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Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

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Un déjeuner particulier

 

Julio songeait parfois aux filles qu’il côtoyait au bureau. Il s’amusait à les passer en revue, mentalement et, chaque fois, il arrivait à la même conclusion : aucune ne lui plaisait vraiment. D’autant moins qu’il croyait venu le temps de se caser pour de bon.

Nancy roulait ses hanches dans les allées de la salle de distribution, un piercing attaché sur le nombril, affriolante comme une vamp. Elle avait un tempérament de feu, la bouche gourmande et le regard sensuel. Il aurait pu tenter le coup, sans risque d’essuyer un refus, à en juger par le regard flatteur dont elle l’enveloppait physiquement. Mais il savait que ce ne serait qu’une conquête facile, suivie d’une liaison éphémère, dont la rupture aurait lieu un matin, pas trop éloigné, quand la lassitude de l'amour assouvi viendrait le prendre à la gorge.

L’aventure pour l’aventure, sans d’autres perspectives que le plaisir, lui rendait le cœur frileux. Il ne tomberait jamais amoureux d’elle, l’aimer était au-dessus de ses forces. Il en avait la certitude quand elle se répandait en expressions vulgaires, propres de la canaille des bas-fonds. Il cherchait la future mère de ses enfants qui devrait, impérativement, avoir le profil d’une femme dont la largeur d’esprit n’aurait d’égale que la noblesse du cœur.

Il pensait parfois à elle quand il était seul, affalé dans un fauteuil, regardant la télé ou lisant un livre, en attendant l’heure d’aller se coucher. L’hiver fut particulièrement rigoureux cette année-là. Les facteurs grelottaient pendant les tournées, ils avaient du mal à rédiger les avis de passage, à cause de l’engourdissement de leurs doigts glacés, raides et imprécis. Il n’avait jamais vu le paysage nordique que formait le manteau de neige étendu sur la ville, ni le canal de l’Ourcq figé sous une épaisse couche de glace.

La journée finie, il rentrait à sa cité de banlieue, content de retrouver la douce chaleur du foyer, mais la nuit tombait bientôt sur le quartier. La solitude, malgré le bruit de la télé ou de la chaîne hi-fi, sortait des recoins où elle s’était repliée pour venir flotter autour de lui, telle une ombre invisible et mélancolique qui le pénétrait jusqu’au fond de l’âme.

Un matin, vers huit heures, il tomba sur Nancy dans la salle de repos, devant les distributeurs de boissons. Tous les deux, ils avaient fini la préparation de leur tournée, et il leur restait un bon quart d’heure avant le départ des bus. Julio posa la sacoche par terre et prit place à la table qui se trouvait là, pour siroter un petit café. Nancy fit de même, elle s’assit à portée de souffle devant lui, frémissante, accessible, disposé à se confier.

La conversation s’engagea entre eux sur une question qui semblait la préoccuper à ce moment-là : l'attribution proche des quartiers disponibles. Il faut savoir que chaque quartier était divisé en deux tournées distinctes et que, dans un premier temps, le traitement du courrier à distribuer était fait en tandem. Comme l’une des tournées du quartier de Nancy était à prendre, du fait de la mutation de son titulaire, elle s’inquiétait en pensant à la personne qui remplacerait ce dernier.

– Quel est le profil que tu as en tête ? demanda Julio.

– Si c’est une nana, je voudrais qu’elle sente bon, qu’elle soit arrangeante, dégourdie devant le casier, et pas trop bavarde.

– Et s’il s’agit d’un mec ?

Je le voudrais décoincé côté braguette, chaleureux, doux au toucher et prêt à saisir la balle au bond.

Mais c’est un peu mon portrait, non !

Tu trouves ? Hum ! Toi, t’as un quartier cool, t’es pas près de le lâcher.

Eh, qui sait ? Je prendrais peut-être une tournée motorisée, sinon…

Julio bondit tout à coup, se précipitant dans l’allée. Une queue de cheval blonde dansait dans sa tête. Il regarda du côté du secrétariat, reconnut la jeune femme à son allure dégagée. C’était la folle de l’aube, celle qu’il avait vue, un matin pluvieux, les bras écartés comme un Christ blond sur sa croix. Croyant rêver, il se rapprocha du bureau vitré, elle était bien là, debout, discutant avec la secrétaire.

Il ne se pressa pas d’aller à la rencontre d’Audrey ce jour-là, ni les jours suivants. Il éprouvait une appréhension indéfinissable, se demandant quelle serait sa réaction lorsqu’ils se retrouveraient face à face. Un matin, au cours de la première séance de tri général, elle vint se poster à côté de lui.

– Tu fais semblant de ne m’avoir jamais vue. Pourquoi ? lui dit-elle sans détour.

Je n’ai pas gardé un souvenir agréable de notre première rencontre.

Ça s’est plutôt bien terminé. Je crois m’être rachetée en te tirant d’embarras chez les flics, non ?

Oui, on peut voir ça comme ça. En tout cas, j’ai été très marqué par cette histoire.

Tu ignores totalement ce qui s’est passé avant et après notre rencontre. Si je te racontais ma situation à ce moment-là, tu serais à même de relativiser mon attitude.

Je t’écoute.

Ce n’est pas le moment ni l’endroit pour me confesser. Entre midi et deux, je serais seule à l’appart. Isabelle n’est pas là. Si tu veux m’y rejoindre, nous serons bien tranquilles pour parler, loin d’oreilles indiscrètes.

Pendant toute la matinée, la proposition d’Audrey trottina dans la tête de Julio. Il trouva de bonnes raisons pour ne pas l’accepter, se souvenant de leur rencontre inopinée sous la pluie. Il la revoyait trempée jusqu’aux os, les pieds joints, la tête basse, les bras écartés comme un Christ blond, cloué sur une croix invisible. Et, quand il voulut gentiment la réconforter, plein de prévenances, elle s’était hérissée comme une chatte devant un clébard menaçant.

Son comportement étrange avait suscité en Julio une sorte d’amertume, qui fut gravée dans sa mémoire avec les images de leur rencontre singulière. Bref, il ne pouvait pas évoquer cet épisode sans en éprouver le désagrément.

Tout à l’heure, il avait regardé de très près le visage d’Audrey. Il le trouva un peu crispé, et il était recouvert de duvet blond que son teint doré rendait presque invisible. Ses beaux yeux bleus, froids comme des lacs de montagne, n’exprimaient pas la moindre émotion lorsqu’il faisait exprès de les caresser d’un regard insinuant. Si les yeux étaient les fenêtres de l’âme, comme on le prétendait, celle de sa collègue devait être bien terne.

Ses impressions négatives, additionnées aux souvenirs désagréables de leur première rencontre, lui auraient largement suffi pour repousser ses avances. Mais une voix, s’élevant dans le tréfonds de sa personne, vint contrecarrer son bon sens inné et sa volonté, pourtant aguerrie par les tribulations de son existence. Elle avait éveillé sa curiosité, frappant son imagination fertile dès le premier contact. Quand il repassait à l’endroit de l’accident par temps de pluie, avant l’aube, l’épisode du suicide manqué lui revenait en mémoire.

Il avait un faible pour les femmes vives, atypiques, ayant du caractère et de la répartie. Les partenaires convenues, ordinaires, transparentes, du genre de Monica, n’avaient rien pour stimuler en lui l’envie d’aimer. Il brûlait de connaître l’histoire d’Audrey, si tourmentée qu’elle eût été. Il aimait à s’imaginer en homme au grand cœur, capable de comprendre et de consoler toutes les misères du genre humain. Qu’est-ce qu’il risquait à la fin ? Ce serait pour le moins amusant de voir la tournure que prendraient les choses quand ils se retrouveraient seuls, l’un en face de l’autre, dans un appartement où il n’y aurait personne d’autre qu’eux. Aurais-tu peur d’une faible femme ? Allons, un peu de cran ! Reprends-toi, ne sois pas ridicule !Quand Julio pénétra dans l’immeuble, il n’était toujours pas convaincu de l'à-propos de cette rencontre seul à seul. Ils se connaissaient à peine, il n’y avait pas entre eux la moindre complicité.

Elle le gratifia d’un sourire en ouvrant la porte – un sourire que ses yeux n’illuminèrent pas –, en même temps qu’une odeur alléchante vint chatouiller ses narines. Il la suivit dans la cuisine, faisant la moue, l’air intrigué, craignant de ne pas être au bout de ses surprises. Elle faisait des frites et avait deux steaks saignants sur le gril.

 – Je ne m’attendais pas à déjeuner ici, dit-il, levant les yeux sur elle, les sourcils légèrement froncés.

Ça ne te plaît pas ? fit-elle, redressant le buste devant lui. Si tu es végétarien, je te laisse toute la salade. Je donnerai ton bifteck au chat.

Là n’est pas la question. Je n’ai rien fait pour mériter cette attention de ta part.

Tes mérites, je les connais. Tu es un garçon gentil, compréhensif et discret.

Ah ! tu t’es renseignée sur mon compte ?

– Non, je l’ai deviné la première fois que je t’ai vu. Et j’en ai eu la confirmation en arrivant ici. Le bureau n’est pas au courant de l’incident qui nous a réunis par hasard.

– Et tu m’invites à déjeuner parce que je suis un garçon gentil compréhensif et discret ?

– Il y a autre chose, j’ai besoin d’un psy, et tu es la personne indiquée pour jouer ce rôle. Considère ce repas comme les honoraires de la première séance.

– Je t’aurais écouté volontiers, gratuitement. Les expériences d’autrui enrichissent les miennes.

– Tu vois ? En plus, tu es généreux. S’il m’était permis de choisir un ami parmi les collègues de bureau, ce serait toi que je prendrais.

– Ah, ouais… Tu ne me laisses pas le choix. Tu me trouves l’ami idéal, tu me paies d’avance… Honnêtement, je ne peux pas refuser ce que tu attends de moi. Espérons que ça ne finira pas en queue de poisson.

– Tu m’en veux, n’est-ce pas ? Tu me trouves un peu garce, au fond ? Il faut que tu saches que c’est mon mari qui m’a mis dans cet état. »

Au cours du repas, Audrey fit un résumé de ses déboires conjugaux à Julio. Elle s’attacha à noircir le portrait de Claude, se posant en victime et s’efforçant d’apparaître comme une femme de cœur par rapport à lui. Il était un ivrogne, égoïste, jaloux, qui pouvait être, parfois, méchant et cruel.

Julio écoutait sans poser des questions, sauf quand il avait l’impression de perdre le fil de son histoire. Elle ne la racontait pas suivant la chronologie des faits, se plaisait à évoquer son passé au gré de ses souvenirs les plus traumatisants. Ainsi, elle revint à plusieurs reprises sur sa tentative de suicide, le matin où elle l'avait rencontré.

« Tu comprends maintenant la raison de mon état quand je me suis jetée sur ta voiture ? J’étais désespérée, je voulais mourir, conclut-elle. »

Julio secoua la tête, il la regarda en silence, longuement. Il écoutait la petite voix persuasive qui s’élevait au tréfonds de ses entrailles, et il sentit qu’elle était en passe d’embrouiller son bon sens et sa raison. Il éprouvait un sentiment curieux qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. Audrey était une femme imprévisible. Rien ne les rapprochait moralement, et pourtant, elle exerçait sur lui une attraction physique qui faisait vibrer toutes les fibres de son corps. Il avait beau se dire qu’il devrait s’en aller, il n’en avait pas la volonté ; il était prisonnier dans une cage invisible dont elle seule avait la clé.

Ils passèrent dans la salle en sortant de table, prirent place côte à côte sur le canapé. Julio se sentait un peu excité, pris d’une impatience inhabituelle qu’il attribuait à la présence d’Audrey. Elle s’en aperçut, mais n’en fit rien pour la refréner ; elle lui jetait des regards qui exprimaient son attente, le poussant à l’entreprendre. Elle se rapprocha de lui, se mit à portée du geste qu’elle attendait comme une étincelle, pour allumer le feu. Il lui prit la main dans la sienne. Ce fut comme le craquement d’une allumette. La petite flamme jaillit, leurs bouches furent happées par le désir.

Ils se retrouvèrent enlacés sur la moquette, en quête du frisson, livrés à la force irrésistible de l’amour. Ils furent emportés par l’ivresse qui galvanise l’âme et le corps, donnant un sens à l’existence, par le sentiment fugace de l’infini ramassé au fond de leurs soupirs. Ce fut début d’une liaison prometteuse. Une perspective nouvelle s’ouvrait sur l’avenir, ils apercevaient un pont jeté au-dessus d’une mer houleuse, menant à l’île du bonheur si longuement rêvée ; ils fermaient les yeux aux obstacles incontournables qui ne manqueraient pas de se dresser sur leur chemin.

Fin

 

Le deuxième tome de cette histoire sera publié dans quelques mois, sous le même titre. Alors, nous  saurons si Audrey parvient à trouver le bonheur qu'elle a tant rêvé et qui semble enfin à sa portée, dans les bras de Julio.

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Auteur

J.L.Miranda

10-03-2018

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Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

Roman terminé ! Merci à J.L.Miranda.

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