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Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

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L’envie d’autre chose

 

A dix-huit ans, Audrey était entrée de plain-pied dans la vie adulte, renonçant de son plein gré aux joies insouciantes de l’adolescence. Elle avait grandi au sein d’une famille modeste, comprit très tôt qu’il lui fallait au plus vite voler de ses propres ailes, si elle voulait prendre sa revanche sur la vie.

Claude n’était pas mieux loti. Rudoyé par son père, qui était un ivrogne, fainéant de surcroît, il ne supportait plus de vivre à la ferme. Le vieux délaissait sa terre et battait sa femme et ses enfants, parce qu’ils ne trimaient pas assez à son goût.

Le mariage avec Audrey était comme une issue de secours, un moyen de s’en tirer. Leur union fut donc scellée sous le signe de l’émancipation vis-à-vis de leur famille. Le géniteur de Claude, lui, après avoir bu tout son bien, finit par se pendre à une poutre de la grange, laissant encore des dettes à sa veuve, pour qui le deuil fut un soulagement.

Les mariés avaient un projet ambitieux : leur premier enfant devrait grandir dans leur maison à eux, à lui. Il leur fallut travailler dur, économiser sur tout, renoncer aux sorties, tirer un trait sur les vacances. Mais ils gagnèrent leur pari, après de longues années d’efforts.

Revenant de la maternité, tenant son fils dans ses bras, Audrey était fière du petit trésor qu’elle serrait contre son cœur. Elle regarda la maison située devant la sienne, alors que Claude ouvrait la porte.

– La mère Lorin nous regarde, j’ai vu ses rideaux bouger, dit-elle, se retournant pour protéger son fils.

– Rentre, dépêche-toi, avant qu’elle jette le mauvais œil au petit.

Ils franchirent vite le seuil, refermant aussitôt la porte derrière eux.

– Te voilà chez nous, chez toi, mon bébé. Qu’est-ce que tu es beau ! s’écria-t-elle d’une voix émue.

Claude n’était pas très affectueux. Il se rapprocha de sa femme et la caressa avec sa gaucherie habituelle.

– Il a surtout envie de dormir, tu peux le recoucher maintenant.

Elle suivit l’avis de son mari, déposa son trésor dans le couffin, le bordant avec tendresse.

– Jusqu’ici, nous étions un couple en ménage, nous formons désormais une famille, dit Audrey, se retournant vers son mari.

– C’est du travail et des soucis en plus, répondit-il, terre à terre.

– Je vais demander à ta mère de garder notre petit bout de chou. Elle sera une bonne nourrice, non ? Et puis, ça nous reviendra moins cher.

– T’as vu sa bicoque humide et mal chauffée ? Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Tu n’as qu’à en parler à la mère Lorin.

– Ah ! très drôle. Cette vipère ? Jamais de la vie ! Je préfère demander un an de congé sans solde et le garder moi-même.

– On n’y arriverait pas avec mon salaire. On a le crédit de la maison à rembourser.

– Nous avons le temps de réfléchir. J’ai encore plus de deux mois pour dorloter mon bébé à temps complet. Ta mère ou une nourrice agréée… nous trouveront bien une solution. »

En ce temps-là, Claude passait pour un bon mari, dans le sens où les gens l’entendent en général. Il était travailleur, arrangeant, respecté des voisins, apprécié dans l’entreprise où il travaillait. En dehors de la chasse, sa seule passion, il occupait ses loisirs à des choses utiles. Quand il ne sortait pas en mission avec les pompiers, il cultivait le jardin ou bricolait dans le garage. Même la crainte qu’il ne devienne comme son père, dont le corps pendu dans l’obscurité de la grange avait longtemps hanté les rêves d’Audrey, s’estompa peu à peu au fil des années. Mais elle n’était pas pour autant une femme comblée. Il y avait dans son cœur une attente qu’elle ne savait pas nommer. C’était un bonheur sans visage qu’elle appelait de ses vœux.

Honnêtement, elle ne pouvait pas prétendre qu’elle était follement éprise de Claude quand elle l’avait épousé. Elle voulait changer de situation, et comme celui-ci semblait très attaché à elle, lui répétant à l’envi qu’il remuerait ciel terre pour la rendre heureuse, elle s’était laissé séduire. Puis le travail, le ménage et la lutte obstinée pour constituer un patrimoine absorbaient toute son énergie.

Elle n’avait pas le temps de se poser des questions sur l’amour. Le fait de savoir si elle aimait ou non son mari n’était pas primordial. L’important était la concrétisation de leurs projets. Elle était jeune, vigoureuse, dormait comme une souche la nuit. De temps à autre, quand la fatigue lui laissait un répit, elle s’acquittait de son devoir conjugal. Elle ne savait pas que l’amour véritable devait dépasser le contact de deux épidermes et le rencontre de deux âmes. Avec le temps, des camarades éclairées en la matière lui dessillèrent les yeux, elles lui prêtèrent des livres qu'elle dévorait, brûlant d'en savoir plus sur le plaisir de l'amour. Et elles lui disaient :

« Ceux qui se contentent de l’amour physique n’ont pour septième ciel que le plafond de leur chambre. »

Le démon impatient du changement l’habitait de nouveau, comme dans la période précédant son mariage. Ayant atteint l’objectif qu’elle s’était fixé, elle souhaitait passer au stade suivant. Le problème était qu’il n’y avait pas de place pour Claude dans l’avenir dont elle rêvait. 

Elle ne savait pas exactement le virage qu’elle voulait amorcer, ni dans quelle situation elle se retrouverait à sa sortie. Peut-être ne s’agissait-il que d’un rêve qui avait peu de chances de devenir un projet réalisable. Mais que cela reste à l’état de rêve ou devienne réalité, son mari ne pouvait pas en faire partie. L’expérience lui avait appris que son existence ne serait qu’une envie perpétuelle d’autre chose, aussi longtemps qu’elle vivrait avec lui.

En attendant, se contentant d’un bonheur de façade, elle essayait de se résigner à son sort, donnant à Fabrice beaucoup de temps, de soins et d’amour. Les hommes qui s’intéressaient à sa personne ne valaient même pas une pensée romantique. Ce n’était que des coureurs, lorgnant ses fesses, brûlant de la posséder, rien que pour le plaisir éphémère dont ils n’auraient cessé de se vanter par la suite. Ils parlaient volontiers de sexe, ils étaient lestes à manier la gaudriole, prompts dans la proposition indécente. Mais ils n’avaient pas d’imagination, ne savaient pas dire les mots qui font rêver une femme, si peu romanesque que puisse être sa nature.

Entre-temps, les gens qui connaissaient Audrey de près ou de loin enviaient sa situation. Elle avait un bon mari, un fils adorable, une belle maison. Qu’importait l’amour ? Si son homme ne lui suffisait plus, elle n’avait qu’à prendre un amant, à l’instar de certaines collègues de travail qui ne se cachaient pas pour parler de leurs liaisons extra-conjugales.

« Nous ne sommes pas des nonnes ! » aimait à scander une syndicaliste, maîtresse du chef magasinier, syndicaliste lui aussi. Le plaisir de l’amour est le seul bien que nous pouvons avoir à égalité avec les rupins qui nous asservissent. Égalité en quantité, égalité en qualité. Raison de plus pour ne pas nous en priver ! Jouissons donc quand nous en avons envie, avec qui nous avons envie ! Soyons libres, camarades ! Disposons de notre corps suivant nos désirs ! »

Dans sa rage démagogique, dissolue comme la tenancière d’un bordel, la soixante-huitarde se plaisait à faire l’apologie du plaisir des sens, oubliant la fatigue et le stress, les deux principales entraves au bonheur en amour.

Un après-midi, au cours de la pause, Audrey ne put s’empêcher d’apostropher la syndicaliste :

« Tu te fiches de notre poire ? Tu nous prends pour des gourdes ? Les rupins ne s’échinent pas comme nous autres, dans des tâches pénibles. Ils se nourrissent bien, ils ont les moyens de s’offrir des soins de remise en forme, ils vont se prélasser dans leurs maisons de campagne le week-end. Alors que les ouvriers passent le dimanche à roupiller, parce qu’ils doivent repartir au boulot, pour une nouvelle semaine de fatigues. Jamais nous ne pourrons profiter des plaisirs de la vie comme eux.

– Ça n’a rien à voir, riposta la syndicaliste piquée à vif, le confort et la bonne bouffe n’ont rien à voir avec le plaisir de l’amour. C’est une question de tempérament. Certains en ont à revendre, d’autres n’en ont pas assez. Il faut déjà se débarrasser des idées toutes faites, reçues en héritage, et apprendre à porter au zénith le plaisir des sens.

– Tu pousses tes camarades à tromper leur mari. Tu ne penses pas aux malheurs que cela peut leur causer : la mésentente dans le ménage, la violence et le divorce, reprit Audrey.

– Une femme qui parle de la sorte est pour sûr esclave de son homme.

– Et toi, tu aimes l’échangisme et les partouzes, tu es une débauchée. Voilà ce que tu es, une débauchée !

– Tais-toi, bégueule ! Tu es plus froide qu’un iceberg, tu ne sais pas ce que jouir veut dire. Toi et ton mari, vous devez baiser comme des chimpanzés. »

Cette réplique injurieuse sortit Audrey de ses gonds. Elle s’élança sur la syndicaliste, lui attrapa les cheveux et la secoua rudement. Cette dernière en fit de même, démo lissant la belle coiffure blonde de son adversaire. Audrey lui donna un violent coup de pied sur la jambe gauche et la poussa des deux mains, la jetant à la renverse.

Elle fut punie de trois jours de mise à pied disciplinaire, tandis que Jocelyne, bénéficiant de la bienveillance intéressée du contremaître, s’en tira avec un simple avertissement.

 

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Auteur

J.L.Miranda

02-01-2018

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Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

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