer à des paysages autres et découvrir le nouveau grain de ma vie. Difficile, ce fut difficile. J’avais laissé derrière moi les nuances du sud pour les déclinaisons grises du nord, habillées des froidures d’hiver trop longs, de journées de pluies revêtues.

Et toujours cette voix lutine qui envoyait ses mots. En grandissant, la palette s’étendait. Elle me parlait parfois des sables que nous avions foulés en Egypte le soir, lorsque Ra disparait par delà le Nil ; des rives des lacs andins d’Amérique où Manco Capac avait défendu les territoires incas.

 

J’ai eu vingt ans. Le temps est venu de traverser les mers, les océans, de voler par delà les chaînes de montagnes. La carrière de papa avait pris son envol et nous ne comptions plus les kilomètres.

Des vingt premières années, je retenais les leçons de celui qui avait été l’homme de la première partie de ma vie. Une immense carrure qui avait offert à mes yeux les images à poser au dessus de tous ces mots que la voix lutine m’avait appris. Il avait été mon chêne, m’avait appris à vivre. Il me savait sauvage, il me savait. Tant m’a-t-il aimée que j’en ai gardé l’équilibre nécessaire à une vie de bleus, une vie océane, une vie de voyages et de paysages. Il a noué en moi les racines que je n’ai pas par rapport aux lieux. Je suis de nulle part, mes racines sont en moi. Ou plutôt, il a tressé les horizons pour remplacer les racines qu’il savait ne pas être miennes.

A vingt ans, mes sacs et mes boites étaient pleins déjà, des images petit à petit s’accrochaient et la voix lutine continuait de m’interpeler, continuait à me tourner la tête…

 

La vie a tracé la route. Ma vie a tracé sa route.

 

L’art en a été l’épicentre. Mes vingt ans sont passés et les quotidiens ont envahi d’herbes folles mon chemin. Tant d’années pour faire le tour de moi, le tour des autres. Et toujours cette voix qui revenait, lutine. J’avais découvert la sculpture et sa muse. Je croyais en elle, je n’ai pas cru en moi. Et ces boites qui, comme le sac de Mary Poppins, s’appropriaient tous les mots que j’aimais, tous ces mots que je ramassais sur les plages, dans les vagues, au travers des horizons. Chaque avion a enrichi mes images. Chaque évènement de ma vie était prétexte à rouvrir un couvercle et glisser une expression, quelques lettres, une phrase.

 

Il y a neuf ans, la flamme de l’atelier de sculpture s’est éteinte. J’avais assez donné, je ne voulais pas relever cette lourde machine qui venait de perdre une moitié de son âme. La muse du feu s’est éloignée. Parfois elle me faisait signe mais je ne voulais pas voir.

J’ai pris la route. La vraie.

J’ai fui pour aller à la découverte de paysages semblables à ceux qui avaient baigné ma jeunesse.

J’ai tout oublié. J’ai tout oublié parce que j’ai enterré. Place nette, j’ai fermé les portes de la cité. J’ai remonté le pont-levis.

 

J’ai rouvert une page et alors que je croyais avoir pris l’avion dépouillée, j’ai entendu une voix, lutine, qui maintenant chuchotait des phrases. J’ai regardé de tous côtés et n’ai trouvé personne mais j’ai entendu. J’ai entendu, pris et composé.

Une autre aventure commençait. Qui a duré de longues années. J’ai appris les civilisations des terres d’Afrique. J’ai appris les océans dangereux et les brousses qui ont brûlé ma peau.

Et toujours cette  voix lutine qui m’accompagnait et que je ne reconnaissais pas. Qui m’emplissait, qui m’obligeait à réfléchir, qui me faisait grandir.

 

Un après midi sur une plage de Casamance, alors que je longeais l’eau, cherchant à attraper un horizon qui me semblait plus bleu, j’ai été attristée par un grand silence, ma lutine avait disparu. Au loin, dans l’eau, une vague plus forte que les autres l’emportait.

Sans le savoir je le savais.

J’ai pleuré. J’ai pleuré sur le sable. Cinq décennies de mots accumulés étaient orphelines.

J’ai pleuré car pour la première fois de ma vie, j’étais seule.

Je n’avais pas laissé ma rose, je n’avais pas abandonné mon renard apprivoisé et je n’avais pas quitté ma planète. Mais j’étais seule.

Je me suis allongée sur le sable et j’ai pleuré.

J’ai pleuré sur un sable qui jamais ne prend l’eau.

 

Le lendemain je suis revenue pour écouter le silence et retrouver ma lutine. Mais elle n’était pas là. Je ne vivais pas un rêve, je vivais un départ, une mort certaine.

 

Je n’osais plus regarder l’horizon, je ne savais plus où regarder, qu’écouter.

Mes yeux se sont alors posés sur une trace. Le sable sur lequel mes larmes avaient roulé ouvrait la place à une pousse.

Je suis revenue tous les matins et tous les soirs.

Un baobab a pris racine.

Chaque fois que je suis restée près de lui, pendant de longs mois, le vent a chanté des phrases en ses  jeunes branches.

J’ai écouté. J’ai alors su que je devais prendre la plume. La voix lutine avait disparu laissant la place à ma muse. Née d’un baobab.

Il est le centre de ma vie. Ce géant de la planète au cœur si tendre. Il a depuis tressé ses racines avec les miennes à travers les horizons que j’aime.

Mon baobab. Je ne pouvais le transplanter lorsqu’il m’a demandé de reprendre ma vie en Europe.

 

Je l’ai quitté, le laissant grandir au dessus des cocotiers sur sa plage de Casamance.

Il y vit ses quotidiens.

Il est inscrit depuis dans le creux de mon poignet gauche. A gauche, le côté du cœur.

Il m’a obligée à ouvrir mes boites.

Il a rangé mes sacs. Ceux qui sont pleins de mots lutinés.

 

Ma muse, je t’aime.

Lorsque je suis, par le soleil brûlée, alanguie sur les branches de mon baobab, les bleus sont plus bleus, les cieux n’ont pas de cage, les horizons sont infinis.

Je t’aime infiniment.

Je t’aime tant et tant.

 

 

 

Ambres le 10/09/2015

 

Illustration Ch.Guerry

Texte Ca.Valmalette

 

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Auteur

Blog

Cathou inafrica

11-09-2015

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Lettre à ma muse... appartient au recueil De mon poète, je suis la muse...

 

Lettre Perdue terminée ! Merci à Cathou inafrica.

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