"Une rencontre" est une tranche de vie mise en ligne par
"Deogratias"..
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Une rencontre
Jacqueline aimait les fleurs, les arbres à l’automne et les coquelicots de l’été. Jacqueline aimait la vie, elle aimait aussi les gens et les bébés. Jacqueline avait un faible pour les hortensias de son jardin. Roses foncés, magnifiques. Jacqueline aimait par-dessus tout rire avec les enfants, le chocolat noir et les papillons. Enfin, elle aimait aussi le chant grégorien. Elle avait été bénédictine pendant quelques années dans une vie contemplative cloîtrée.
C’est au cours d’une sortie de son monastère, dans sa petite voiture, une 2 CV, que le pire s’était produit : Un accident mortel à cause d'une plaque de verglas. C’était en 1978. Sa mère décéda sur le coup. Quant à Jacqueline, elle avait dû abandonner tout projet de vie religieuse. Elle avait su, au moment même où elle s’était retrouvée projetée au sol, qu’elle serait désormais paraplégique pour le restant de sa vie.
Je l’ai rencontrée un jour du mois de mai, 15 ans plus tard. Dans un foyer qui m’avait recueillie pour quelques temps. Non loin de chez elle. En Bretagne. J’avais 26 ans. J’étais à la rue, enfin presque. Ma mère m’avait abandonnée, une fois de plus. Elle n’avait pas compris mon choix de vie monastique que je venais de quitter depuis peu parce que je n’arrivais pas à prendre le rythme. Je cherchais un endroit où vivre, un toit, une amie. J’étais dans ce lieu pour quelques semaines seulement et l’avenir semblait bien sombre. Je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel.
Je me souviens la veille de notre rencontre, je marchais le long des falaises tout en haut qui surplombaient la mer. C’était à Dinard. J’ai pensé me jeter, là, dans le vide. Rien ne me retenait. Je n’avais presque plus d’amies, plus de famille, plus de projet, rien qui me retienne. Ou plutôt si, une seule : Ma foi. Dieu ne pouvait pas m’abandonner. Impossible. Je lui avais consacré ma vie, j’avais tout quitté pour lui, il ne le pouvait pas. C’était hors de question. Je pleurais alors que mes pas oscillaient là-haut, tout en haut sur les rochers abrupts. J’ai crié : « Viens à mon aide ! Ne m’abandonne pas ! ».
Que vous ayez la foi ou pas, qu’importe, j’ai été exaucée. Dès le lendemain je rencontrais Jacqueline. Elle venait depuis peu d’acquérir un nouveau fauteuil roulant électrique. Tout neuf. Je la revois encore. Les yeux bleus, une longue robe bleue avec un ruban noir autour du cou. Un sourire immense qui déverouillait mon cœur. Une joie de vivre peu commune. C’est au cours d’un repas que nous nous sommes parlé. Tout de suite, notre expérience de vie religieuse nous rapprocha. Ce fut très vite décidé : Elle m’accueillerait chez elle. Je serai son auxiliaire de vie.
A mon arrivée dans sa maison, je ne peux pas dire que l’accueil de sa famille fut chaleureux. Ses membres pensaient que j’en voulais à son argent. Je n’y avais même pas pensé. J’ai connu bien des souffrances à commencer par la xénophobie ambiante et le rejet. Mais cela m’importait peu dans le fond. J’étais avec Jacqueline. Elle devint ma meilleure amie, ma mère, ma psy, mon guide. Je me souviens très bien, un soir, devant la cheminée, je lui ai raconté ma vie. Pour la première fois. J’avais confiance. Elle s’est mise à pleurer puis elle a quitté son fauteuil pour s’asseoir dans le canapé du salon. Elle arrivait comme ça à se lever juste quelques secondes. Je me suis installée près d’elle, et, là, nous avons pleuré ensemble. Dans la pénombre, à la lumière du feu qui crépitait, tout doucement, elle m’a caressé le visage et les cheveux alors que j’avais posé ma tête sur ses genoux. Je n’oublierai jamais. A compter de ce jour, notre relation fut de plus en plus fusionnelle.
Dix ans après, Jacqueline a rejoint le ciel. Juste trois mois après une courte promenade que nous avions fait ensemble. Il y avait des coquelicots dans un champ non loin de là. Elle voulait que je les lui cueille. J’ai couru. J’en ai fait tout un bouquet. Puis, alors que je revenais vers elle, je fus pris d’un frisson : « Si un jour elle mourait ? ». Je lui avouais ma pensée. Elle éclata de rire : « Eh bien alors, ce sera le plus beau jour de ma vie ! ». J’entends encore son rire. Comme un feu d’artifice étoilé dans le ciel de mon âme endolorie.
Elle a rejoint le ciel et j’ai confectionné toute une reliure avec toutes ses lettres et nos photos. Jacqueline fut pour moi la mère que je n’avais jamais eue. Elle fut tout à la fois le secret de mes secrets, la fleur de mon jardin, la porte vers demain, la joie d’une enfant, ma mère spirituelle. La douleur de son infirmité ne l’empêchait pas de se tourner vers les autres. Elle était la confidente des pauvres. Elle était ma couronne, mon gouvernail et ma lumière. Elle a continué de me guider même après son départ. La souffrance physique et morale, elle connaissait mais jamais elle ne se plaignait. Jamais. Même si quelquefois elle pleurait.
Jacqueline ne m’a jamais quittée en vérité. Je lui dois sans aucun doute bien des rencontres que j’ai faites par la suite. Elle était mon étoile et mon guide, le plus joli coquelicot du monde, toute ma famille, et même, je vous l’avoue, tous les oiseaux du monde me l’enviaient. Elle était ma couverture chaude, ma fenêtre et mon chant. Elle était ma protection et mon refuge. Le monde pouvait bien se moquer d’une jeune fille qui se balance sur sa chaise, il pouvait tout penser même le plus innommable, moi, j’avais ses yeux pour fenêtre, ses bras pour maison et surtout, surtout, son cœur pour toujours à mes côtés. ....Pour toujours à mes côtés... |
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Une rencontre
appartient au recueil Tranches de vie
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