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Les Retrouvailles - Nouvelle

Nouvelle "Les Retrouvailles" est une nouvelle mise en ligne par "Valerie Pocard"..

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LES RETROUVAILLES

 

Le ciel brésilien est nacré de rose par le coucher de soleil. L’air doux, subtil, berce Teresa, perdue dans ses pensées… Son mariage avec Felipe, entourée par les siens. Elle savoure cette soirée tranquillement installée sur sa terrasse, toute à l’observation d’un très vieux cliché… Ses parents, enfants, entourés par leurs parents respectifs ; posée à côté, une photographie similaire quelques décennies plus tard,… Prise la veille, précisément.

 

            Térésa, bien que d’origine brésilienne, avait toujours vécu en France. Ses parents, tout jeunes, avaient décidé de fuir la pauvreté de leur pays. En-dehors des favelas, ils n’entrevoyaient aucun avenir dans leur banlieue de Sao Paulo. « Ton destin te colle à la peau dès ta naissance ! », avait coutume de répéter Roberto, le grand-père de Teresa.. Mais Ricardo et Carmela avaient refusé d’abdiquer devant une telle injustice. Amis d’enfance, amoureux de toujours, ils s’étaient promis de sortir de cette ornière.

 

            Ricardo, enfant, avait déjà soif d’apprendre ; il s’intéressait à tout : aux animaux , aux sciences, à la littérature, à tout ce qui pouvait lui permettre de comprendre de quoi est fait le monde. Une première rencontre avait constitué une chance énorme pour cet enfant : ses parents étaient tous deux employés chez un professeur. Lorsque la mère ne savait pas quoi faire de son fils, elle l’emmenait avec elle. Intrigué par la curiosité de ce petit garçon, le professeur avait commencé à répondre à ses questions, puis il lui avait enseigné les premiers rudiments de la lecture et, se piquant au jeu, il avait fini par prendre le jeune Ricardo sous sa coupe. Et pendant des années, il lui avait enseigné tout ce qu’il pouvait lui apprendre, complétant ainsi le bien piètre niveau d’enseignement reçu à l’école.

            Convaincu par l’intelligence de Ricardo, et ses facultés d’apprentissage, le professeur avait dit un jour à ses parents qu’ils devraient envisager des études pour ce fils si doué. Mais entre-temps étaient nées cinq sœurs et il était hors de propos d’imaginer trouver l’argent nécessaire à l’entretien d’un étudiant. Au contraire, dès l’âge de 12 ans, Ricardo avait dû espacer ses visites chez le professeur afin d’aider ses parents, passant d’un petit boulot à un autre.

            Cette période s’était révélée très dure pour le garçon. Il n’en voulait pas à ses parents, victimes comme lui d’une société inique. Mais il s’était juré de trouver une occasion pour s’évader de cette situation.

 

            L’univers sordide qui constitue le quotidien des pauvres au Brésil l’avait très vite rattrapé. Déjà tout petit, il fouillait quotidiennement les tas d’immondices. S’installer au pied d’une décharge était vital pour eux ; elle leur apportait tout juste de quoi survivre, mais s’imposait comme un élément incontournable pour leur subsistance. Les gens de la « bonne société » se doutaient-ils que leurs restes de feijoada, leurs vieux vêtements élimés, ou même déchirés, comblaient ce peuple de miséreux ?

            Ricardo, de petite constitution, fouillait très loin dans ce monticule infâme, véritable mine d’or. Un jour, il arborait fièrement un short à peine usagé trouvé dans un sac de vêtements jeté là ; une autre fois, il apportait à la plus jeune de ses sœurs, alors âgée de six mois, une vieille peluche élimée. Il était fier chaque fois qu’il dénichait quelque ustensile susceptible d’améliorer le quotidien de la famille.

            Ensuite il avait fallu travailler. Cirer les chaussures, porter les courses, les valises,… Tout petit boulot avait son importance. Chaque réal comptait. Ricardo l’avait très vite compris. Pourtant, d’une certaine façon, sa famille était privilégiée ; ses parents avaient un emploi fixe et un employeur généreux. Même si le salaire restait modeste, le professeur partageait souvent avec eux les restes de ses repas trop copieux pour un homme seul. Mais pour une famille de huit personnes  les besoins restaient considérables. Ricardo était l’aîné, le seul garçon, il se sentait donc investi d’une mission particulière auprès de ses parents.

            Le professeur était désolé face à une telle situation. Il avait le sentiment  que quelque part ce jeune garçon était sacrifié ; et il ne pouvait rien y changer. Malgré tout cela Ricardo, comme tous les siens, conservait un naturel optimiste. Il acceptait les difficultés présentes persuadé que demain serait un autre jour, rempli de promesses et d’évasion.

 

            Pendant des années, il a ainsi partagé sa vie entre les nécessités familiales et le peu de temps qui lui restait pour étudier. Soutenu depuis toujours par son amie Carmela, appartenant tous les deux au bidonville, enfants de la rue et de la misère, ils avaient été élevés ensemble et tout naturellement, leur complicité s’était peu à peu muée en un sentiment plus profond qu’ils avaient très vite assimilé à de l’amour. Jamais ils n’avaient été séparés ; toujours ils s’épaulaient mutuellement. Leur couple constituait en grande partie leur force.

 

            Adolescent, Ricardo avait commencé à ressentir l’injustice de sa situation. Sans oser s’opposer à son père ouvertement, il exprimait parfois sa déception de ne pouvoir étudier. Il envisageait difficilement son avenir sur le modèle de la vie de ses parents. Bien sûr, il n’était pas question de les critiquer ; vivre dans la misère n’excluait pas le respect dû à ses parents ! Mais il souhaitait ardemment que les temps changent. Il refusait de ne pouvoir accéder à une autre vie sous prétexte qu’il était un enfant des favelas. 

            Il avait vu plusieurs copains partir à l’aventure dans d’autres régions du Brésil ou carrément à l’étranger. Un ami très proche avait un jour décidé que son avenir dépendait d’une expérience dans un autre pays. Ni une ni deux, après avoir travaillé et économisé pour financer son projet, il quitta Sao Paulo, direction Neufchâtel en Suisse. Pourquoi ce pays, pourquoi cette ville ? Il ne savait l’expliquer, d’autant plus qu’il ne parlait pas un mot de français. Mais il était intimement persuadé qu’il trouverait son salut sur le continent européen. Après les premiers mois de galère, au cours desquels il lui fallut apprendre la langue, trouver les bons contacts, il finit par obtenir le statut d’étudiant et se lança dans des études d’anglais. Cinq ans plus tard, de retour chez lui avec un solide bagage en poche, le voilà professeur d’anglais.

            Ricardo enviait le courage et la détermination de cet ami. A dix-huit ans, il n’avait pas encore osé franchir le pas, alors qu’il en mourait d’envie. Attaché à ses parents, à ses sœurs, habité par le sentiment de devoir qui le liait à sa famille, il culpabilisait à l’idée de voler de ses propres ailes, de sortir de cet univers sombre et sans avenir. Carmela,  quant à elle n’attendait qu’un mot, elle était prête à le suivre n’importe où.

            En attendant, le jeune homme s’était beaucoup documenté sur la France. Il pensait lui aussi que l’Europe avait tout à lui offrir, et il avait une attirance particulière pour la culture française. Le professeur, qui avait vécu quelques années en France,  lui avait appris les rudiments du français ; Ricardo savait qu’il pourrait ainsi se débrouiller plus facilement. 

            Enfin à l’âge de vingt ans, il finit par se décider. Pendant plusieurs mois, il multiplia les petits boulots afin de réunir l’argent nécessaire au voyage. Et un beau matin, en compagnie de Carmela, le voilà dans l’avion en direction de Paris. Il avait préféré ne rien dire à ses parents, persuadé qu’ils seraient opposés à un tel projet ; son père n’aurait pas manqué de moraliser, de le culpabiliser et Ricardo ne se sentait pas le courage de faire face aux pleurs de sa mère. Il avait laissé à leur intention une lettre au professeur, seule personne au courant de du départ des deux jeunes gens, complice qui les avait aidés à préparer ce voyage.  

            C’est ainsi qu’ils arrivèrent à Paris, quelques euros et une adresse en poche, celle d’un vieil ami du professeur…

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Valerie Pocard

12-11-2022

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Les Retrouvailles n'appartient à aucun recueil

 

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