"Un homme" est un texte mis en ligne par
"Deogratias"..
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Un homme
J’avais acheté pour trouver de l’inspiration à mes écritures un « livre-agenda » qui propose pour chaque jour de l’année une citation, une ébauche, de quoi donner des idées pour rédiger une histoire. L’amorce proposée au 21 juillet était : « Si tu pouvais passer une journée dans la peau d’une personne du sexe opposé ? ».
Mon Dieu, je n’étais pas du tout inspirée ! Pendant les 24 heures qui avaient précédé, je n’arrêtais pas de me questionner : « Que pourrais-je raconter ? Les femmes font dorénavant la plupart des métiers que font les hommes. Je parle de la France bien sûr : Pompiers, militaires, pilotes d’avion, docteur… ». Donc, je me sentais devant un défi bien difficile. Je poursuivis ma réflexion : « Peut-être devrais-je parler de ces attributs masculins que je me découvrirai et dont je serai fière de parler ? ». A vrai dire, je trouvais cela grotesque ! Quel serait l’intérêt de parler de mon pénis capable de pisser loin, de ma barbe à raser chaque matin ou du soin apporté à mes biceps ? Aucune envie de m’étaler sur le sujet.
Je me sentais dans une impasse. N’ayant jamais eu de souci pour accepter les prérogatives de mon propre sexe, l’idée de me mettre dans la peau du sexe opposé me laissait totalement froide. Rien ne me motivait. Aucune expérience propre à la gent masculine me paraissait une bonne idée de récit : Bricolage ? Les femmes en font autant. J’ai une sœur capable de vous monter un meuble Ikea en moins de quelques minutes. Moto ? Les femmes en font aussi. La seule chose peut être qui me venait à l’esprit, c’était de m’imaginer "fort des halles", voilà un créneau qui semblait typiquement réservé aux hommes. Mais là encore, rien ne m’inspirait.
Je suis si peu expérimentée dans la connaissance du masculin que je ne me voyais pas partir dans un récit, une critique, un éloge ou un pamphlet sur le sujet. J’ai un frère, certes, de surcroît très viril, mais cela ne me donnait pas davantage un point d’avance, ni même un savoir extraordinaire. Quant à ma propre vie de femme, il faut bien l’avouer, rien de suffisant pour me permettre de raconter comment les hommes aiment leurs compagnes, comment ils les draguent ou leur font l’amour.
Bref, le sujet me paraissait bien trop ardu pour moi. Comment allais-je me sortir de cette affaire ? C’est alors que m’est venue l’idée de m’en tenir à l’essentiel : "Si j’étais un homme, dans le sens d’un être humain, je pourrais tout à fait raconter quelque chose d’autre !". Je pris ma plume et j'écrivis :
" Je crois que je m’exercerai davantage à l’humilité. J’éviterai les jeux de pouvoir inutiles qui nous font perdre une énergie de folie pour écraser les plus petits. Je crois que j’aimerai ne plus tant me préoccuper de mon petit égo. Ce petit moi si soucieux de sa réputation, de son compte en banque ou bien de sa célébrité. Je ne courrais pas les plateaux de télévision pour jouer aux experts. Je ne voterai pas pour des idées contraires à mes valeurs juste pour gagner un siège, une cocarde, une voiture de fonction ou je ne sais quel autre avantage.
Oui bien sûr, je m’occuperai davantage des enfants plutôt que de les laisser livrés à eux-mêmes, sans limites, ni repères. Je n’abandonnerai pas celui ou celle que j'aime pour courir d’autres ambitions, d’autres voluptés. Je ne rejetterai pas les autres personnes parce qu’elles sont juives, chrétiennes ou musulmanes. J’accueillerai les sans-logis, je dépenserai plus d’un milliard non pas pour dépolluer la Seine mais pour secourir les plus démunis. J’éviterai à un grand nombre de patienter sur liste d’attente en vue d’un appartement HLM pendant plus de quinze années consécutives. Je crois aussi que je ferais tout mon possible pour protéger la nature".
Voilà, j’avais enfin des idées ! Par acquit de conscience, je fis ensuite la relecture de ce que je venais d’écrire : C’était pas mal. Pourtant, peut-être serez-vous étonnés, mais je n’étais pas encore satisfaite. Il me semblait rester à la superficie. Imaginer un monde où l’homme serait meilleur, tout le monde pouvait le faire. Qu’est-ce que je pourrai dire de plus qui change un peu de tous ces poncifs ? Je ne savais toujours pas. Mon cœur ressemblait à une coquille vide. Rien ne sortait. Rien ne me disait. Rien ne venait. Mon Dieu, quelle épreuve ! Moi qui aime tant écrire ! Je poursuivis mes réflexions :
"Je pourrais me mettre dans la peau d’un homme afghan qui traite son épouse moins bien que ses fils. Je raconterais le combat de ces femmes iraniennes si courageuses, celles qui cherchent à établir une forme d’égalité entre les sexes. Mais là encore, c'est si complexe, hors de ma portée. Il faudrait être dans la peau de ces hommes qui marchent dans les rues de Kaboul pour faire la police des mœurs. Non, Je ne pourrais pas ! Cela ne me pousserait qu’à la révolte. Tant d’injustices me blessent !
Si j’étais à la place d’un humain enfin humanisé, rempli d’autre chose que de lui-même, je crois que je serai déchiré avec les déchirés, pauvres avec les pauvres. Je pleurerai avec ceux qui pleurent. Je serai persécuté avec les persécutés. Je souffrirai avec ceux qui souffrent tout comme je rirai avec ceux qui rient.
A bien y penser, je crois que j’ajouterai à notre nature humaine un peu plus d’empathie. C’est ce qui manque le plus. L’indifférence est aussi répandue que les portables. Tout le monde se fout de tout tant qu’il n’est pas touché dans sa propre chair. C’est vrai, on pourrait croire l’inverse : On voit tant de personnes qui se disent soucieuse du bien-être des autres alors que la solitude des personnes âgées ne cesse de grandir. On voit tant de revendications pour l’eau, pour le partage, pour l’économie participative, pour la redistribution des bénéfices et si peu pour s’assoir avec l’autre sur un bout de trottoir ou sur un banc de square".
Je mis fin à mes réflexions. Avais-je le droit, moi, pauvre petit bouchon de rien du tout, qui étais-je pour faire la leçon à quelqu’un ? Alors même que lorsque je regarde en arrière, je suis la première à remarquer mes erreurs, mes fautes, mes propres ratés ? Pour être tout à fait franche, je trouve même autour de moi tant d’exemples de bienveillance, si connus et remarquables.
Alors, que dire de plus ? Comment apporter une touche d’originalité à cette proposition d’écriture ? « Si je pouvais passer une journée dans la peau d’une personne du sexe opposé ? », s’était transformé en : « Si je pouvais passer une journée dans la peau d’une personne humaine ? ». Vraiment, mon Dieu, je ne m’en sortais pas mieux ! Si ce thème était un devoir de collège, j'aurais obtenu, à n'en pas douter, une bien mauvaise note. Pour commentaire, le professeur aurait écrit au feutre rouge : "Hors sujet".
Voyez-vous, si je pense à ma pauvre nature humaine qui va si souvent vers la facilité ou vers le mal, bref, si je me mets dans ma peau à moi, en tant qu'humain et non pas en tant que femme ou homme, je crois qu’au final, j’aimerai muer. Comme les serpents. Comme les chenilles. Je voudrais tant changer ! J’aimerai devenir experte des contemplations quotidiennes. Comme Christian Bobin, j'aimerai reprendre ses mots à lui : « J’ai posé un vase rempli de roses jaunes sur le sol, devant la fenêtre basse, pour donner à boire à la lumière ». N’est-ce pas magnifique ? Je repris mon écriture :
" Moi aussi, j'aimerai voler les étoiles pour les poser dans les yeux des enfants qu’on délaisse. J’aimerai ravir les couleurs pour les peindre sur les murs de nos vies solitaires. J’irai cueillir les fleurs dans les jardins de nos coeurs oubliés pour les offrir au Bon Dieu. Je fermerai les bouches bavardes pour verser du silence à nos âmes étouffées. Je poserai une couverture sur les blessures secrètes de nos amours déçus. Et pour finir j’agirai comme cet écrivain : « Je donnerai à boire à la lumière ».
Plus que tout, je crois que c’est à la poésie que je consacrerai les masses.Tant de gens vivent comme si tout était sous leur contrôle. Comme s’ils étaient tout puissants. Comme s’ils n’allaient pas mourir ! J’ouvrirai les portes de leurs âmes qu’ils ont oublié d’ouvrir. Oh mon Dieu, l’humain oublie son âme ! Il éteint sa propre beauté, toutes ces petites bougies qui vacillent en son dedans. Les fenêtres de nouveau grandes ouvertes, je leur montrerai ce qui est appelé à durer et ce qui, quoiqu’on fasse, un jour ne sera plus. Les enfants ont la grâce tant que leurs intentions sont pures, experts de ce qui est vraiment important, ils sont nos maitres d’essentiel. Je leur demanderai de nous apprendre. A l’écoute de notre intériorité, je l’arroserai de divinité retrouvée. Plus que tout, je nous réchaufferai à la flamme de l’Amour. Jusqu’à la brûlure".
Je reposais mon stylo. Oui, cette fois, enfin, dans la peau, la mienne, la nôtre, l’inspiration, tel un ange venu d’en haut, me guidait. Je crois en vérité que tous ces mots-là, tout le monde aurait pu les écrire.
Je me souviens des paroles d’une grande mystique espagnole : Thérèse d’Avila, réformatrice du Carmel :
« Le monde est en feu… Ce n'est point l'heure de traiter avec Dieu d'affaires de peu d'importance »
Oui, le monde est en feu. C’est un cycle de violence qui reprend toujours. Une spirale sans fin.
Le monde est en feu et je voudrais nous changer. Moi la première. A ma place. Dans ma peau. La mienne. La nôtre.
Il n’est plus temps de traiter d’autre chose, Thérèse avait raison :
« Le monde est en feu ».
En illustration, cette merveilleuse chanson qui dit quelque chose de notre grandeur d'âme :
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Un homme
appartient au recueil Réflexions
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