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Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

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Drôle de situation

 

En arrivant au bureau, au lieu de raconter sa mésaventure, Julio mit son retard sur le compte de sa voiture qui avait refusé de démarrer. Il tenait à garder pour lui les péripéties de matin-là. Ses collègues croiraient qu’il fabulait pour les épater, rendrait banal son histoire à force de la raconter ; il préférait le laisser mûrir, avant d’y revenir la couchant noir sur blanc. 

Le chef de salle ayant accepté sa justification, il regagna sa position de travail ; alors, sa vie reprit son cours ordinaire. Les jours, les mois et les saisons se succédèrent dans une atmosphère monotone où rien d’intéressant ne venait pimenter son existence.

Avec le temps, la rencontre avec Audrey lui apparaissait presque irréelle. Il avait parfois l’étrange sensation que la scène n’était que l’ombre d’un vague souvenir, comme une réminiscence dont l’origine lointaine lui échappait. Il finit par ne plus y penser, sauf quand il repassait la nuit, par temps pluvieux, à l’endroit où la rencontre avait eu lieu.

On était fin avril, le renouveau lui avait donné du tonus, il se sentait la force de prendre un virage décisif.

« Je sors, j’ai pas le temps de faire à manger. T’as qu’à te débrouiller tout seul, comme un grand ! » C’est le mot que Julio trouva collé sur le frigidaire, en rentrant du bureau, un samedi vers deux heures de l’après-midi. Ce message allait s’ancrer comme une figure de proue dans son esprit.

Ses rapports avec sa compagne n’avaient pas cessé de se dégrader, depuis le matin que les papiers destinés à la mutuelle avaient atterri sur le balcon de la voisine. Leurs disputes, qui devenaient chaque jour plus âpres, sapaient peu à peu les attaches qui les liaient, si bien qu’elles finirent par se dénouer une à une. Leur liaison s’acheminait lentement vers une rupture larvée que le temps rendrait inévitable.

La lassitude et l’indifférence s’installèrent entre eux. Ils ne se parlaient presque plus, vivaient comme deux colocataires aussi égoïstes que taciturnes. La communication entre eux était faite presque exclusivement par des post-it, collés sur la porte du frigidaire. Julio décida bientôt de faire chambre à part, c’était le premier pas vers une future séparation.

Comme elle était au chômage, Monica ne participait pas aux dépenses du ménage. Bien qu’elle vive aux crochets Julio, elle négligeait la tenue de la maison, laissant traîner ses affaires. Tous les prétextes étaient bons pour fuir la cuisine. Ses allocations chômage, elle les dépensait à sa guise, au profit exclusif de sa personne ; elle n’eut jamais l’idée de faire des courses. Julio devait l’héberger gratuitement et, au surplus, pourvoir aux besoins de son estomac. Jamais elle n’eut un mot, un geste de gratitude ; au contraire, elle se donnait de grands airs ; sa conduite frôlait parfois l’insolence : « Je sors, j’ai pas le temps de faire à manger. T’as qu’à te débrouiller tout seul, comme un grand ! »

Le bail de l’appartement avait été établi au nom de Julio, c’était lui qui payait le loyer tous les mois. Il se trouvait dans une drôle de situation. Monica n’était plus sa compagne, pas plus que sa colocataire, puisqu’elle ne lui versait pas un centime. De plus, elle se comportait en invitée sans-gêne qui s’incruste sans vergogne, profitant autant que faire se peut de la libéralité ou de la faiblesse de son hôte.

Cet état de choses ne pouvait plus durer, il faudrait bien qu’il se résolve à y mettre un terme. Il avait ajourné le règlement de la situation, parce que Monica n’avait pas d’emploi ni de proches parents à Paris pour l’aider. Elle risquait de se retrouver à la rue. Mais la coupe était pleine, son dernier post-it fut la goutte de trop qui la fit déborder. Il écrit un dernier message qu’il colla sur la glace de la coiffeuse de Monica :

« Tu as jusqu’à dimanche soir pour ramasser tes affaires et débarrasser le plancher. Sinon, je les jetterai moi-même dehors et... toi avec. »

Il savait qu’elle le croyait incapable de mettre sa menace à exécution, et il l’imaginait devant la glace de la coiffeuse, aucunement impressionnée par ses exigences. C’était mal le connaître. Il avait toléré, des années durant, son caractère capricieux, égoïste et mesquin ; il avait très souvent fermé les yeux sur son ignorance et sa bêtise, passé sur le ton blessant de ses remarques :

« T’es maladroit en bricolage, nul en cuisine, tu fais l’amour comme un pied. Ça te sert à quoi la belle plume et la culture dont tu te vantes, hein ? »

Parce qu’elle se prenait pour un chef étoilé et un bon coup au lit, Monica s’était fourrée dans la tête qu’il ne pouvait vivre qu’à travers elle, pour elle, rien que pour elle. Le penchant naturel de Julio, qui le poussait à la libéralité et à la tolérance, elle l’avait étiqueté depuis longtemps de lâcheté congénitale. Et elle en tirait profit à sa guise, avec désinvolture.

« T’es tête en l’air, un vrai étourdi, il faut que je pense à tout, même en dormant. Si tu perds pas la tête, c’est parce qu’elle est attachée sur tes épaules. »

Comme d’habitude, Julio fit la lessive, le ménage, les courses et le repassage. Après le dîner, il s’attarda devant son poste de télévision, en attendant qu’elle rentre. « Il faut que je voie sa réaction devant le message, elle n’en croira pas ses yeux. J’en profiterai pour lui confirmer le caractère définitif de ma décision, une sorte d’estocade dont elle me juge incapable, disait-il. »

Il était presque une heure du matin quand il entendit la clé tournant dans la serrure. Elle referma la porte de l’intérieur, puis alla directement dans sa chambre. Avant de l’y rejoindre, Julio récupéra la clé de Monica qu’il mit dans la poche. Elle relisait le message, s’assurant qu’elle l’avait bien compris.

Enfin, elle se retourna vers lui, les bras croisés, dans une demande muette de plus amples explications.

– Te voilà au courant de ma décision. Tu dois partir demain, impérativement. Je ne veux plus te voir.

– T’aurais pu au moins me prévenir.

– Si tu étais moins bête, tu aurais deviné que ça ne pouvait pas finir autrement. J’ai accepté que tu restes chez moi comme colocataire, en attendant que tu travailles. En réalité, je t’héberge et je te nourris, et je dois encore faire le ménage et la cuisine.

– Je suis pas ta bonne.

– Mais tu ne te gênes pas pour vivre à mes crochets, qui plus est, me prenant pour ton domestique

– J’ai de petites allocs, je peux te payer en nature. Vingt-cinq euros la passe. Ça te va comme ça ? Tu dois être en manque. Si tu veux, je peux te donner un acompte tout de suite.

–Tu fais plus volontiers la prostituée que la bonne, hein ? Grosse feignasse ! Tu me dégoûtes. Je regrette de t’avoir un jour amenée chez moi.

– T’es méchant avec moi. Tu vas t’en mordre les doigts.

– Ne dis plus un mot. Sinon, je te mets dehors sur-le-champ.

Elle sortit du lit vers neuf heures, prit une douche et, s’étant pomponnée avec soin, elle s’aspergea abondamment de parfum bon marché. Après avoir déjeuné, seule, dans la cuisine, elle demanda sa clé de l’appartement à Julio. Il lui dit qu’elle n’en aurait plus besoin, puisqu’elle devait s’en aller dans la journée. Au reste, il avait l’intention de faire changer la serrure. Il lui ouvrit la porte, elle s’engagea dans l’escalier, tête basse, d’un pas hésitant, comme si elle ne savait pas où aller.

Il resta à la maison, persuadé qu’elle rentrerait tôt pour préparer son départ, mais l’après-midi s’écoula sans qu’elle revienne sonner à la porte. Le jour commençait à tomber quand il comprit qu’elle faisait exprès, comme une dernière provocation. Il attrapa une grosse valise en haut du placard de la chambre et l’ouvrit sur le lit, puis il entreprit de la remplir avec les affaires de Monica.

Quand les tiroirs et la penderie furent dégagés, il se rendit dans la salle de bain où il ramassa ses produits de beauté. Il fit ensuite un tour dans toutes les pièces de l’appartement, à la recherche du moindre objet lui appartenant. Enfin, il boucla la valise et la porta sur le palier.

Ayant envie de prendre l’air, il sortit faire un tour en ville, avec l’intention de dîner dans un restaurant où il s’était rendu quelquefois avec Monica.

En rentrant, il s'aperçut que la valise avait disparu. Il allait introduire la clé dans la serrure lorsqu’il sentit le poids de la grosse paluche qui s’abattit sur son épaule. C’était un métis baraqué qui se tenait caché derrière la porte du local technique. Il le fit pivoter sur ses talons, lui appliqua un soufflet qui lui ficha le menton de travers. Et il se mit à l’engueuler, la main levée au-dessus de sa figure, menaçant de le frapper de nouveau :

– Ecoute-moi bien, mec ! T’emmerderas plus Monica, OK ? T’as de la chance, mon petit gars. Ça m’arrange que tu l’aies mise dehors. Maintenant, elle va tapiner à temps complet. Si tu la croises un jour, tu fais comme si tu l’as jamais vue. Sinon, t’auras affaire à moi, hein ? T’as bien compris, mec ? Ou tu veux que je recommence ?

Julio voyait la paluche de son agresseur prêtre à s’abattre de nouveau sur sa figure, histoire de lui remettre le menton droit. Il s’empressa de secouer la tête affirmativement :

Oui, j’ai bien compris. Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue.

Le maquereau posa sur lui un regard noir, comme s’il voulait graver l’empreinte de sa méchanceté dans la mémoire du postier. Celui-ci attrapa la clé dans la poche, l’introduisit dans la serrure, sous le regard du métis qui hésitait à s’en aller. Julio craignait qu’il ne s’en prenne de nouveau à lui. Il le soupçonnait même de vouloir entrer dans l’appartement. Par bonheur, son voisin de palier ouvrit la porte pour jeter un coup d’œil dehors. Julio se retourna pour le saluer. C’est à ce moment que le métis se décida à partir, s’engageant dans l’escalier qu’il dévala quatre à quatre.

Monica fait le trottoir, et moi, je n’en savais rien. Elle va devenir une prostituée à plein temps maintenant. Comment a-t-elle pu en arriver là ? se dit Julio. Maintenant, il comprenait pourquoi les voisins s’intéressaient à son couple. Ils le prenaient peut-être pour un maquereau.

Au fond, il se fichait pas mal de ce que deviendrait son ex-compagne. Il s’inquiétait surtout de sa situation personnelle, car il se retrouvait de nouveau célibataire. Il s’imaginait seul pendant les longues soirées d’hiver, lisant un livre ou regardant la télévision, sans personne à qui parler sur la vie, le monde, l’avenir, la couleur du temps et des choses.

Il se levait à cinq heures du matin pour se rendre au bureau, et quand il rentrait chez lui, surtout par temps couvert, la nuit ne tardait pas à tomber. Plus que jamais, il trouva qu’il était temps de rechercher la femme de sa vie.

 

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Auteur

J.L.Miranda

10-03-2018

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Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

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