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Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

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La jalousie de Claude

 

L’accouchement mit fin à la période qui avait débuté par une tache de sang virginal sur la banquette de la voiture où, avec un plaisir mêlé de douleur, Audrey s’était donnée à son futur mari. Le résultat de cinq ans de vie commune était bien visible, non seulement dans l’enfant qu’elle avait mis au monde, mais aussi dans son comportement. Elle avait mûri comme un épi de blé sous le soleil estival. Maintenant, elle s’intéressait davantage aux paysages de sa vie intérieure, qu’elle se plaisait à scruter dans les moments d’abandon.

Elle finit par ressentir les mouvements de son âme, les élans du cœur et des lueurs nouvelles qui éclairaient son esprit sur les choses de la vie et les enivrants mystères de l’amour, et elle se rendit compte de l’empreinte légère, presque inexistante, que Claude avait gravée dans son cœur. Le temps qu’elle avait vécu à ses côtés ne lui avait guère laissé de souvenirs heureux. Nul feu de bois odorant ne brûlait dans les jardins mornes de la nostalgie. Claude n’existait pas au-delà de sa présence physique ; il était trop mou, trop bête, trop fade, pour imprimer des images radieuses dans sa mémoire.

Elle rêvait de faire bâtir les remparts d’une citadelle autour d’elle et de son fils. Elle pressentait qu’un temps encore plus amer était à venir, le temps des griefs, des gesticulations, des regards haineux, des déchirements qui vous privent de sommeil. Le temps de la tension nerveuse qui la traînerait aux sombres buissons de la dépression, d’où elle sortirait peut-être brisée à jamais.

A présent, Claude lui apparaissait sous son vrai jour. Elle comprit qu’il se comportait en machiste à la maison, cherchant à imposer sa volonté, pour compenser ses petites lâchetés à l’extérieur. Elle avait appris que ses collègues de travail le raillaient à propos de sa femme, parce qu’ils le savaient très jaloux.

« Eh ! Claude, tu crois que ta belle blonde t’est fidèle, hein ? Faudrait lui acheter une ceinture de chasteté pour en être sûr. »

Ils riaient gaillardement, tandis que son imbécile de mari, au lieu de prendre l’attitude digne d’un homme qui se respecte, se dérobait en râlant.

Bientôt, leurs rapports commencèrent à se dégrader sérieusement. Entre eux, les gestes tendres n’avaient plus cours, les mots doux furent abolis de leur communication. Claude reprochait à Audrey sa froideur, s’étonnait qu’elle n’ait plus sous la main des friandises à lui offrir comme auparavant ; et il voulut savoir pourquoi elle ne l’embrassait plus en rentrant.

Elle pensait qu’il valait mieux lui cacher la vérité dans l’immédiat. Il était un petit paysan refoulé, avait des humiliations plein les sabots. L’instinct animal risquait de prendre le dessus dans sa tête, surtout sous son toit où il avait l’habitude de se comporter en maître. Quelques pulsions désordonnées, la jalousie lui troublait la raison, et dès lors, c’était la violence verbale qui s’imposait.

Si Audrey avouait qu’elle ne l’aimait plus, il verrait les blagues de ses collègues comme des allusions à une réalité bien établie. Alors, il se rappellerait avoir remarqué d’autres signes plus insidieux, comme l’œil goguenard d’un voisin, le toisant au passage. Au bout du compte, ses soupçons se trouveraient réconfortés par son aveu et, le dépit aidant, il pouvait se figurer qu’Audrey le trompait vraiment.

Il se verrait trahi par sa femme, bafoué par tout un village, et cette humiliation, bien plus dure à supporter que les autres, achèverait d’éveiller la bête féroce qui sommeillait en lui. Alors, le geste irréparable, suscité par la jalousie, ne tenait peut-être qu’au franchissement de quelques pas : le fusil de chasse se trouvait dans leur chambre, en haut de la penderie, qui plus est toujours chargé.

Audrey lui disait prudemment qu’elle se débattait dans un état dépressif, à la suite de l’accouchement, le fameux baby blues. Il devait être patient, tout finirait par rentrer dans l’ordre. Pour accréditer le mensonge, elle demanda à son médecin des antidépresseurs qu’elle faisait semblant d’avaler le soir, juste avant de se coucher. En fait, elle les jetait dans la cuvette de la salle de bains. Ils n’étaient pour elle qu’une assurance matrimoniale aux frais de la Sécurité sociale. C’était bien commode, ce faux traitement de sa dépression imaginaire. Il servait à tout justifier, son mutisme, sa tendance à l’isolement, et même les défaillances de sa libido. Elle ne mettait guère d’ardeur dans les rapports amoureux, s’y prêtait par pitié, par complaisance ou par devoir conjugal, peut-être un peu de tout cela à la fois, et elle ne lui demandait qu’une chose : qu’il lui fiche la paix ensuite.

Comme d’habitude, avec retour du printemps, Audrey ressentit un regain de vitalité. L’épanouissement de la nature, les journées plus longues, la lumière plus intense que le soleil déversait sur le pays faisaient monter dans ses veines l’appel des courts. Tout son corps éprouvait le besoin de jouer et s’en enivrait par avance. Quelques instants de concentration, les yeux mi-clos, suffisaient pour qu’elle se représente devant un filet, en pleine action ; si vivement qu’elle se mettait à bouger, la main fermée comme empoignant la raquette, la rage de vaincre cramponnée aux tripes, revivant de grands moments d’émotion passés.

Elle sortit du placard sa belle tenue de sport, vérifia l’état de ses raquettes : il y avait un cordage à refaire, un autre à calibrer. Elle avait besoin d’une paire de chaussures neuves et de plusieurs jeux de balles. Enfin, elle prit rendez-vous avec une autre joueuse, pour le premier match d’entraînement. Le soin qu’elle mettait dans les préparatifs, en vue de reprendre la compétition, tranchait avec l’attitude franchement réservée de son mari.

Le sport favori d’Audrey ne lui avait jamais plu. Il avait essayé en vain de l’en détourner à plusieurs reprises, mais il n’osa pas lui interdire les courts formellement. Il était plus vulnérable qu’il n’en avait l’air, et Audrey le savait. Bien que balourd, insensible aux reproches de sa femme et lui laissant toutes les corvées du ménage, il enveloppait dans sa rude carapace un enfant malheureux, capable de fondre en larmes dès qu’elle menaçait de le quitter. Au fond, cette fragilité maladive la touchait, minorant bien des rancœurs.

Le succès de sa moitié lui portait ombrage. Il la regardait jouer rarement, ne la félicitait que du bout des lèvres pour les tournois qu’elle remportait. Il dédaignait, d’un haussement d’épaules vexant, les trophées qu’elle était si heureuse de recevoir. Pour lui, une coupe n’était qu’un bout de ferraille polie. Quant aux autres avantages, suivant sa propre expression, elle n’empochait même pas de quoi s’acheter des raquettes.

Cette attitude vis-à-vis du sport venait en partie du fait qu’il était incapable de persévérer dans l'effort. Même la course à pied le décourageait, parce qu’il manquait d’entraînement. Au bout de cent mètres, il se pliait en deux contre le premier appui trouvé. Faute de quoi il se laissait tomber par terre, la bouche grande ouverte, brassant des courants d’air.

Mais il y avait une raison plus importante, tenant de sa nature possessive, à l’aversion qu’il avait pour le tennis. Sur le court, plus encore qu’à l’ordinaire, Audrey allumait le regard de quelques mâles, qui se déplaçaient exprès pour se rincer l’œil, surtout quand il faisait chaud. Les joueuses portaient une jupette, laissant leurs cuisses à nu, parfois davantage, à l’occasion d’échanges serrés.

Claude grinçait des dents, le regard farouche, les poings crispés de rage. Il retenait avec peine la jalousie qui le poussait à traîner sa femme hors du court, pour la ramener à la maison contrainte et forcée. Pour se prémunir contre sa tentation, il prenait soin d’éviter certains matchs qu’elle disputait à moitié dévêtue, comme il le prétendait, depuis l’accident provoqué par la tenue qu’il jugeait indécente.

Ce jour-là, Audrey fut battue sur un score sans appel : deux manches à zéro. Claude se tenait debout sur le bord du court, il grimaçait dès qu’il apercevait la culotte de sa femme. Personne, à part lui, ne saurait la regarder. Il prenait une expression mauvaise, jetait des regards furieux à Audrey lorsque sa jupette s’envolait.

Cette attitude l’empêchait de se concentrer. Elle ne réussit pas à rentrer dans le match ; elle servait comme une débutante, manquait des points faciles et, naturellement, elle fut surclassée par une joueuse qui, au départ, n’avait aucune chance sur le papier.

A la fin du match, Audrey ne s’attarda pas auprès de ses admirateurs. Elle leur dit à peine qu’elle prendrait sa revanche à la première occasion, puis elle s’achemina vers la voiture, le visage crispé, la rage au ventre. Elle en voulait à son mari. Sa colère était susceptible d’éclater à la moindre contrariété ; alors, la soirée risquait fort d’être animée la maison.

Pour sa part, Claude attendait sa femme quelques mètres plus loin, le visage rembruni ; il repassait en boucle, dans sa tête, les images qui motivaient son mécontentement. C’était décidé une fois pour toutes : désormais, il ne l’accompagnerait plus sur les courts.


 

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Auteur

J.L.Miranda

08-01-2018

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Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

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