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Les pieds - Texte court

Texte court "Les pieds" est un texte court mis en ligne par "Deogratias"..

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Les pieds

 

 

Mes pieds en ce matin d’automne avançaient à pas lents sur le bitume de mon parking, juste en bas de mon immeuble. Toutes les voitures garées en rang me faisaient penser à un puzzle placé là par je ne sais quel hasard, là où chaque pièce à sa place, là où chaque élément a du sens. On aurait dit un tableau d’art naïf comme ceux des peintures pour enfants.

 

Ensuite, ces mêmes pieds me guidèrent vers la place du marché. Je regardais tous les étals bariolés de couleurs aussi diverses que possible avec leurs légumes, leurs fruits, leurs bonbons. Plus mes pas naviguaient entre tous les marchands comme une barque ballotée par le vent sur l’océan, plus je me retrouvais comme étourdie par l’ambiance à la fois familiales, commérages et commerciales. Mes pauvres pieds fatiguaient à marcher entre les passants, les promeneurs, les acheteurs.

 

Malgré ma fatigue, mes jambes continuèrent leur chemin. Il est, parait-il, pas de meilleur exercice physique que de venir faire ses courses, avec son caddie rempli de victuailles qu’il faut tirer derrière soi. Le poids, le volume, la force de la traction nécessaire pour court circuiter les conversations improvisées au milieu des rues, oui, on dit qu’il n’y a pas mieux pour se mettre en forme chaque samedi matin. Moi, je dis que c’est bon pour la jeunesse, passé cinquante ans, le corps pâtit. Surtout les lombaires.

 

Lorsqu’enfin lasse, je me suis assise sur un banc, au bord du boulevard du Breuil, ce fut pour mes pieds un repos salutaire. On dit qu’à trop forcer, on risque les courbatures. Depuis mon point d’observation, je procédais à une sorte d’étude sociologique des gens qui passaient devant moi. Ils étaient tout sourire ou bien dans leurs pensées, beaucoup avaient l’air présents par le corps mais absents par l’esprit. Je les sentais préoccupés. Leurs pieds avaient l’air d’être télécommandés. On aurait dit qu’ils étaient sur pilotage automatique. Je regardais les tenues des jeunes filles, les vêtements des petits vieux qui ne se rendent en centre-ville que ce jour précis, je contemplais les jeans troués, les coiffures originales. Les chaussures aux pieds ressemblaient tantôt à des bottes militaires ou à des escarpins aux talons démesurés. A côté d’eux, mes pieds faisaient triste mine. Ils étaient d’une banalité sans nom.

 

Quand enfin, mes pieds étaient de nouveau aptes à m’emporter bien loin de la foule, je les sentais dégourdis prêts à escalader la côte du boulevard St Louis. Avec tous les autres pieds qui descendaient ou qui montaient, on aurait presque pu croire à une danse improvisée : « Le tango des petons malhabiles ». C’était en effet tout un art que de tourner tantôt à gauche ou bien à droite pour ne pas se marcher les uns sur les autres. Cela me rappelait l’enfance, quand debout sur les grandes chaussures de mon père, il marchait à ma place, mes pieds sur les siens. Toujours des pieds, encore des pieds, que seraient nos vies sans nos pieds pour avancer, reculer ou bien danser ? Nous serions bien à plaindre à n’en pas douter. On dit même que celui ou celle qui « trouve chaussure à son pied » a beaucoup de chance. Tout le monde en effet ne peut en dire autant.

 

Que dire par exemple du cas de mon voisin que j’aime beaucoup ? Levé ce matin même du « mauvais pied » comme on dit, il m’avait demandé de lui acheter quelques produits sur ce marché. J’étais heureuse de lui rendre ce service. De retour à mon appartement, les chaussures à l’entrée avaient un air de reproche : « Si tu nous avais portées, on aurait été bien plus utiles que celles que tu portes à tes pieds ! ». Elles avaient raison, les jeunes ont une expression pour cela : « Ce n’est pas le pied »… que d’être aussi peu pragmatique.

 

Finalement à bien y penser, voir le monde depuis mes pieds, c’est embrasser la terre foulée par toutes sortes de personnes, c’est aussi ressentir le poids du corps, sa pesanteur, son âge ou sa force. C’est un état de torpeur ou de repos, c’est à la fois un voyage ou une immobilité. Est-ce que le parking ou le marché, les boulevards ou mon appartement ont quelque chose de commun ?  Pour ce qui me concerne, je les ai tous traversés « bon pied, bon œil ». Je vois le monde avec mes yeux certes, mais…

 

 

On voit aussi le monde avec nos pieds.

Ecrit dans le cadre d'un atelier d'écriture : Thème : Décrire différents lieux à partir d'un élément commun (pluie, lumière...). Ici, j'ai choisi "les pieds". Utilisez les pronoms "il", "on", "je".

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Auteur

Blog

Deogratias

02-11-2024

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