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"N'ouvre pas les yeux !" - Texte

Texte ""N'ouvre pas les yeux !"" est un texte mis en ligne par "Deogratias"..

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« N’ouvre pas les yeux ! »

 

 

« Il est huit heures du matin. Pas bien dormi. Mal à la tête. Pas facile les lendemains de marche un peu trop intensive sous la chaleur ! Pfff, allez ma vieille ne te plains pas ! C’est merveilleux d’avoir des jambes encore en état de marche. Souviens-toi de Jacqueline ! »

 

C’est ainsi que je me réveillais ce mercredi de juillet. Je dialoguais avec moi-même, comme souvent. Pendant de nombreuses années, Jacqueline avait été ma meilleure amie, jusqu’à ce jour où une crise cardiaque l’avait emportée. Elle était paraplégique suite à un accident de voiture, je ne l’avais connue qu’en fauteuil roulant.

 

Depuis la fenêtre ouverte de ma chambre, j’écoutais les oiseaux. Je me rappelais un souvenir d’enfance : Une amie me faisait tourner sur moi-même après m’avoir mis un bandeau sur les yeux. Elle m’ordonnait : « Ferme les yeux Sylvie ! ». Forcément, j’étais étourdie, pendant ce temps-là, les autres camarades s’éclipsaient pour aller se cacher tout autour. Le but était que je les retrouve sitôt le tissu retiré de mes yeux. Ce souvenir était si lointain que je me demandais même s’il avait existé. Pas sûr. Pourquoi cette pensée au lever du jour ? Je l’ignorais, mais quelque chose en moi m’intima l’ordre suivant, le même que celui de mon passé  : « Ferme les yeux, Sylvie !  Ferme-les ! ». Ce que je fis.

 

J’aurai dû déjà m’affairer aux occupations du jour : Sortir le chien, manger, faire le ménage etc. Non, c’était hors de question, je le pressentais bien, il était écrit quelque part que je ne devais pas commencer cette matinée comme toutes les autres. Il me fallait refermer les yeux et non les ouvrir. De même j’avais la certitude, venue je ne sais d’où, que ce n’était pas pour me rendormir. Etrange désir qui m’était imposé avec une force incroyable. Je pris la décision de ne pas réfléchir au pourquoi du comment d’une telle inspiration mais plutôt de m’y conformer comme un petit enfant plein de confiance.

 

 « Surtout garde tes yeux clos ! ». J’obéissais.

 

C’est alors que le miracle est advenu. Comme guidée par une voix intérieure, je restais là, immobile, fermée à toute vision extérieure. D’abord, j’entendis les oiseaux piailler dehors, dans le parking, en bas de mon immeuble. « Le parking des oiseaux ! Tiens, je n’y avais jamais pensé !  Ils s’en foutent, eux, que ce soit un lieu réservé pour garer nos voitures. Ils chantent. Encore et toujours. Ils n’ont pas un planning à respecter. Ils sont libres. Ils chantent dans le parking !  « Le parking des oiseaux ! C’est beau ! ».

Ce fut la première révélation de l’opération : « yeux clos ».

 

Ensuite, je remarquais la respiration lente et naturelle de mon corps allongé sur mon lit. Inspire-expire. « Quelle douce mélodie ! Je respire en silence. Ou plutôt : sans mon ordre, mon ventre se gonfle et se dégonfle. L’air entre et sort. Une vague monte et redescend. Sans ma volonté. Sans ma tête. Sans moi ! » Je me mis à rêver : « Me voilà sur une barque au milieu de l’océan, je n’ai pas besoin de ramer. Mon petit bateau avance tout seul poussé par le vent. Me voilà libre, j’avance au rythme que le vent décide, j’entendrais presque les clapotis de l’eau à la surface ! ».

 

Enfin je vis des formes se dessiner sur mes paupières. Je regardais l’envers du décor. Toute tournée vers l’intérieur, je voyais des lumières et des ombres sans forme précise voler devant moi. « C’est vrai, même les yeux fermés, je vois des choses ! ». Ce constat me fit sourire. Le souffle du matin me caressait le front, j’avais l’impression d’être allongée sur l’herbe d’un pré, à observer les nuages. J’avais envie de m’écrier comme au temps de l’enfance : « Regarde, celui là on dirait un mouton ! oh et l’autre là, c’est un oiseau, un aigle ! ».  Je contemplais ce qui se passait sur le ciel de mes paupières fermées : Tantôt clair, tantôt sombre, comme des éclairs, des bulles puis des traits épars.

 

« Surtout garde les yeux clos ! », le petit commandant caché dans mon intériorité restait imperturbable. Pour lui, ce n’était pas encore le moment de quitter la clôture où il m’avait déposée. L’odeur du pain grillé venue des cuisines des autres appartements voisins vint jusqu’à moi. Je salivais. Son goût déjà m’humectait les lèvres. J’avais l’impression de le manger ! Je vis mon sourire. Grand. Large. Remarquable.

 

Le chef au fond de moi s’écria comme un appel au garde à vous : « Voilà, tu as senti, tu as vu, tu as entendu, tu as goûté, tu as respiré. Tu as voyagé. Tu peux ouvrir les yeux ! ». Ce que je fis. « Maintenant, tu peux y aller ! ». Je continuais de sourire comme une enfant ébahie. Si j’avais eu 4 ans seulement, j’aurais couru vers mes parents pour m’exclamer : « J’ai vu à l’envers ! J’ai vu à l’envers ! ». Comme toutes grandes personnes qui se respectent, ils n’auraient pas compris de quoi je parlais. « C’est pas leur faute ! Ils ont pas gardé les yeux fermés ! Ils peuvent pas ! ».

 

C’était décidé, à compter de ce jour, à mon réveil, je garderai les yeux clos. Juste ce qu’il faut.

 

 

« Avant d’aller dans le monde, je m’ouvre à la Vie ! ».

 

 

 

 

 

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Deogratias

11-07-2024

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