"Paulette" est une nouvelle mise en ligne par
"Deogratias"..
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Paulette Je me promenais le long de la Loire à Brives-Charensac, petite ville de 4000 habitants à peine, au cœur de l’Auvergne. Le fleuve magnifique brillait sous le soleil du mois de Mai. Tout juste réveillée à 7 heures du matin, je sortais mon chien dans les prés parsemés de fleurs, avec les oiseaux réveille-matin, les odeurs d’humidité et les autres propriétaires de chien. La journée s’annonçait belle. Le printemps est une saison tellement merveilleuse, tout bourgeonne, tout sort de terre, les arbres en floraison, les jonquilles, lilas, narcisses et primevères. On dirait que tout est fait pour charmer les cœurs. Au loin, je voyais les pêcheurs, combinaison plastique verte jusqu’au épaules, cannes à pêche en main, partir pour quelques poissons, capturés à la mouche. Les saules pleureurs avaient cessé leurs sanglots inutiles, les coqs des petites basses-cours s’étranglaient à chanter l’heure matinale. Les merles s’égosillaient à l’arrivée du nouveau jour. Tout était bien. Rien ne devait bouleverser toute cette effervescence du printemps. Comment pourrait-on savoir qu’en un clin d’œil, en une fraction de seconde à peine, tout pouvait basculer ? Une dame s’approcha de moi, je ne l’avais jamais vu auparavant. Elle était vêtue d’une longue robe noire, à son cou, une médaille, les pieds nus, les longs cheveux défaits. Elle semblait complètement perdue. Elle se précipita vers moi : « On m’a volé mon chien ! On m’a volé mon chien ! ». Vu son apparence désorganisée, la virulence de son ton, je n’osais la croire. Elle me faisait peur. « Je vous dit qu’on m’a volé mon chien ! ». Je ne parvenais pas à me décider : devais-je passer mon chemin comme si je ne la voyais pas ? Devais-je au contraire lui répondre ? « Mais n’ayez pas peur, voyons, je vous dis qu’on m’a volé mon chien ! ». Toute déstabilisée, de légers frissons commençaient à me parcourir le dos, je choisis de lui répondre : « Et qui vous l’a volé Madame ? ». Elle semblait tout heureuse que je lui parle enfin. Elle me répondit qu’elle ne savait pas. Non, elle ne se souvenait plus. Je lui demandais alors son nom, son adresse, son âge. Elle me répondit : « Je ne sais plus Madame, je ne sais plus ! ». Voilà qui se compliquait pour moi. Que devais-je faire ? Appeler la police, la ramener chez elle après avoir pris quelques informations chez mes voisins ? L’emmener à l’hôpital le plus proche ? J’hésitais. La femme en question, tout d’un coup, sortit de sa poche un trousseau de clefs, s’approcha de moi, me prit la main et me conduisit dans un immeuble juste en face du mien. Je me laissais faire. Elle ne pouvait ni me blesser, ni me prendre en otage. Sa fatigue visible, son allure, elle n’avait manifestement pas la force de me faire du mal. Je la suivis sans une certaine appréhension tout de même. Je me retrouvais dans un appartement coquet, sa photo avec un enfant dans ses bras, à l’entrée. Nous étions chez elle. Elle avait dû se souvenir à la dernière minute. Elle me dit d’un ton gêné : « Je suis désolée, Madame, on a volé mon chien, et je ne sais pas qui l’a pris. J’ai couru pour le retrouver, mais rien à faire, je ne le retrouve pas ! ». Est-ce que cette histoire de chien était vraie ? L’avait-elle vraiment perdu ? N’était-ce pas plutôt le signe d’un début de démence ? Je me retrouvais assise sur une chaise de sa cuisine où elle m’avait obligée à m’assoir. Elle se mit à préparer un petit déjeuner, je n’avais qu’à consentir. Elle s’assit à son tour et me raconta : « Ce matin, je me suis réveillée. J’ai vu sur les murs un homme, là, vous voyez là-bas, oui, juste là, dans le cadre, il sortait ses mains du mur, il m’a pris mon chien. Après plus rien. J’en ai déduit qu’il l’avait emmené avec lui dans les murs. Mais quand je suis sortie, je n’ai rien vu. Pas de chien. Et les mains de l’homme dans le cadre n’étaient plus là. Il a enfermé mon chien avec lui dans le mur. Voilà. Et je ne sais pas comment on fait pour aller dans les murs ! Alors, je suis sortie dehors. Peut-être que là, je l’aurai retrouvé quand même ! ». La peur m’avait tout à fait saisie. A l’incohérence de son récit se mêlait son regard plongé dans le mien, comme si elle cherchait dans mes yeux ce chien, cet homme, cette réponse qu’elle désirait tant. Je frissonnais. Je ne savais comment réagir. Je lui répondis, pour ne pas l’effrayer : « Je vois. Je pense que le monsieur s’est fatigué. Et votre chien, comme il est malin, il s’est sauvé. Il va bientôt revenir ». Aussitôt, elle me fit son plus ravissant sourire. Ma réponse semblait lui convenir. Je vis sur la table non loin de là, une boite de médicaments qui m’indiquait clairement qu’elle avait des soucis de santé. Peut-être Alzheimer ? J’entendis soudain des clefs tourner dans la serrure de la porte d’entrée. Une femme, très bien vêtue, apparut. Elle fut très surprise de me voir ici. Je lui racontais ce qui s’était passée tandis que la dame, assise sur sa chaise, s’était endormie. Elle m’expliqua qu’il était prévu qu’elle parte en maison spécialisée dans les jours qui viennent. Qu’il était temps. Qu’elle s’excusait. Qu’elle ne la quittait plus depuis 1 an mais qu’elle avait dû s’absenter plus d’une heure ce matin. Elle ne pensait pas que Paulette s’enfuirait de la sorte. Elle me précisa : « Son chien est mort il y a deux mois, depuis son état s’est aggravé ». J’étais tendue. Les nerfs un peu à bout. Pourtant, j’étais soulagée qu’une tierce personne soit venue m’apporter quelques explications. Je décidais, avec son accord, de venir la revoir un peu chaque jour, pour l’aider à faire des pauses dans sa garde jusqu’au départ de Paulette. Elle en fut très touchée. « Oh vous savez, elle a encore des moments de lucidité. Plus rare il est vrai ». Je revins dès le lendemain. Puis les jours suivants. Paulette alternait les moments de clairvoyance et de confusion. Pour ne pas lui faire peur, j’entrais dans son monde. Je ne cherchais plus à rétablir la vérité quand elle se perdait dans ses souvenirs ou me regardait brutalement : « Mais vous qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites là ? ». Puis, après quelques temps : « Ah Sylvie, vous êtes là, avez- vous vu mes géraniums sur le balcon ? Ils sont beaux n’est-ce pas ? ». La frontière entre le passé et le présent troublait sa mémoire, le virtuel, le réel, le lieu, le temps, tout se mélangeait. Paulette était une femme très belle. Ses photos me racontaient ses souvenirs : un mari défunt, un enfant, une sœur éloignée dans le sud, une grande maison vendue depuis peu…Je parvenais à reconstituer le puzzle de son existence avec les albums, le récit de sa sœur Christiane qui veillait sur elle (dont j’avais fait la connaissance la première fois) et avec les moments où Paulette était de nouveau connectée à la réalité. Les jours passèrent. Nous devenions amies. Son état semblait s’améliorer quelque peu. Je la sentais plus apaisée. Mes visites étaient désirées, attendues. J’avais apprivoisé ma rose, elle me dessinait un mouton, je la protégeais sous une cloche en verre, elle ramonait ses volcans. Paulette, ma princesse sur sa planète. Je décidais, de plus en plus, de l’y rejoindre. Je voyais bien que la suivre jusque-là, sans avoir l’air de trop s’étonner, la rendait plus heureuse et l’apaisait plus vite. Je partais de plus en plus avec elle dans ses voyages improbables, dans l’invisible actualité de sa vie passée, présente ou future. Qu’importe. Plus de chiffres, plus de chronologie, plus de cohérence. Pourquoi faudrait-il toujours apporter toutes les corrections à la chronologie de nos existences ? Les souvenirs sont des cambrioleurs, ils nous volent la précision des horloges, ils n’indiquent pas toujours le Nord dans nos boussoles. Ils sont distraits par leurs voyages temporels. Ils se trompent, ils se perdent. Ils s’amusent à cache-cache avec l’enfant que nous étions. Et c’est très bien comme çà. Ce n’est pas important dans le fond, une seule chose importe, c’est l’amour. Je me souviens hier, (Était-ce bien hier d’ailleurs ?) Paulette et moi, étions parties à la pêche, au Lac du Bouchet. Près de Cayre, à quelques kilomètres de chez elle. Bernard son mari, revenu depuis peu, avait préparé le pique-nique tandis que je gardais le chien en laisse. Sa fille Monique riait de nous voir si chargés. On était bien tous les quatre. Depuis le temps qu’on les voulait ces vacances ! Paulette avait demandé un congé à Thierry, son patron, un sacré voleur celui-là, qui la paie avec un lance-pierres. Bernard lui demandait d’arrêter de se plaindre. Assis tous ensemble sur l’herbe de la plage aménagée au bord du lac, on se régalait. Les grands pins centenaires dégageaient une odeur forestière typique de ces grands espaces en altitude. Les oiseaux nous célébraient, quant à Paulette, elle chantait, entre deux bouchées, tout son répertoire. Aznavour surtout : « Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre ! Montmartre en ce temps-là... ». Là, alors que la digestion nous donnait envie de dormir, tout repus du grand air, de l’ivresse de nos chansons entonnées depuis plus d’une heure, au moment donc où nous ne pensions plus à rien, nous vîmes, soudain, une main immense, gigantesque même, sortir du milieu du lac. Elle se levait bien haut, écartait ses doigts, courbait ses phalanges en se dirigeant vers nous. Elle voulait nous prendre cette main ! Nous entendions une voix tonner très fort : « Je vais te prendre Paulette ! Je vais te prendre sylvie ! ». Complètement terrorisées, nous nous sommes levées d’un coup, nous avons couru au plus vite nous cacher derrière les troncs des grands arbres autour. Paulette avait du mal à suivre, « vite Paulette, dépêche-toi ! ». Elle récriminait : « Si tu crois que c’est facile à mon âge ! ». Je l’attrapais par la main pour lui faire accélérer le pas. Le bras de la grande main crochue qui sortait de l’eau avait deux grands yeux au niveau du poignet. Il nous avait vu ! Que faire ? Courir encore bien sûr, mais Paulette ne suivrait plus. Restait une seule solution, l’unique, périlleuse mais nous n’avions pas le choix : Monter à un arbre, la main ne pourrait pas venir jusque-là ! Près de là, un tronc tout tordu nous invitait, nous avons commencé de grimper. Nous nous étions assises sur une de ces grosses branches à l’horizontal. La main aux yeux inquisiteurs nous cherchait toujours. Paulette tremblait. Je la recouvrais de ma veste. Elle me souriait, avec sa bouche toute froissée par les rides, elle murmura : « Tu crois qu’elle va nous trouver là ? », je lui certifiais que les mains des monstres géants ne montaient jamais aux arbres. Nous étions en sécurité. Soulagée, elle soupira profondément. « Tiens, regarde Paulette, tu vois je te l’avais dit, la main s’en va, elle disparait dans le lac comme un cachet effervescent ! Bois ton verre ma Paulette, nous sommes hors de danger maintenant ! ». Paulette but son verre, me regarda avec toute la reconnaissance du monde. Après quelques minutes, elle se rendait compte qu’elle avait encore rêvé : « J’ai encore fait un cauchemar hein Sylvie ? », j’opinai de la tête. Alors elle me raconta : « Sais-tu que ce lac nous y allions tout le temps avec Bernard avant sa mort ? Il est si beau ! Il passait ses journées à pêcher tandis qu’assise à ses côtés, je tricotais. Tous les mois, vaille que vaille, j’étais la femme du pêcheur, nous étions heureux ! ». Ses yeux mouillés cherchaient dans les miens le même souvenir, l’image de ce bonheur d’antan. Paulette s’était endormie. Je la regardais avec son sourire apaisée dessiner les poissons, les arbres tordus, l’odeur des pins, les papillons farceurs, les pies cantatrices. Perdue dans son paysage, j’en oubliais le mien. Quand Christiane revint de ses courses, je les quittais. Tout aussi fatiguée que mon amie par le pique-nique improvisé mais virtuel quelques heures plus tôt. Le lendemain, le téléphone sonnait plus fort. Paulette était morte pendant la nuit. Dans le ciel, je vis un petit arc en ciel après la pluie matinale. Sûr, Paulette était partie le rejoindre. Elle me faisait signe de la main, assise, sur l’arc de couleur. Après l’enterrement, je me suis rendu dans son appartement. Une dernière fois avec Christiane. Il y avait sur la table basse du salon, un album grand ouvert. Que des photos d’enfant, des bébés, de tous les âges. Etonnée, je feuilletais cet album, Christiane m’expliqua : « Ce sont toutes les photos des enfants que Paulette a gardé comme nounou dans sa vie ! Elle y tenait beaucoup, elle disait toujours : « je les ai tous tenu dans mes bras ! », ce souvenir comptait beaucoup pour elle. Elle a mis les prénoms et l’année de naissance sous chaque photo ! ». J’observais, médusée. Soudain, comme un baiser volé sur ma joue, je vis : « Sylvie L. 16 novembre 1964. Paris 17ème ». Le choc ! Paulette avait été ma nounou aux premières heures de ma vie tandis que gardienne de ses rêves, je l’avais guidée vers le seuil de l’Arc en Ciel éternel. |
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Paulette
appartient au recueil Mes Nouvelles
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