On a tout l'temps ! - Texte

On a tout l'temps !

Je n’ai pas le temps, je pars en voyage.

Je n’ai pas le temps, je suis trop occupé.

Je n’ai pas le temps, comment veux-tu que je fasse ?

Je n’ai pas le temps, ce n’est pas dans mes priorités.

Je n’ai pas le temps, faudra faire avec.

Je n’ai pas le temps, t’as qu’à voir mes journées !

Je n’ai pas le temps, toi, t’as tout le temps, pas moi !

Je n’ai pas le temps, ce n’est pas le plus important.

Je n’ai pas le temps, le temps passe trop vite.

Je n’ai pas le temps, y’a qu’à voir mon agenda !

Je n’ai pas le temps, j’ai encore tant à faire !

Je n’ai pas le temps, c’est beaucoup trop compliqué.

Je n’ai pas le temps, si tu voyais tout ce qui m’reste à faire !

Je n’ai pas le temps, va voir ailleurs.

Je n’ai pas le temps, et ce n’est pas demain que ça changera !

Je n’ai pas le temps, Je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps.

Pas l’ temps du tout.

Plus l’ temps de rien.

Pas l’ temps d’avoir le temps du temps qui passe avant que je puisse avoir le temps du temps.

Je me réfugie en moi, tout au fond, dans mon chagrin que personne n’a le temps d’écouter.

Dans cet espace trop grand pour moi où je n’aurai plus ce refrain qui cogne à tout instant à mes oreilles.

Je plonge en moi, dans mon tréfonds, dans la solitude que personne ne veut rejoindre.

Dans ce lieu dépourvu de ce temps qui manque tant pour de vrai ou pour du faux.

Je me blottis dans les bras de ce temps rien qu’à moi que personne ne veut plus partager.

Dans ce temps solitaire qui me murmure un peu déçu qu’il aurait bien aimé qu’on l’accompagne.

Je le regarde ce temps délaissé comme un enfant apeuré.

Il tremble de froid, la faute au mauvais temps. Pas le temps qu’il faut.

Comme si c’était tout le temps l’hiver.

C’est pour ça, chacun reste chez soi. Pourquoi prendre son temps ?

Alors il reste là, tout seul, comme un mendiant sur le trottoir attend.

Alors, il reste là tout pauvre sans montre qui lui indique qu’il est bien l’temps de se lever.

Alors, j’ai regardé le temps d’aimer, le temps de vivre, le temps des rencontres.

Alors, j’ai croisé son regard et j’ai vu toute sa peine s’écouler dans mon cœur près du sien.

Alors, j’ai balbutié tandis que ses lèvres tremblaient comme un enfant blessé :

« Dis-moi, le temps, qui t’a trompé ? Qui t’a trahi ? Qui t’a abandonné ? Qu’est-ce qui t’est arrivé pour que tout le monde t’oublie ? Ils disent tous que tu n’es plus là, où es-tu donc passé ? Où étais-tu toutes ces années ? Ne t’ai-je pas vu passer pourtant ? Je n’ai qu’à regarder en arrière, les âges ont continué de défiler. Il y eut hier. Il y a maintenant. Il y aura demain. Dis, raconte-moi ton histoire. Tu étais où ? Que s’est-il donc passé ? »

Il m’a répondu un peu gêné : « Je suis enfermé depuis peu dans des boîtiers aux touches chiffrées, tu sais, là, dans les poches, ce truc qui sonne à tout moment. Je suis en prison dans les rythmes effrénés des minutes à compter. Je suis oublié dans les chronomètres des repas fast-food. Je suis amenuisée par les écrans qui m’ignorent, ils m’ont tout avalé. Je suis là sans être là. Un peu comme un cadeau mais l’emballage autour de moi toujours ».

Il pleurait le temps.

Il s’excusait presque : « C’est rien. Le temps est à la pluie. J’suis tout liquide ».

Vous savez, j’ai  fini par craquer, j’ai pleuré avec lui.

Lui près de moi. Moi près de lui. Dans notre intimité sans partage.

Lui et moi, on a tout l’temps.