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Mon voisin - Texte

Texte "Mon voisin" est un texte mis en ligne par "Deogratias"..

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Mon voisin

 

 

Toujours avec un grand chapeau à large bord posé sur sa tête. Florian est handicapé : l’hydrocéphalie. Disproportionnée est sa tête par rapport au reste du corps. On en rit quelquefois ensemble : « Une grosse tête bien pleine ! ». Il rit. D’ailleurs, il rit tout le temps mon voisin. C’est un être de rire et de sourires. Tout le monde lui dit bonjour, à longueur de journée : dans les rues où nous marchons, dans les boutiques où nous allons. Les gens répondent à tous ses « bonjours » gratuits qu’il donne sans rien attendre en retour. C’est comme ça.

 

Mon voisin a toujours sur lui une écharpe rouge mal arrangée autour de son cou, des grosses chaussures de randonnée aux pieds. Quelle que soit la saison. Tout tordu, une scoliose importante, le dos voûté, il avance. Oui, il marche longtemps. Qu’importe ceux qui me disent : « Il est tout le temps dehors ! ». Il s’en moque mon voisin de ce que disent les autres. Tous ces autres qui depuis son enfance ricanent dans son dos ou bien devant. Quelquefois, je vois, lorsque je suis avec lui, tous les regards qui se tournent vers lui. On dirait que chacun se croit au spectacle du samedi. Au début, j’étais gênée. Il m’a répondu : « Ne t’inquiète pas. Je n’y fais plus attention. J’ai l’habitude ».

 

Mon voisin est devenu un petit frère. Aucun rapport de séduction entre nous, moi qui suis une femme, je n’ai pas l’habitude, tant d’hommes montrent si peu d’égard quand ils vous trouvent jolies. Florian n’est pas comme tous les autres, il a la candeur des enfants qui ne comprennent pas bien les codes sociaux. Il dit ce qu’il pense, il ne drague ni ne courtise. Il ne sait même pas ce que cela signifie.

 

Certains se moquent, j’en suis sûre : « Puisqu’il est dans les rues toute la journée, il n’a qu’à travailler ». Les gens ne peuvent pas savoir. Comment le pourraient-ils ? Parfois, je dois l’aider à pendre son linge, à faire ses lacets, à ouvrir une bouteille, à ramasser un objet, à casser un œuf, à ranger ses chaussures ou bien à verser de l’eau dans une carafe. Quand les gens ne voient pas, ils ne croient pas. C’est comme ça.

 

Florian bégaye beaucoup. Quand il parle, certains s’impatientent. J’ai en même vu qui s’en allait au milieu d’une phrase. Moi, j’ai l’habitude, je prends mon temps. D’ailleurs, parlons-en du temps : Il dit toujours : « J’ai tout le temps ! ». Quel luxe !  C’est si rare de nos jours quelqu’un qui a du temps à vous donner, à vous prendre, à recevoir, à vous aimer. Donner de son temps ou aimer, finalement c’est tout pareil, vous ne trouvez pas ?

 

Mon voisin adore me rendre des petits services, il passe des heures à faire quelques courses par-ci par-là. Il aide souvent les personnes âgées. Il tire son cadi les jours de marché tout heureux de respirer les odeurs, de contempler les étals des marchands. Il aime offrir quelques cadeaux : un livre, une fleur.  Il donne à chacun tout ce qu’il peut donner. Florian aime aussi les puzzles, les livres de littérature et les produits locaux, le miel en particulier. 

 

C’est un être d’innocence et de charité sans équivoque. Il a la  grâce des grands hérons. Il ne comprend pas mes réflexions philosophiques, il n’entend rien à la psychologie. Il n’a pas de mémoire. Tout ce que je lui dis, deux minutes après, il ne se souvient plus. Certains diront que sa tête, sa grosse tête hydrocéphale est pleine de vent. Ce n’est pas vrai, bien au contraire. C’est juste que le Bon Dieu s’est trompé avec lui : Son cœur est dans sa tête.  C’est pour ça qu’elle est si grosse, c’est aussi pour ça que nous avons choisi d’en rire. Oui, son câblage intérieur est différent.

 

Parfois, c’est étrange, il se souvient. Soudain il me raconte quelque chose qui remonte à plus loin que cinq minutes. Quand je lui dis : « Ben, je ne comprends pas, par moments, tu ne te rappelles plus de rien tandis qu’à d’autres, tu me racontes un fait, une parole, un souvenir que j’avais oublié ». Il me répond : « Moi non plus, tu sais, mon cerveau je ne sais pas moi-même ». Il est un être de mystère, de bonté, d’intelligence sans calcul, sans préméditation, sans sous-entendus.

 

Mon voisin s’amuse souvent avec mon chien. C’est ainsi. Sa connexion avec mon petit bichon est une merveille à regarder, à ressentir. Florian a une grosse tête, avec un grand chapeau, un corps tout penché, des gros pieds qui font jusqu’à plus de dix kilomètres par jour.

 

Il est le vent généreux lorsqu’il souffle sur les prairies esseulées, il est la pluie abondante sur les terres arides, il est la force de l’amour qui s’offre sans attendre autre chose qu’un sourire ou un bonjour.

Il ne sait pas chanter, ni même courir, ni faire du vélo, ni rien réparer, ni faire son lit. Quand il cuisine, il met bien trop d’huile dans le fond de la poêle. J’ai beau lui dire, il ne retient rien. Il recommence toujours les mêmes erreurs.

 

Il a pourtant la couleur magnifique des feuilles en automne, la pureté des enfants assis sur les balançoires,  la force tranquille d’une vie simple, sans détour ni complication.

 

Il a l’intelligence du cœur. Ce gros cœur qui s’est glissé dans sa tête, on dirait un espace tout exprès pour nous. Nous les pauvres à petites têtes. Florian est simple, sans don particulier si ce n’est celui d’aimer. Il se croit parfois très expert en calculs, il aime les chiffres. Ce n’est pas grave s’il se trompe. Quand on aime, on dit qu’on ne sait plus compter.

 

C’est un être de routine et d’exception, un peu à part, plein de bonté. Croyez-le ou pas, si le monde possède en son sein une telle personnalité, le monde va bien. Oui, le monde va bien, il ira toujours bien tant que d’autres petits Florian à grosse tête fleuriront la terre de leur bienveillance naturelle, sans artifices ni mensonges.

 

Mon voisin a subi déjà quelques opérations. Trois câbles le traversent du haut de la tête jusque dans le péritoine pour évacuer l’eau en trop qu’il a dedans. Par moments, il a des faiblesses dans les mains, toutes gonflées, maladroites. Il a mal à la tête aussi. C’est comme ça. Quand on aime avec sa grosse tête qui cache un cœur grand comme la mer, on a mal. Forcément.

 

L’océan est dans sa tête. L’hydro : plein d’eau. Dans le céphale : dans le cerveau.  Qu’il est beau ce cœur océan !

 

Voilà,  j’ai pour lui tout le respect du monde. Je vous ai présenté Florian :

 

 

Mon voisin à grosse tête, avec un grand chapeau,

à  large bord bien haut.

Voilà qui je suis...

Ecrit dans le cadre d'un atelier d'écriture : Thème : écrire la vie d'une personne par thèmes (ses vêtements, ses journées, son travail..) et non pas de façon linéaire.

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Deogratias

10-11-2024

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