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Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

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Sortie de route

 

En montant dans le véhicule, Audrey n’eut même pas un regard pour son mari. A peine avait-elle refermé la portière qu’il démarra à fond la pédale. L’ambiance dans l’habitacle devint électrique, ses occupants avaient trop de griefs à se jeter à la figure. Il suffirait d’un mot pour faire éclater une dispute.

Claude se défoulait sur la route, mettant le véhicule à rude épreuve ; il roulait trop vite, sans le moindre souci d’anticipation. Tantôt, il freinait brusquement, trop près du véhicule qui le précédait, tantôt, il se lançait dans des dépassements dangereux.

« Tu conduis comme un malade. Tu cherches quoi ? Tu cherches l’accident ? Tu veux nous tuer, hein ? hurla Audrey, hors de soi. Arrête-toi, qu’on cause un peu ! »

Il ignora l’injonction qui venait de lui être adressée, persistant dans son comportement suicidaire.

« Passe-moi le volant, s’il plaît, Claude, insista-t-elle. Tu n’es pas en état de conduire. »

Comme il faisait la sourde oreille, elle ouvrit la portière et fit mine de décrocher la ceinture.

« Arrête-toi ou je me jette sur le bitume. Et si je m’en sors vivante, je te le jure, je dirai que c’est toi qui m’y as balancé. »

Surpris par la menace qu’elle venait de proférer sur un ton dur, au moment où il déboîtait pour entreprendre un nouveau dépassement, il tourna la tête pour regarder sa femme. Il n’eut pas le temps de lui répondre, un véhicule surgit devant lui tout à coup, alors qu’il ne pouvait plus se rabattre. Pour éviter le choc frontal, il donna un coup de volant à gauche. La voiture fila vers le bas-côté de la route, glissa sur un talus, fit plusieurs tonneaux, et elle s’arrêta les roues en l’air, dans un champ de betteraves.

Ils restèrent un moment étourdis par la dégringolade, accrochés à leurs sièges, la tête en bas. Audrey saignait du nez et avait plusieurs côtes fracturées. Claude saignait de la bouche, il avait le bras droit cassé et le visage couvert de contusions. Quand elle se rendit bien compte de leur situation, Audrey voulut s’extraire de l’habitacle. Peine perdue. Les portières étaient bloquées à cause de la déformation de la carrosserie.

Ils étaient emprisonnés en rase campagne, dans une geôle de tôle cabossée. Elle voulut utiliser le klaxon pour attirer l’attention de quelqu’un qui se trouverait par bonheur, dans les environs, mais il était aussi hors d’usage. Elle ne put plus se contenir, l’heure des reproches et des plaintes amères était sonnée.

« Voilà le résultat de ta jalousie stupide ! s’écria-t-elle, rouge de colère. Tu m’as fait honte avec ta gesticulation et tes regards furibonds. A cause de toi, j’ai été ridiculisée par une joueuse débutante. Et maintenant, on est là, enfermés comme des lapins, jusqu’à ce qu'on vienne nous secourir. Je n’aurais jamais dû t’épouser, ç’a été la plus grande erreur de ma vie ! »

Claude ne réagit pas aux accusations de sa femme, il saignait toujours de la bouche, tenait le bras cassé posé sur la cuisse et, de temps à autre, il tâtait son visage meurtri. Il ne s’était pas remis des violentes secousses qui l’avaient assommé. Les yeux éteints, vides de pensée, il semblait ne pas avoir l'usage de toutes ses facultés mentales. Audrey s’aperçut que l’état de Claude exigeait des soins urgents ; alors, elle se coucha sur dos et se mit à frapper de ses talons la vitre de la portière, mais ses efforts ne furent pas récompensés.

« Claude, parle-moi, s’il te plaît ! supplia-t-elle, revenant auprès de lui. Si tu m’entends, tourne la tête vers moi. »

Il resta insensible à son appel, le regard absent ; la voix d’Audrey ne franchissait pas la barrière qui le séparait du monde réel. Désespérée, elle tenait la tête entre ses poings serrés, prête à éclater en sanglots, quand une idée jaillit comme une étincelle dans son esprit. Comment était-il possible qu’elle n’y ait pas pensé plus tôt ? La banquette étant rabattable, elle pouvait avoir accès au coffre, où elle y trouverait de quoi briser les vitres. Elle souleva les sièges sans difficulté, mais, quand elle voulut rabattre le dossier, elle se rendit compte que jamais elle n’arriverait à l’arracher à ses points d’ancrage. Elle s’effondra tout d’un coup et se répandit en sanglots, donnant libre cours à ses larmes.

La nuit ne tarderait pas à tomber, l’espoir d’être délivrés s’amenuisait de minute en minute. Ils se verraient contraints de passer la nuit emprisonnés. Ce serait fatal pour Claude, il ne tiendrait pas le coup, s’il n’était pas secouru au plus vite. Elle se retrouverait avec un cadavre sur les bras au lever du jour.

Regardant la route à travers ses larmes, Audrey crut voir une forme humaine au bord du talus. Alors, elle s’essuya les yeux et fixa de nouveau le point précis où quelque chose avait bougé : un homme vidait sa vessie. Elle se mit sur les genoux, tapa des pieds et des mains la tôle et les vitres, aussi fort qu’elle le pouvait et, en même temps, elle s’époumonait criant au secours.

Une fois soulagé, le bonhomme tourna le dos aux naufragés et s’en alla, au grand désespoir d’Audrey. Elle s’affaissa sur le fond du véhicule, voyant s’évanouir la dernière chance d’être secourus.

Mais, quelques instants après, l’homme réapparut au bord du talus. Il observa la voiture renversée au milieu des betteraves et les traces récentes de sa sortie de route.

Audrey se remit à hurler, faisant autant de bruit qu’elle pouvait, mais l’homme tourna de nouveau sur ses talons. Il s’éloigna pour de bon, cette fois, tandis qu’elle restait en proie à la cruelle incertitude. S’était-il rendu compte qu’il y avait des personnes enfermées dans le véhicule accidenté ?

Elle eut la réponse une vingtaine de minutes plus tard, quand elle entendit des sirènes hurler au loin. Les pompiers se rapprochaient très vite. Ils cassèrent le pare-brise, sortirent les deux blessés de l’habitacle, les allongèrent sur des civières ; puis ils se dépêchèrent de rejoindre l'ambulance arrêtée sur le bord de la route. Enfin, ils repartirent toutes sirènes hurlantes, en direction de l’hôpital le plus proche.

Audrey put rentrer à la maison dans la soirée. Quant à son mari, il resta interné dans un état grave.

Il quitta l’hôpital quinze jours après y avoir été admis. Il se déplaçait avec assurance, ne portait plus de traces de meurtrissures sur la figure et, apparemment, il s’était bien remis de son état de choc. L’accident ne serait plus qu’un mauvais souvenir, s’il n’avait pas le bras en écharpe.

Comme la voiture était irréparable, Audrey l’envoya à la casse. Elle alla chercher Claude en taxi, l’air morose. Elle avait mal vécu sa rude épreuve au milieu des betteraves, en voulait à son mari d’autant plus qu’elle le tenait comme seul responsable de leur malheur. Elle s’était apitoyée un petit moment sur lui, lors de l’accident, craignant qu’il ne décède dans la voiture, mais à présent, elle appréhendait son retour au foyer, sachant que sa jalousie maladive et sa mentalité de péquenot continueraient de lui empoisonner l’existence.

Elle prit Fabrice avec elle, il allait dans sa sixième année. C’était un garçon espiègle aux yeux bleus et aux cheveux blonds comme sa mère. Il passait le plus clair de son existence avec ses grands-mères, qui se relayaient pour le garder, et il restait de temps à autre chez elles la nuit. Maintenant qu’elle était en arrêt de travail, Audrey en profitait pour s’occuper de lui à plein temps. Ils voyageaient tous les deux à l’arrière du taxi, l’enfant se mit à questionner sa mère :

– Maman, j’ai entendu mamie dire que tu n’es pas nette. Elle a dit aussi que tu devrais avoir honte.

– Mamie Jeanne ?

– Non, l’autre, mamie Candice.

– Elle ne m’aime pas, je ne suis pas une belle-fille à son goût. Elle parlait à qui quand elle a dit ça ?

– A la femme qui guette toujours à sa fenêtre.

– Ah ! je vois. Fais pas attention, chéri. Laisse causer les commères, ça nous empêche pas de respirer.

– C’est quoi des commères, maman ?

– C’est des femmes méchantes qui aiment se raconter des mensonges sur leurs voisins.

Le taxi s’arrêta devant l’entrée de l’hôpital. Claude attendait dehors, le bras moulé dans du plâtre, et il tenait une cigarette coincée entre l’index et le majeur de la main gauche. Il aspira une dernière bouffée, puis laissa tomber le mégot et l’écrasa du bout de la chaussure.

Au lieu de monter auprès d’Audrey et de Fabrice, il préféra s’asseoir à côté du chauffeur qu’il connaissait de vue. Il jeta un regard en dessous à sa femme ; leurs rapports ne s’étaient pas réchauffés depuis l’accident. La mise au point que l’état de Claude avait empêchée, au milieu des betteraves, n’avait pas été annulée pour autant.

Audrey attendait juste le bon moment pour lui dire ce qu’elle avait sur le cœur, avec d’autant plus de hargne qu’elle s’ennuyait à la maison, loin de l’animation des courts, à cause de l’irresponsabilité de son mari.

Dès qu’ils rentrèrent chez eux, Audrey dit à Fabrice d’aller jouer sur la pelouse avec ses camarades. Elle posa le regard sur son mari ; elle le sentit vulnérable avec un seul bras pour gesticuler ; elle le voyait comme une sorte de handicapé provisoire.

Il aurait besoin d’elle pour lui couper la viande dans l’assiette et lui savonner le dos. Mais il pouvait quand même se servir de son fusil, si jamais la folie meurtrière le prenait.

– On a besoin d’une voiture. Ce n’est pas un luxe quand on habite loin de tout ou presque, dit Audrey.

– Un crédit de plus ? On aura du mal à y arriver.

– Tu n’avais qu’à m’écouter, on n’en serait pas là. Tu as manqué de nous tuer, tu n’es qu’un irresponsable ! Mais qu’est-ce qui t’a pris ce jour-là, bon Dieu ? s’écria-t-elle, rouge de colère.

– Je savais pas trop ce que je faisais à ce moment-là. J’étais fou de jalousie. J’avais besoin de m’étourdir, pour pas y penser.

– Penser à quoi ?

– A tes fesses qui font bander les mecs sur le bord du court. Je les ai vus, tes glandeurs de supporters. Ils bavaient d’envie de te sauter quand ta jupette se relevait.

– Pauvre con ! pesta-t-elle retroussant sa jupe et se dénudant les hanches. Il n’y a que toi qui les tripotes, mes fesses. Regarde bien. Est-ce que leurs regards y ont laissé la moindre trace ?

– Ils s’en vont de fantasmes plein la tête.

– Et alors, qu’est-ce que ça peut te faire ? Est-ce ma faute si j’attise l’envie des hommes, hein ? Je dois peut-être me rendre moche pour qu’ils ne s’intéressent pas à moi, ou bien jouer au tennis, la tronche cachée derrière une burqa ? C’est ça que tu veux ? Mais tu devais plutôt être fier d’avoir une femme désirée par d’autres que toi. Si tu me trouvais trop belle pour toi, il ne fallait pas m'épouser.

– Ça jase dans le pays. Y a pas de fumée sans feu, comme on dit.

– Je vois que les ragots sont plus crédibles pour toi que ma parole. Ça va très mal finir. Oui, je le sens. Ça va très mal finir. Ecoute bien ce que je vais te dire. Ne viens plus me voir jouer, c’est un bon conseil. Si tu t’avises de faire un scandale, je te quitte sur-le-champ.

– Mais vas-y ! Prends tes affaires et casse-toi, bêcheuse ! Je peux très bien vivre sans toi. Je suis encore capable de trouver une compagne.

– Pour que tu te mettes à pleurer comme un gamin ?

Si je ne suis pas encore partie, c’est pour ne pas perturber Fabrice. Mais ne me complique pas la vie, je te le ferais payer cher. Tu t’en mordras les doigts jusqu’au sang.

Il se releva en marmonnant des injures, alla droit vers la porte et sortit sur la pelouse, où Fabrice jouait au ballon avec deux mômes de son âge.

 


 

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Auteur

J.L.Miranda

08-01-2018

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Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

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