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Le piano à 9 queues - Inclassable

Inclassable "Le piano à 9 queues" est un inclassable mis en ligne par "Ancolies".Inclassable mais non dénué d'intérêt

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Le piano à 9 queues

 

 

 

C'est à l'instant du piano à 9 queues, à l'instant du rasoir à 9 lames que les outils commencèrent à se retourner contre leurs ingénieurs et leurs propriétaires. Les ingrats ! Car pour raser, le rasoir à 9 lames on pouvait pas nier ça rasait. 9 fois plus près, 9 fois plus frais ça rasait, et chacun des 2 sexes s'en réjouissait. L'outil à l'agréable ! annonçaient avec entrain et conviction les affiches. Et jamais les peaux n'avaient été si fraîches, si jeunes, si roses, jamais les épidermes n'avaient luit de la sorte.

 

Et pourtant tout ne l'était pas, rose. Non, tout ne l'était pas, jouvence.

 

Leur journée commerciale bouclée, les affiches rentraient chez elles, se posaient dans un vieux fauteuil en cuir, laissaient flotter leurs membres et leur esprit, imaginaient qu'elles se détendaient. Soudain elles s'avisaient qu'elles étaient totalement vidées, épuisées. Violées même. Et en fait parfaitement incapables dans ces conditions irrésolues de se détendre. Elles tentaient bien d'y réfléchir 5 mns mais s'endormaient invariablement en quelques secondes, sans même avoir dîné. Quand leur horloge biologique sonnait l'aube de s'y remettre, ravalant leur panique elles bondissaient de leur fauteuil et avaient tout juste le temps d'enfiler un café avant que d'y retourner. Tant bien que mal, elles tentaient de garder les yeux ouverts durant la lente matinée. Puis, totalement azimutées, elles s'empiffraient d'enseignes industrielles et de variétés à la pause déjeuner, avant d'enchaîner avec une nouvelle après-midi commerciale forcément morose. 9 lames en plus, 9 larmes en moins ! annonçaient-elles avec professionnalisme et logique, mais sans réellement penser à ce qu'elles faisaient.

 

Alors, ce qui ni les ingénieurs ni les utilisateurs n'avaient prévu arriva.

 

Alors, les nouveaux rasoirs rasaient de si près, tranchaient et cisaillaient tant efficacement l'herbe pileuse, attaquant par 9 fois le poil avant qu'il ne se rétracte, qu'il advint bientôt que celui-ci, affaibli à mort, ne put plus franchir l'obstacle de l'épiderme. Sans cesse repoussées vers l'arrière, étêtées de plus en plus profondément à partir du haut de la racine, les pousses de poil en chiaient trop pour sortir. A la fin, elles en avaient même plus envie.

 

Bannies, réduites, exterminées, certaines agonisantes et d'autres en arrêt-maladie, elles refusaient tout bonnement de mourir, serraient les poings, resserraient les rangs, mâchouillaient nerveusement leur revanche. Et quelques semaines à peine leur suffirent pour développer la contre-attaque. A gros malin, gros malin et demi ! ricanèrent-elles à l'instant de retourner la situation. L'opération prit pour nom de code Sous la peau de mon ennemi. Les résultats ne se firent point attendre.

 

Car, privées de sortie, les pousses de poils la jouèrent troglodyte. Comme autrefois, elles poussaient, poussaient, s'appuyaient sur ce qui leur restait de racines et poussaient. Mais, ne pouvant désormais plus s'épanouir à l'extérieur, il leur apparût tout naturel de faire la même chose à l'intérieur. L'effet obtenu fut l'apparition rapide d'épouvantables cloques, qui sur les visages imberbes, qui sur les paires de jolies, fines et galbées gambettes.

 

Alors, comme un rouleau de lianes poussé par la tempête rebondit sans fin dans la poussière des steppes, s'accrochant parfois à un épineux avant de se libérer et reprendre sa course folle, alors l'expression Remède à l'amour courut bientôt de façon irréversible sur toutes les lèvres. En effet, comment aimer encore dans ces conditions ? Déjà qu'avant c'était pas gagné, d'aimer, et maintenant, des gambettes aux pommettes, le paysage corporel humain n'était plus qu'un vaste de champ de pus et de désolation.

 

L'affaire était sans issue, la trajectoire sans retour. Une fois le processus engagé, les cloques occupèrent toutes leurs forces à gagner du terrain et se reproduire. Les cloques en cloque ! titraient les journaux survivants démunis, tandis que, pas rancuniers, de lointains indiens d'Amérique, soigneusement décimés en leur temps par la maladie des tuniques bleues et des croûtes blanches, dressaient à la hâte lits et campements pour les nouveaux arrivants.

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Ancolies

23-12-2012

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Le piano à 9 queues appartient au recueil Nouvelles du monde

 

Inclassable terminé ! Merci à Ancolies.

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