Mon Appart. - Texte court

Mon Appart.

Une coccinelle devant ma fenêtre est venue s’asseoir près de moi. C’est bien. Je ne suis plus si seule n’est-ce pas ?

Qui est seul ? Est-ce moi ? Est-ce toi ? Qui, dis-moi ? Est-ce qu’on l’est tous ? Ou bien personne ?

Une mouche aussi est venue se poser sur l’étagère à côté de mon lit. C’est bien. Elle n’est pas isolée au moins.

J’entends résonner les voix des touristes sur les terrasses de café. Nul n’est délaissé en ce soir du mois d’août.  Ou bien, sommes-nous tous orphelins même lorsque nous sommes ensemble ?

Je vois ma table de salon, quatre chaises autour. Au moins trois d’entre elles restent toujours solitaires sur le tapis du milieu.

Les fenêtres aussi sont au nombre de trois, elles, c’est sûr, elles profitent ensemble du lever du soleil chaque matin. C’est bien. Qui ignore que les fenêtres sont solidaires ?

Mes livres serrés les uns contre les autres me regardent souvent dans la journée. Quel est celui que j’ai lu le dernier ? Où est-il donc passé ? Je crois qu’il est esseulé au milieu des autres. Comme moi.

La porte fermée dès 18 heures m’ausculte un peu, elle veut être bien certaine que j’ai fermé son verrou. « Oui, c’est fait ne t’inquiète pas la porte. On ne sait jamais n’est-ce pas ? On entend dire tant de choses ».

En vérité, elle reste bien close dès le coucher, et puis même au lever, et puis même en journée, et puis même aux repas. Même sans verrou d’ailleurs. Ma vieille amie la porte de bois, avec un peu de fer et un œilleton sur le milieu.

Mes lampes au plafond sortent de leur sommeil dès que j’appuie sur le bouton. En vrai, elles aussi sont plusieurs, mais une personne sans famille dans la pièce n’a besoin que d’une lampe à la fois, n’est-ce pas ? Elles vivent à l’unité.

A bien y regarder, tant d’objet vivent comme s’ils étaient uniques : les fourchettes et les couteaux, les tiroirs et les tableaux, les rideaux et les plantes sur le buffet. On vit tous à l’unité n’est-ce pas ?

Y a-t-il plus joli que cette solitude partagée ?  Mes meubles et mon logis, le clavier de mon ordinateur ou les ceintres de l’entrée, oui, je le remarque, tout le monde est seul ici. Cet appartement vit sur une île et je ne le savais pas.

La pièce où je vis est rempli de l’oxygène qui rentre dans mes poumons. Elle n’est plus sans amis n’est-ce pas ? Mes plantes ont besoin d’eau, je les arrose chaque soir.

Il arrive même que leurs feuilles tombent au sol, elles meurent donc ici chez moi. C’est vrai, je n’y avais pas pensé. J’ai des cadavres à domicile sur mon plancher chaque semaine. On se meurt chez moi.

Je ramasse les défunts jaunes et brunis par le soleil. Ce grand soleil est sans égal qui frappe ce soir au carreau de la fenêtre face à moi. Même lui brille à l’unité juste avant de se coucher.

J’ai des morts et des cuillères en bois, de la poussière sur la télévision éteinte, des couvertures pliées en haut d’une armoire. Des grandes couvertures pour deux. Une seule s’étale sur mon lit, les autres la regardent. Chacun vit dans son coin.

On crève tous de solitude, n’est-ce pas ? Moi tout seule au milieu de mes morts et mes cadavres jonchés sur le sol. Je ramasse les os et j’essuie la poussière. 

On se meurt chez moi. Et je ne le savais pas.

Ou bien serait-ce moi ?