"Qui vole un oeuf" est un texte mis en ligne par
"Deogratias"..
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« Qui vole un œuf… »
Céline vivait dans un monde chaotique où seules comptaient les apparences, le superficiel et l’inutile. À plusieurs reprises, elle avait pu s’en rendre compte. Cet après-midi même en ce mois de novembre ensoleillé, elle s’était rendue dans une boutique pour acheter des habits en soldes : quelle ne fut pas sa surprise de voir qu’une personne sur deux portait un visage de marbre, aussi lisse qu’une statue inerte. Si, par curiosité, Céline adressait un sourire à l’un d’eux, aussitôt, la personne en question détournait la tête. « Quelle étrange réaction ! » se disait-elle.
Le matin même, elle avait croisé une autre personne sur le trottoir devant un magasin. Ô bonheur, cette fois-ci, celle-ci se mit à lui parler, mais ce ne furent que plaintes, critiques et commérages. Son discours : Une liste interminable de prophéties pessimistes sur l’actualité du moment, sur la société, la politique ou le climat. Céline commençait à s’interroger : « N’y aurait-il que tristesse et désarroi sur cette planète ? ».
Pour avoir un début de réponse, elle continua ses observations. À peine avait-elle commencé, qu’elle rencontra plusieurs habitants de la ville où elle se trouvait. Les uns après les autres s’arrêtaient pour l’interroger : « Vous avez vu le temps ? C’est pas normal ! », un autre : « il fait beau n’est-ce pas ? », un autre encore : « C’est sûr, l’hiver sera doux, vous verrez ! ». Cette préoccupation pour la météo semblait une tradition commune qui occupait bien des esprits.
Céline regarda un écran de télévision exposé derrière une vitrine, elle ne vit que des images de guerres ou de destructions. Hypnotisée par les informations écrites qui défilaient sur des bandeaux en bas de l’écran, elle vit qu’il n’était question que de rixes, de viols, de tortures ou autres violences. Elle en fut bouleversée.
Sur le chemin du retour, pour rentrer chez elle, elle se rendit compte des mots affichés un peu partout : « Soldes 50 % », « Liquidation totale : Encore deux jours de prix imbattables ! », « Loto : 1 million à gagner ! ». « On dirait que tout tourne autour de l’argent » remarqua-t-elle. « Quelle étrange planète ! Est-ce que tout tourne autour des chiffres, du climat ou de la guerre ? ».
Fatiguée par toutes ses constatations, elle préféra ne plus s’en occuper. À son tour, elle partit faire quelques achats. Tout d’un coup, elle ne sut l’expliquer, elle fut prise d’un irrésistible désir : celui de s’acheter un œuf. Oui, un œuf tout simple. Mais pourquoi donc ? Elle s’interrogea sans comprendre sur cette envie aussi soudaine qu’inexpliquée.
Or, elle n’avait pas assez de monnaie sur elle pour en acheter, pas même un seul. Le besoin irrépressible d’en posséder un l’avait saisie avec une telle puissance qu’elle ne pouvait imaginer repartir sans ! Quelque chose de fort l’avait étreint au plus profond d’elle-même, plus elle s’approchait du rayon « frais », plus l’attirance devenait incroyable. Elle n’en revenait pas.
Elle tenta tant bien que mal de résister à la tentation de le voler : « C’est ridicule enfin ! » se disait-elle quelque peu effrayée par l’élan qui la traversait. Elle eut beau faire, rien ne pouvait mettre fin à ce désir qui, minute après minute, augmentait. « Hors de question de rentrer sans cet œuf ! ». Ni une, ni deux, tenue par l’impossibilité de se maîtriser plus longtemps, elle avança d’un pas décidé vers la marchandise.
Quand, enfin, elle eut l’œuf au creux de ses mains, c’est alors qu’elle comprit la raison d’une telle compulsion. Cette petite sphère avait le visage d’une autre planète : Celui d’un monde à venir sans violence, sans rejet, ni critiques. En tout cas, pas tout de suite, pas toujours, pas certain. Cette petite coquille ovale portait en elle la promesse d’un univers en sourire. Elle y voyait déjà un soleil jaune aux rayons lumineux, un cercle d’or bordé de joie. Un amour qui vient. Une chaleur. Elle devinait combien il serait à lui seul le signe majestueux des saisons en fleurs, des éclosions merveilleuses, des lendemains meilleurs.
Elle voyait sa beauté unique, celle qui irradie les cœurs d’une bonne humeur en bouton. Elle contemplait déjà tous les rires, les printemps, les enfants, les jeux. Elle ressentait, rien qu’avec cette forme au creux de sa paume, la quiétude en rayons, les crépuscules automnaux qui scintillent au travers des feuillages. Oui, à n’en pas douter, un œuf plein de vie vibrait au cœur de ses mains. Petit embryon vivant, il respirait jusqu’à ce qu’on le prive.
Cet œuf avait la couleur du ciel quand avec le soleil, il n’est recouvert que de quelques nuages blancs. Blanc comme la pureté ou bien comme la dentelle sur l’herbe du matin, parsemée des gouttes de rosée. Il portait en lui la nappe transparente des aurores en brouillard, juste avant le réveil des étourneaux, des oiseaux opérettes ou des lampes derrière les fenêtres.
« La vie dans mes mains ! », s’extasiait Céline qui se lassait de son monde ordinaire. Cette planète où elle vivait ne lui donnait plus vraiment d’espoir, tout semblait décliner, même l’enfance insouciante. Alors, cet œuf, ce petit cosmos aux étoiles inconnues, cette terre étrangère plein de rêves, rempli de tous les possibles, elle le voulait comme on veut de l’eau par temps aride, comme on crie lorsque l’on a peur, comme on cherche un peu d’air pour ne plus étouffer.
La vendeuse qui vit Céline serrer entre ses doigts cet œuf unique, tout auréolé de mystère, ne l’arrêta pas dans son élan. Elle prit ce geste pour celui d’une personne dérangée.
Céline, une fois dehors, avec son œuf dans sa poche, marchait le visage extasié de bonheur. Elle riait de son audace. Ce n’était pas un vol à l’étalage mais un rapt d’amour. Une enchère sur le futur. Avec un rond jaune, un peu de blanc tout autour, elle bâtissait des heures, des jours, des années, elle construisait des tours d’amour, des rues de tendresse, des visages ouverts dans des magasins sans prix. Avec un rond jaune, un peu de blanc autour, elle dessinait des prairies riantes, des fenêtres à foison, des histoires pour enfants, des adultes en paix, des vieillesses entourées. Son monde protégé d’une coquille, elle y croyait comme on croit aux elfes, aux dragons, aux limites intemporelles des univers magiques.
Qui vole un œuf ne vole plus de bœuf. Un œuf contient bien plus que tous les troupeaux de bœufs de toute la terre.
Un œuf, rien qu’un œuf. En vérité : Le visage de la Vie.
Ecrit dans le cadre d'un atelier d'écriture : "Contexte : "Qui vole un oeuf, vole un boeuf"... Votre personnage a pris la première partie de ce dicton un peu trop au sérieux ! Contrainte (optionnelle) : Le texte se passe dans un univers futuriste. Bonus : Il s'agit d'un oeuf tout à fait ordinaire... en apparence. |
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Qui vole un oeuf
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