Connexion : supprimer Ou

Méfiez-vous des blondes - Roman

Roman "Méfiez-vous des blondes" est un roman mis en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Audrey et cie...

Venez publier un roman ! / Protéger un roman

Page : Lire Précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 Lire la suite

16

 

L’audace d’Audrey

 

Le tapage des deux détenus en garde à vue étouffa les voix qui montaient de la cour. Ils secouaient la grille, lui donnaient des coups de pied, criaient à tue-tête qu’il fallait les conduire aux toilettes. Autrement, ils videraient leurs boyaux dans le cagibi.

Le brigadier reparut dans la salle, il avait l’air contrarié du fonctionnaire qui voit sa pause écourtée. Il jeta à la poubelle le gobelet qu’il venait de briser dans sa main, écrasa avec humeur le mégot qu’il tenait entre ses doigts, dans le cendrier vissé sur le mur.

Julio devina sa lassitude ; peut-être qu’il songeait à l’incidence du travail de nuit sur sa vie privée. Il en avait lui-même fait l’expérience. Vers le matin, la nostalgie du lit conditionne votre assise dans le temps. Votre femme vous attend, elle s'est réveillée fraîche et fringante, avec l’envie d’être aimée, alors que vous vous sentez vidé de la pulpe de vos désirs.

A la frustration de ne pas être en mesure de la contenter s'ajoute la crainte d’être trompé, et cela vous donne le sentiment pénible de gâcher ce que vous avez de plus important dans la vie.

Il accompagnait les deux hommes en garde à vue aux toilettes quand Fargo le rejoignit. Se retournant, le brigadier montra Audrey et Julio d’un geste à peine esquissé :

« Revérifie leur identité. Il faut que je me dépêche de rédiger mon rapport. Je suis déjà en retard. »

Et baissa la voix, rapprochant la bouche de l’oreille de son subordonné, lui dicta des consignes que celui-ci approuva, en secouant la tête.

Fargo se dirigea d’abord vers la suicidaire, toujours renfrognée près du radiateur. Il lui ôta les menottes, après l’avoir identifiée.

– Audrey Gilbert, née Holsen. Vous êtes originaire de Scandinavie ?

– Qu’est-ce que ça peut vous foutre ? Vous pouviez plutôt vous dépêcher, vous ne voyez pas que j’attrape la crève ?

Par contenance, il lui demanda encore si elle habitait toujours à la même adresse, et comme elle secoua la tête dans un signe affirmatif, il la regarda dans les yeux et lui dit qu’elle pouvait s’en aller.

C’était le tour de Julio maintenant. Il allait tendre les poignets, mais le policier ne semblait pas pressé. Audrey se tourna vers le postier, le considéra d’un air défiant, sans desserrer les lèvres. Leurs yeux se rencontrèrent, le bleu de ses prunelles était froid et limpide comme celui des lacs de montagne en hiver. Elle s'assit à côté de lui, attendant qu’il soit libéré à son tour.

Fargo se décida à ôter les menottes de Julio, qui se mit à masser ses poignets quelque peu engourdis, lorsque le policier lui demanda ses papiers.

 – Julio Moreno, né à Barcelone. Naturalisé français, n’est-ce pas ? Votre permis de conduire ? dit le policier.

Il ne l’avait pas en sa possession, ne savait même pas où il l’avait mis. Il fouilla encore ses poches, ce qui lui valut un froncement de sourcils de la part du policier.

Je suis obligé de mettre votre voiture à la fourrière. Vous viendrez la récupérer dès que vous serez en possession de votre permis.

Julio s’engagea à le présenter le jour même. Il irait le chercher exprès chez lui, entre midi et deux. Fargo resta inébranlable.

De toute façon, je suis tenu de vous verbaliser. Vous conduisiez sans permis.

Ce fut alors le coup de théâtre qui laissa le policier frustré dans sa volonté de trouver quelque chose à mettre sur le rapport.

C’est moi qui conduisais, monsieur l’agent. Voici mon permis.

La voix d’Audrey avait sonné nette, avec une fermeté désarmante. Fargo se mordit les lèvres, parce qu’il flairait le mensonge dans son affirmation, mais il n’était pas en mesure d'en apporter la preuve. Julio et Audrey échangèrent un regard où un embryon de complicité se faisait jour.

Elle revint à la charge, enhardie par l’embarras de Fargo :

Est-ce que nous pouvons nous en aller, maintenant ? Je finirai par attraper froid. Vous ne voyez pas mes habits fumer sur moi ?

Le policier était un garçon d’une trentaine d’années, blond, lui aussi, bâti en spécimen de la race supérieure, dans le physique comme dans l’attitude. Audrey lui plaisait visiblement. Il aurait dû demander l’avis de son chef avant de décider, d’autant plus qu’il se croyait floué, mais il savait que cette attitude ne manquerait pas de décevoir la jeune femme. Il coula sur eux un regard soupçonneux et hésitant à la fois, regrettant son incapacité à les confondre.

Il supportait mal qu’on l’abuse de la sorte, brûlait de pouvoir durcir sa position. Julio devinait cette volonté à la crispation de ses lèvres ; et pourtant, il décida de les relâcher de son propre chef.

« C’est bon, allez ! Je ne veux pas que vous attrapiez froid, madame. La prochaine fois, évitez les scènes de ménage sur la voie publique. »

Audrey marchait déjà vers la sortie, elle fit la sourde oreille à cette remarque. Elle avait par-dessus tout envie de déguerpir.

Ils sortirent dans la cour à grands pas, penchés en avant, la tête enfoncée dans les épaules. Un coup d’œil derrière eux : le policier se tenait sur le seuil, les pouces accrochés à la ceinture. Son expression dubitative montrait qu’il n’était pas dupe. Sans une seconde d’hésitation, Audrey s'assit au volant.

Ouf ! ils étaient libres et à l’abri ! Julio la regardait, il était curieux de voir comment elle se débrouillerait aux commandes. D’emblée, son aisance l’épata. La justesse de ses mouvements était incroyable. Le siège semblait épouser son dos, ses yeux tutoyaient le tableau de bord, et elle était à l’aise dans l’habitacle, comme si elle venait de faire le tour du monde à bord de la voiture. Puis, ce fut la pression bien ajustée sur la clé de contact, le toucher du levier de vitesses, l’enclenchement en douceur de la première, le démarrage sans à-coups ; en un mot, la parfaite maîtrise de la conduite.

Assis à côté d’Audrey, Julio lui faisait confiance, subjugué par son entrain. Elle lui donnait l’impression de savoir où elle voulait aller et comment y parvenir. Ayant quitté la cour du commissariat, elle s’engagea sur le trajet qui avait suivi le fourgon des policiers tout à l’heure.

De temps à autre, Julio sentait passer sur lui le bleu froid des lacs de montagne. Elle retournait la tête de son côté pour surveiller le rétroviseur, l’embrassant du même coup dans le champ de son regard. Il voyait de profil l’arrondi de ses pommettes, le retroussement de son petit nez, la courbe douce du menton. L’eau ne dégoulinait plus de ses cheveux, et ses vêtements, bien que mouillés, n’étaient plus collés sur sa peau.

Ils arrivèrent à l’endroit où l’accident avait failli se produire. Le parcours leur parut plus rapide, malgré la pluie qui continuait de tomber et la circulation qui était devenue plus dense.

Julio aperçut de loin l’abri de l’arrêt de bus ; Audrey mit le clignotant à droite, elle s’arrêta devant lui, puis elle quitta le véhicule sans desserrer les dents. Julio en descendit aussi, pour reprendre le volant, mais elle s’éloignait déjà.

“Vous allez encore vous mouiller, vous êtes mieux au volant de la voiture.

Elle se retourna un instant, un sourire énigmatique aux lèvres, sans ralentir son allure.

La pluie et le vent me connaissent bien, je ne suis pas de sucre.

Sinon, vous vous seriez déjà répandue en sirop ; et moi, j’en aurais volontiers bu un bon coup, ma foi.

Pour s’abreuver à ma source, il faut d’abord me prendre le cœur !

Julio se mit à courir après Audrey, sans se rendre compte que le dialogue était impossible, puisqu’elle ne s’arrêtait pas.

Merci encore de m’avoir sorti d’affaire, vous êtes une belle menteuse !

Elle se retourna et le regarda en silence. Il était parvenu à sa hauteur. Cette fois, elle lui adressa un beau sourire droit sur la figure, les pupilles dilatées par un peu de chaleur, tandis qu’il songeait aux volcans qui sommeillent parfois sous les lacs bleus de montagne.

Ils arrivaient près d’une bouche du métro, Audrey s’y engouffra en courant, et Julio, la pluie dégoulinant sur le cou, se résigna à regagner sa voiture.

Quelque temps après, songeant à cette aventure matinale, il bâtit dans ses grandes lignes le plan d’un court récit qu’il intitula : « La folle de l’aube ». Alors, il était loin d’imaginer que cet épisode représentait plutôt le premier chapitre d’un roman.

 

 

 

Partager

Partager Facebook

Auteur

J.L.Miranda

10-03-2018

Lire Précédent Lire la suite
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Méfiez-vous des blondes n'appartient à aucun recueil

 

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.