Que vais je écrire ? - Texte court

Que vais-je écrire ?

Je ne sais pas ce que je vais écrire ce soir alors que je décide de prendre ma plume et une feuille de papier. Je ne sais pas, non, ce qui va couler de mes doigts. J’ignore ce que mon cœur contient de trésors ou de dégâts. Comment pourrais-je savoir à l’avance ce qui m’habite tant que je ne l’ai pas touché ? Tant que les mots n’auront pas parlé avec ses sons, ses accents, ses mélodies choisies ?

Je sais encore moins pourquoi je dois écrire. Je ne connais pas ce qui est à l’origine de ce besoin à nul autre pareil. Tout ce que je sais c’est que si je ne le fais pas, j’en crèverai. Oui. Ce n’est pas exagéré. Un peu comme la prière à Celui qui nous dépasse : Ce moment de respiration s’impose comme une nécessité vitale. Indispensable. Oui. Sans quoi je meurs aussi surement que les feuilles de cet automne se détachent de leurs tiges pour joncher le sol sous mes pas.

Je ne sais pas ce qui me pousse à aligner ces mots, ces phrases et puis ces bouquets d’écriture. Je sais encore moins pourquoi tant d’autres ne peuvent le comprendre. C’est ainsi. C’est tout. Pourquoi faudrait-il tout justifier après tout ? Il parait que lorsqu’on aime sans pouvoir l’expliquer c’est que l’on aime vraiment. Alors, ce doit être ça : J’aime. Et à cela pas d’autres argumentaires. J’aime. C’est simple dans le fond. J’aime comme le ciel est bleu. Comme l’automne en sa superbe. Comme l’eau s’écoule régulière. Pas d’autres raisons. Rien que de la vie en barre. Oui, voilà. Les mots comme un morceau de vie. C’est tout.

Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs il me faut écrire ce soir plutôt qu’un autre soir. C’est ainsi. C’est là maintenant que je dois faire courir mes mains sur le clavier. Que chaque lettre s’enchaine à la précédente pour former une gerbe de verbes et d’expressions. Pour tenter, oui, tenter d’exprimer ce qui me court au bord des lèvres, ce qui me monte au plus loin de moi-même. Je puise à la source de mon âme comme on prend ses deux mains pour retenir l’eau qu’on a trouvé. Je bois délicatement. Les couleurs des arbres se reflètent dans une larme.

Je ne sais par où va le chemin qui mène de mon cœur à mon écriture. Non, comment le saurais-je ? La magie ne pourrait garder son mystère s’il était dévoilé. J’observe le mouvement des fleurs sous la caresse du vent impétueux , je regarde attentive la lenteur du soleil qui se lève entre deux arbres en la forêt profonde. C’est étrange ces plans d’eaux qui parsèment les prairies en jachère. Les vertiges de mes envolées quand se dresse devant moi un paysage jusqu’ici inconnu, que c’est beau à découvrir ! Que c’est beau d’aimer !

Je ne sais  d’où vient le murmure de l’eau qui cogne les cailloux au milieu des ruisseaux, ni  d’où sort l’éclat du jour qui fait scintiller les rochers sur les rives. Si je connaissais d’avance le vol rapide de l’oiseau que je viens d’entrevoir, si je savais tout de ces mots qui tournoient comme une brassée d’étourneaux sur les fils ! En vérité,  je ne pourrai laisser passer le mystère ! Je ne pourrai, c’est certain, dévoiler cette part de moi dont je découvre l’attrait. Cette terre vierge de toute fatigue qui se donne sans regret. Cette beauté inaltérée que je porte comme un enfant sevré.

Je voulais écrire ce soir. Maintenant. Alors que la nuit répand son parfum de silence. Je voulais écrire ce qui me traverse après cette journée. Finalement, le croiriez-vous ? Je n’ai pas su. Comme empêchée par la richesse de mon intensité. L’écriture est venue me chercher, vous voyez, et nous nous sommes aimés. Sans avoir besoin de se parler.

Je ne savais pas ce que j’allais écrire et ne sais toujours pas d’ailleurs.