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Le bal de vivre - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Le bal de vivre" est une tranche de vie mise en ligne par "Ancolies"..

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le bal de vivre

 

 

Véro. Les grandes vacances. La grande chance de l’enfance. Le ciel et les journées et les désirs impatients et immenses.

Véro l’ange blonde. La première fois, la plus importante, la plus grave. Pas la première fois où j'avais une petite copine (Marina, sept ans et demi, colonie de vacances en Belgique), ni la première fois que j'embrassais une fille sur la bouche (Tina, quatorze ans, fille du directeur du pensionnat anglais où je passais cette année-là). Ni la femme avec laquelle j'ai fait la première fois l'amour, en Allemagne, quelques années plus tard. Nan, Véro c'était la première fois où j'aurais pu être fou. Fou amoureux voyez. Le pressentiment du vertigineux désir caché au plus profond de nos âmes. Ouais, j'aurais pu être raide dingue, complètement zingue de cette fille. J'aurais pu aller avec elle jusqu'aux étoiles secrètes et abandonnées, m'y faire déposer par de féériques astronefs et y attendre ensemble de mourir de silence.

 

Les étoiles éternelles du ciel, ça s'est pas passé. Et les étoiles filantes du bord de mer n'ont duré qu'un mois d'été. Ou peut-être même pas, peut-être seulement trois semaines.

C'était près de La Ciotat, pas loin de Marseille, où je vais justement régulièrement ces temps-ci enregistrer de nouvelles chansons.

Une nuit, avec François l'arrangeur musical, on bosse comme d'hab tard dans le studio. Après on décide que ça va pour ce soir et qu'il est temps de se pieuter. On débranche le matos, j'ouvre la porte, en fait c'est l'aube. L'est six heures. Plutôt que me coucher, je décide d'aller me balader, j'attrape pull, serviette, maillot et caisse et roule à la recherche de mes plages d'ado avec Véro.

 

J'ai rien reconnu du tout. Vraiment rien de rien, ni sur terre ni au bord de l'eau. Z'ont jeté les vieilles maisons, les vieilles jetées, les vieilles amours ou quoi ? Z'ont jeté le monde ? Des fois je me dis qu'officieusement, tout le monde ou presque s'est suicidé. Des fois souvent,  je veux juste arriver à respirer et surtout penser à ne pas penser.

 

Véro. On a quinze ou seize ans. Elle est blonde comme j’ai dit, super belle, super étrange, super solitaire et, bien qu’elle s’en foute, provocante dans la bande de copains réunis par l’été. Inaccessible, intouchable. Ailleurs. Désespérée en fait mais ça je le sais pas. Je suis trop jeune. Je le saurais plus tard, trop tard mais j’aurais rien pu y faire.

 

Sûrement parce qu'elle est étrange et désespérée qu'elle sort, ça alors, avec moi. C'est comme ça. Elle a repéré un autre étrange et désespéré, alors on s’est un peu rencontré.

 

Véro. Elle sort avec moi mais me fait pas le sable fin, doux et facile pour autant. Elle est lunatique, des fois elle veut, des fois pas. Au grand bal de vivre, des fois elle danse, des fois elle danse pas. Des fois elle disparaît comme ça. Entre nous aucun mot. Pour quoi faire ? On partagerait plutôt sûrement la terreur de vivre et peut-être celle d'aimer, voyez ! L’opposé de l’amour n’est-il pas la peur ?

 

Une fois on fait du dériveur elle et moi. Plus tôt dans la journée, j'ai fait mon malin devant les copains et affirmé que je savais parfaitement manier ce type d'engins. Faux, ou tout du moins généreusement exagéré. Ça commence bien : au décollage j'évite de justesse baigneurs, embarcations au mouillage et jetée. De justesse, juré. Bon, maintenant on navigue plus tranquille, même si je me demande où diable je trouverai la marche arrière à l'heure de rejoindre le bercail.

Les émotions du départ lui ont pas suffi, à Véro. Elle commence à s'emmerder. Elle voudrait dessaler (chavirer le bateau pour les néophytes). T'es sûre ? je dis. Quoi ? t'as peur ? elle dit. Je lui dis pas que j'aime moyen ça, je lui dis pas que je suis souvent affublé de paralysie musculaire dans la flotte froide, je lui dis pas qu'il y a trois jours je me suis retrouvé subitement bloqué dans l'eau à quinze mètres du rivage et qu'une providentielle chasseuse d'oursin du coin m'a remorqué in extremis me sauvant la mise. Je lui dis rien de tout ça à Véro et je dessale.

 

Chance, je coule pas à pic. Maintenant faut redresser ce foutu bateau, grimper de tout son contrepoids sur la dérive. Ben j'y arrive pas, je suis un peu léger, sans compter que l'engourdissement prévu est en train de gagner pronto mes membres. T'es nul ! elle me lance occupée à patauger de l'autre côté en me regardant faire. Nan elle vient pas m'aider. Elle barbotte, elle est curieuse et indifférente de ce qui va se passer. Il va se passer que j'y arriverai jamais, ça pèse des tonnes ce machin. Libère l'écoute de la voile ! je lui crie, ouais tu la vires de son espèce de taquet. Re chance, elle consent à m'entendre et paisiblement s'exécuter. Voilà, l'écoute larguée, c'est mieux comme ça, pas gagné mais ça paraît plus si impossible. A l'instant où elle ouvre la bouche pour me lancer un second T'es nul ! j'y arrive. Après, comme elle veut bien reconnaître qu'elle caille, on se rentre et je réussis à embrocher ni baigneurs ni rochers à l’arrivée.

 

Plus tard, je lui demande si elle veut coucher avec moi. Ça va pas la tête ! elle répond. Quand même, après, elle se radoucit un peu. Et pourquoi tu veux faire l'amour avec moi ? elle demande. Ben ouais, c'est vrai, pourquoi ?

 

Jamais revue. Après les vacances, un dîner a été organisé pour réunir les copains parisiens de l'été. Dans une pizzeria à St Germain des Prés. J'y étais, pas elle. Trois ou quatre ans plus tard elle s'est jetée de la tour Eiffel. Je ne l'ai su que bien après. La tour Eiffel. Ben merde alors.

 

 

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Ancolies

02-09-2012

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Le bal de vivre appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies.

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