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Mamé, j'aime la vie - Journal intime

Journal intime "Mamé, j'aime la vie" est un journal intime mis en ligne par "Cathou inafrica"..

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Mamé, j'aime la vie

 

Nous approchons de décembre.

Au plus loin que remonte ma mémoire, j’ai détesté ce mois, synonyme d’entrée dans le froid.

Mes cousines avaient beau passer leur soirée à essayer de deviner ce qui les attendrait au pied du sapin, pour moi, passées les années « Père Noël », la couronne de sapin que nous accrochions sur la porte est vite devenue signe de ralentissement bio rythmique malgré le papier doré et les décorations.

Les années ont succédé aux années et un soir de décembre, peu après la naissance du XXème siècle, ma mère s’est transformée en une étoile, haut dans le ciel. Rendant décembre à mes yeux définitivement détestable.

Je n’ai jamais trouvé la force d’ouvrir les quelques enveloppes quelle avait entretenues dans mes déménagements si fréquents. Elle était trop jeune pour que j’aie envisagé son départ et lorsqu’elle avait essayé de me souffler quelques mots d’encouragement à les compulser alors qu’elle était encore parmi nous, je la rabrouais gentiment, invoquant des temps futurs, quand nous serions vieilles par exemple.

 

Puis je suis partie en Afrique et sans vouloir vraiment les considérer, je suis allée chercher ces enveloppes fripées et jaunies que je savais quelque part dans les vieilleries que nous traînons tous. Elles sont restées fermées. Le temps futur n’était pas venu encore, ou je n’étais pas assez vieille… qu’en sais-je ?

 

Au Maroc, je les ai oubliées, chiffonnées dans un quelconque tiroir de ma mémoire.

 

Octobre 2012 en Gambie, la fin de la saison des pluies.

Je constate au bout d’une année sans climatisation que beaucoup de nos affaires ont moisi.

Je sens décembre arriver et malgré une saison sèche et chaude ici, je sais par nature que je n’entreprendrai rien ce moment venu.

Éparpillées sur les tables d’osier qui garnissent le salon, je me trouve donc ce lundi devant des piles de papiers quelque peu démesurées. Anciens courriers gabonais, lettres de mes chers sculpteurs et artistes, premiers bonhommes patates des enfants, soigneusement datés et rangés. Ce n’est pas de gaîté de cœur que j’entreprends la tâche car je n’aime pas les souvenirs ou du moins, ce qui les réveille. J’échappe au malheur présent en me terrant et je fuis mes malheurs passés en les enfouissant dans quelque alvéole sombre de ma tête. Je ne vis pas avec le passé, trop souvent douloureux.

Je me félicite d’avoir courageusement classé les photos lorsque, au cours de l’un des printemps  derniers, j’avais envisagé de repartir en Afrique.

 

Les journées de cette semaine se sont écoulées, chacune voyant substantiellement fondre les piles de documents. Restent quelques enveloppes. Ocres, délavées, usées, dont celles de ma mère. Le futur du passé est devenu le présent. Je suis malade, les enfants ont besoin d’une trace que les autres ne leur feront pas. Courageusement j’entreprends leur inventaire.

Un très vieux carnet qui a dû vouloir être officiel attire mon regard.

Saint Geniès de Malgoires, le berceau de mon grand-père maternel. Les moments heureux de ma petite enfance lorsque je vivais chez mes arrières grands-parents pour de courtes après midi ou de longues semaines de vacances. Là où papé et mamé Coste, Numa et Noémie, me regardaient grandir comme leur princesse. Là où ma mère me laissait quand un bébé ne pouvait la suivre.

J’ai toujours été très fière d’entendre dire dans la famille que je ressemblais trop à cette arrière grand-mère qui mesurait 1m75 comme moi, fait rare pour une femme de ce siècle. Elle était née le 8 octobre 1884, je suis du 15 octobre et je mettais sur le compte de notre presque jumelage ce rapprochement que l’on nous attribuait.

J’adorais écouter ma grand-mère, sa belle-fille, me dire « pauvre, tu ressembles à Noémie, comme ce sera difficile pour toi de vivre à contre sens de tout le monde » ou dire à ma mère « Anny, ta petite est comme Noémie elle n’en fait qu’à sa tête ».

En même temps que j’adorais, je me demandais pourquoi et me contentais de sourire.

Dans une enveloppe j’ai su. J’ai compris.

Le livret est celui de famille de mes arrières grands-parents. Quatre pages flétries, jaunasses, fatiguées.

Délicatement, je l’ai ouvert, je l’ai découvert.

Numa Coste, né le 4 septembre 1881, de Jean-Louis et Léontine André.

Nohémie, que nous avons toujours écrit sans « h » chez nous, née Aurivel, le 8 octobre 1884, de Emile et Alphonsine Robert.

Je vois le secrétaire de mairie remplir les lignes de sa plume trempée dans l’encrier de porcelaine pour inscrire en pleins et déliés les mots qui officialisent le péché de l’époque.

Mes arrières grands-parents se sont mariés le 11 janvier 1908, dans leur village.

La page suivante enregistre la naissance de leur premier bébé, Louis Numa Coste que Noémie a mis au monde le 12 janvier 1908… à une heure du matin. Ouf, il était temps.

Je réalise tout à coup pourquoi chez eux, sur la table de chevet de leur grande chambre à coucher, je n’ai jamais vu la photo qui consacrait leur union comme dans toutes les maisons de l’époque. Noémie dans une belle robe blanche, je ne l'ai jamais vue.

J’imagine ma Noémie avec son ventre arrondi par les douceurs de son amoureux, sur les bancs de bois de la mairie.

Et en quelques instants, je réalise des dizaines de non-dits, de sous-entendus familiaux. Je sais enfin pourquoi on m’avait tant de fois dit que mes arrières grands-parents étaient originaux et avaient bravé les anciens.

Sur la page suivante je trouve mon grand-père, sagement né en 1912.

 

Ce soir, alors que la maison est endormie, je sors dans le jardin pour regarder les étoiles. Ma mère et ma grand-mère, assises sur un coin de lune regardent le monde courir.

Merci Mamie. Merci de m’avoir dit que je lui ressemblais.

Merci Maman. Merci de m’avoir transmis les enveloppes.

 

Merci Noémie. Je ne te trouve pas dans mon ciel ce soir, je t’imagine cachée derrière un nuage, en train d'épétaler une pâquerette avec ton bien aimé.

Un peu, beaucoup, passionnément…

 

Mamé, je t’aime.

Ca. Valmalette

27-11-2014

 

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Cathou inafrica

27-11-2014

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Mamé, j'aime la vie appartient au recueil Tout, rien et un peu plus

 

Journal intime terminé ! Merci à Cathou inafrica.

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