"Sécateur !" est une histoire courte mise en ligne par
"Deogratias"..
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(Je dédicace cette histoire pour toutes les mamans dont je regarde les vidéos et les témoignages. A toutes ces mamans si courageuses....☀️)... Sécateur !
« Sécateur ! Sécateur ! » voilà les deux premiers mots de Rachel. « Enfin ! Enfin ! Elle parle ! Elle parle ! » S’écriait sa mère assise à ses côtés dans ce grand salon transformé en atelier pédagogique depuis plus de 8 ans. « Enfin ! Enfin ! », les larmes aux yeux, elle ne cessait plus d’embrasser sa fille.
Autiste non verbale, cette dernière occupait toute l’attention familiale depuis sa naissance. Il avait bien fallu se rendre à l’évidence : De médecins en psychologues, d’orthophonistes en infirmières, Rachel n’était pas une enfant comme les autres. Voilà. C’était une chose acquise. Du déni à l’acceptation, c’était tout un chemin sinueux dressé devant leurs yeux, ce long chemin que chaque membre de cette petite famille avait dû emprunter.
La vie n’était pas triste pour autant. Les soirées étaient égayées par les cabrioles de Rachel, ses rires intempestifs, ses grimaces étonnantes, son attrait pour les couleurs vives, ses jeux en solitaire dans un coin du salon, ses dessins aux crayons de couleur fluorescent. Tout était nouveau avec cette petite fille. Tout. Toujours. Pas de quoi s’ennuyer. Ah ! Ça ! Non ! L’ennui, voilà plus de 8 ans que sa mère ignorait même ce que ce mot pouvait bien signifier. Depuis le lever du jour jusqu’au coucher et parfois même pendant la nuit, Rachel occupait tout son espace mental. « Comment l’aider ? Comment lui apprendre à mettre ses chaussures ? À quelle heure l’emmener chez la kiné ? Ah oui ! J’ai oublié d’acheter les lettres de l’alphabet magnétiques ! Quel repas composer pour cette semaine ? Je n’ai pas envie qu’elle mange des frites toute la semaine ! »...etc. Son cerveau était devenu un ordinateur géant rempli de chiffres, de lettres, de citations, d’agendas noircis, de plannings colorés, de repas variés, de listes de courses, de listes de rendez-vous, de listes d’idées pour la faire progresser, de listes, rien que des listes. Pour un oui, pour un non, des listes partout qui lui parlaient dans sa tête. Même la nuit.
Peu soutenue par les autorités dans sa quête d’accompagnement, de moyens financiers, de recherche de solutions, Mathilde, c’était le prénom de cette maman, Mathilde, donc, avait pris l’habitude de se débrouiller seule. Elle avait arrêté son travail pour s’occuper à temps plein de sa petite fille, fruit de son amour, chair de sa chair qu’elle aimait plus que tout. Oui, elle l’aimait. N’en déplaise à tous ceux qui refusaient désormais ses invitations à cause de sa petite Rachel. Entre ses cris, ses pleurs, ses rires, ses gestes, ses demandes, ses refus, il fallait faire avec. Certains préféraient désormais ne plus venir du tout. « Tant pis ! S’ils sont trop cons ! Après tout, c’est qu’ils n’en valent pas la peine ! ».
Le temps passait, soutenue par toute sa petite maisonnée, Mathilde avançait au jour le jour, soucieuse de faire au mieux. Elle espérait toujours que Rachel pourrait encore progresser, le plus possible, le tout pour vivre sa vie d’adulte avec un peu plus d’autonomie. Contre vents et marées, elle avait lutté de toutes ses forces contre les oiseaux de mauvais augure : « Pourquoi tu t’obstines Mathilde ? » « Tu ne devrais pas tant t’investir ! » etc.…Comme si tous ces beaux conseilleurs savaient mieux qu’elle ce qui convenait à sa petite. Bien sûr, après tout, ils n’étaient pas à blâmer. Eux aussi se sentaient désemparés devant le handicap de Rachel. Pour autant, ce n’était pas une excuse pour ne rien faire, laisser sa petite régresser entre des mains expertes mais qui n’ont pas assez de temps, ni de patience quelquefois, ni de douceur non plus.
À Sa fille, il fallait beaucoup de sourires, de temps, de soutien, de joies aussi. Elle lui avait tout appris, à sa manière : Comment se laver les dents sans pleurer à cause du fluor, comment enfiler sa veste à l’endroit, comment manger : sans que les aliments se touchent pour éviter les crises de colère. Comment écrire son prénom avec des magnets sur le frigo…. Bref, elle était sa professeure, son infirmière, son amie. Comme toutes les mamans qui tiennent tous les rôles. Comme ça, par amour. Oui. L’amour oblige, l’amour enchaîne, l’amour libère, l’amour est tout. A vrai dire, Mathilde n'y pensait pas à l'amour, elle le vivait. Elle n'avait pas non plus le temps de philosopher plus que ça, en proie à des journées où rien ne devait être laissé au hasard.
Et voilà que ce matin, à la surprise générale, alors que Rachel était en train de boire son chocolat au petit-déjeuner, voilà que le miracle s’était produit. Alors que jusqu'ici, elle n'avait jamais prononcé un mot, voilà qu'elle venait de prononcer : "Sécateur !". A force d’opiniâtreté, à force d’espérance, alors que plus personne n’y croyait, à force d’exercices à lui faire répéter des sons, voilà qu'elle avait dit : « Sécateur ! ». Comme ça, de manière tout à fait imprévisible, lâché comme on libère un oiseau vers le ciel.
À ce moment précis de cette journée, 8 h 02 minutes sur la grande horloge murale, Mathilde s’arrêta de parler. Jean, son mari se pétrifia sur place, debout au milieu de la pièce alors qu'il tenait sa tasse de café dans les mains, Tessa, la cadette, tournait la tête pour vérifier qu’elle avait bien entendu. Ce matin-là, à 8 h 03 minutes à peine, tout le monde cria dans la maison. Mathilde se mit à pleurer de joie sans parvenir à stopper ses larmes. Jean avait accouru à genoux devant le canapé à prendre dans ses bras et sa femme et sa fille. Tessa aussi pleurait, des petites larmes contenues depuis si longtemps. « Elle a parlé ! » « Elle a parlé ! ».
Toute ébahie devant une telle émotion qu’elle devinait heureuse, Rachel se mit alors à répéter : « Sécateur ! », « Sécateur ! », « Sécateur ! ». L’explosion de rires fut générale.
- Mais pourquoi « Sécateur » ma chérie ? Demanda la maman intriguée - Regarde ! Lui répondit Tessa en pointant du doigt le sécateur posé dans un coin du salon. - Oui, c’est cela ma chérie ! C’est le sécateur que j’ai oublié de ranger après avoir taillé mes rosiers hier !
Elle n’en finissait plus de l’embrasser toute envahie de joie.
À 8 h 04 minutes précisément, la vie de Rachel, celle de Mathilde, de Jean et de Tessa, toute leur vie avait changé. Vu de l’extérieur, c’était juste un progrès, rien de révolutionnaire. Vue de l’intérieur, c’est ne rien connaître à l’amour que de penser que ce mot là n’avait rien d’extraordinaire. Comment ne pas se réjouir d’un pas en avant, d’une porte qui s’ouvre, d’une fenêtre qui aère ? Un premier mot : Ange gardien qui précède tous les autres. Un mot qui tranche avec le passé, un mot plein de promesses, un mot qui coupe, qui sépare et répare. Un mot. Rien qu’un mot. De l’amour en fusion, de la tendresse en prévision, de la vie à venir, à foison. De la liberté aussi. Un mot. Un petit mot pas comme les autres. Un mot venu d’ailleurs : « Sécateur ! »….
Le jour qui suivit, Mathilde se rendit à la jardinerie du coin. Elle acheta un autre sécateur. Avec des poignées rouge vif. Elle n’en avait absolument pas besoin. Mais elle le voulait, plus gros, plus cher, plus grand. Elle pensait le ranger dans le petit coffre en bois de sa véranda. Là, où elle cache tous ses trésors. Là, où un jour, elle espère, elle le prendra de nouveau et racontera cette histoire à sa fille, au cas où. Peut-être aura-t-elle oublié ? Quant à elle, il n’y avait aucun risque.
« Sécateur ! ». La suite lui donna raison, Rachel devint très bavarde. Elle fit de grand progrès. Les mots sont porteurs de tant d’amour à donner, à recevoir, à libérer, à comprendre, à caresser.
« Sécateur ! ».
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Sécateur !
appartient au recueil Histoires courtes
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Histoire Courte terminée ! Merci à Deogratias. |
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