Connexion : supprimer Ou

Le collier de Diana - Nouvelle

Nouvelle "Le collier de Diana" est une nouvelle mise en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Elena et cie...

Venez publier une nouvelle ! / Protéger une nouvelle

Page : 1 2 3 4 Lire la suite

Le collier de Diana

Cet après-midi de juillet, sous un ciel orageux, il y avait du beau monde dans le cimetière de Greenwood. Les nombreuses limousines qui encombraient les allées, ainsi que l’allure distinguée de leurs occupants, en disaient long sur le statut social du défunt qu’on enterrait.

Bien qu’il n’apprécie pas outre mesure la vie mondaine, Peter Craig jouissait de beaucoup d’estime dans le milieu aisé et bien-pensant de Brooklyn. Il faut dire que son épouse, Elena, s’investissait à fond dans des associations caritatives, ainsi que dans le soutien à des hommes politiques en campagne, ce qui lui avait permis de tisser un réseau de relations au plus haut niveau de l’État. Son action mettait le portefeuille de son mari à rude contribution, mais celui-ci bénéficiait, en retour, d’influences indispensables à la bonne marche de ses affaires.

Il mourut seul dans son bureau, situé en haut d’une tour de Manhattan, étouffé par des macarons qu’il avait pris l’habitude de grignoter, lorsqu’il était taquiné par une petite faim. Il ne laissait pas d'orphelins au monde. La science n’avait pas pu remédier à la stérilité d’Elena, et, au bout du compte, ils finirent par s’accommoder de la situation. Un moment, ils envisagèrent de recourir à l’adoption, mais les deux conjoints trouvaient toujours une raison valable, à leurs yeux, pour remettre le projet à une date ultérieure.

À la mort de Peter, Elena se retrouva tout à coup en possession d’une fortune considérable. Silhouette élancée, formes harmonieuses, allure juvénile, elle était élégante jusqu’au bout de ses gants blancs; encore fraîche et séduisante, elle inspirait des galanteries subtiles à certains mâles de son entourage qui avait jeté leur dévolu sur elle, bien avant la mort de Peter.

 Cependant, elle poursuivait l’action sociale et politique qu’elle menait depuis de longues années. La foule de prétendants qui s’empressaient autour d’elle ne l’impressionnait pas outre mesure. Elle n’éconduisait personne, suivait les simagrées des uns et des autres, amusée, se gardant bien de leur faire miroiter des chances de conquête ; et elle se disait qu’ils finiraient par comprendre qu’elle n’était pas disponible pour des rapports galants.

Son ménage avec Peter n’avait pas été un hymne à la joie de vivre à deux. Autrement dit, elle savait d’expérience que le bonheur conjugal est un poème qui débute par une marche nuptiale, devient ensuite une ode au plaisir des sens ; puis, avec le temps, il prend le rythme de l’élégie, égrenant des regrets et des soupirs dans des évocations mélancoliques ; et, enfin, il arrive que la dernière strophe prenne des accents d’une saison en enfer. Elle savait aussi que l’amour et la liberté sont irréconciliables, l’un empiétant sans cesse sur les plates-bandes de l’autre. Pour le moment, elle avait surtout soif de liberté.

Peter était originaire du Connecticut, issu d’une famille de fermiers depuis plusieurs générations. Il n’aimait pas travailler la terre. A dix-huit ans, il quitta sa campagne pour New York avec la ferme volonté d’échapper au destin qui lui semblait tout tracé depuis sa naissance : devenir fermier comme son père.

D’abord, il gagna sa vie comme coursier, puis il devint barman dans un bar aux alentours de Wall Street, avant de se faire engager comme chauffeur personnel d’un magnat de la finance qui fréquentait l’établissement. Celui-ci ne tarda pas à se rendre compte que le garçon avait le sens des affaires; l’embauchant dans l’un de ses cabinets, il lui mit le pied à l’étrier.

Quand Elena rencontra Peter quelques années plus tard, il était déjà un personnage en vue dont la réussite fulgurante faisait des envieux autour de lui. Le petit paysan du Connecticut semblait s’être éloigné pour de bon des fosses à purin et abandonné les brodequins pour des chaussures de luxe à mille dollars la paire ; au reste, son ascension ne faisait que commencer.

De tempérament sanguin, volontaire, débordant de vitalité, Peter consacrait au travail le plus clair de son temps, ainsi que la presque totalité de son énergie. Tant et si bien que les effets collatéraux de cette obsession se répercutaient dans les rapports du couple, jusqu’au creux du lit conjugal. Il était coléreux, supportait mal que l’on contrarie les projets qu’il avait en tête. Les prévenances, les mots doux, les manifestations de tendresse n’étaient pas dans son caractère, mais il aimait son épouse à sa façon, sans fioritures inutiles, dédaignant les raffinements décrits dans les magazines spécialisés.

Avec le temps, l’affection qu’Elena n’avait pas l’occasion de prodiguer à son mari finit par se reporter sur ses chiens. Elle avait Diana, un bichon maltais, femelle, qui l'accompagnait partout, et Cliff, un doberman qu’elle choyait également, l’emmenant chaque fois qu’elle partait en voiture à la campagne.

Se retrouvant seule dans son immense villa, après la mort de Peter, Elena donna à ses canidés une affection accrue; elle n’aurait pas eu envers ses enfants, si elle avait pu en avoir, plus d’attentions que celles qu’elle prodiguait à ses chiens.

Un beau jour, elle fut éclaboussée par un scandale qui fit boule de neige, se répandant comme la peste. Suivant les confidences malveillantes d’une femme de chambre licenciée pour vol, Elena était zoophile, le doberman aurait ses habitudes dans le lit de sa maîtresse.

Elena refusa de se séparer de Cliff. D’abord parce qu’elle tenait à lui, qui était le plus fidèle et le plus affectueux des chiens, et ensuite, parce que le fait de l’abandonner ne laverait pas la flétrissure qui tachait son nom. Au contraire, il se trouverait des esprits tordus pour y voir l’aveu de son abjection. La pécheresse devant les hommes et devant Dieu, effrayée par l’immoralité de sa conduite, repentie peut-être, cherchait à se racheter en sacrifiant l’objet de sa bestialité.

Pourtant, elle savait qu’il lui faudrait vite réagir. En vain, elle réfléchit au meilleur moyen d’étouffer la rumeur outrageante, sans abdiquer de la liberté et de l’indépendance qui lui étaient si chères ; pourtant, la seule solution qui lui semblait à même de la réhabiliter aux yeux du monde était le mariage.

Elle choisit Michael Duvillon, marchand d’art de son état, qui possédait plusieurs galeries dans les grandes villes de la côte est, et dont la plus importante se trouvait à New York. Leurs fiançailles furent bientôt rendues publiques ; quant à la noce, dont la date n’avait pas été annoncée, elle serait célébrée dans la plus stricte intimité.

Entre-temps, les avocats des fiancés peaufinaient le contrat que ceux-ci devraient approuver et signer avant la cérémonie. Il comporterait deux clauses essentielles :

1- Elena et Michael se marieraient sous le régime de la séparation de biens ;

2- En cas de divorce, aucune compensation financière ne serait versée par l’un ou l’autre des conjoints.

Les affaires de Michael n’avaient pas le vent en poupe, et il ne possédait pas de fortune personnelle. Des transactions hasardeuses l’ayant mis en mauvaise posture vis-à-vis de son banquier; alors, il comptait sur sa future épouse pour le renflouer.

Pour ce qui est de la séparation de biens, il était un séducteur trop sûr de lui pour s’en inquiéter ; avec le temps, il saurait s’y prendre adroitement pour amener Elena à remanier le contrat de mariage.

Ce ne serait pas si facile, si l’on en jugeait par la fermeté de celle-ci devant les prétentions de Michael, alors qu’ils entamaient leur voyage de noces. Quoique soucieuse de rétablir sa réputation ternie, elle refusa sa caution auprès du banquier de son mari, lui conseillant plutôt de vendre la galerie de Boston pour assainir ses affaires.

 À peine rentrée à New York, afin de faire comprendre à Michael qu’elle était libre de dépenser son argent comme bon lui semblait, elle offrit à Diana un collier de diamants dont la valeur dépassait un million de dollars. Michael décoda parfaitement le message, mais il se garda bien d’y faire la moindre allusion.

Les premiers six mois de vie commune s’écoulèrent sans difficultés digne de registre. Un cap important venait d’être franchi, même s’il fallait reconnaître que ce n’était pas le grand amour entre les deux époux; cependant, ils faisaient mieux que se supporter mutuellement, ils avaient connu quelques rares moments de complicité.

Michael était tout le contraire de feu Peter. Un pur produit de la crème new- yorkaise, cultivé, beau parleur, raffiné, ayant en plus le sens de l’humour, il était regardé dans la société huppée de Brooklyn comme un charmant gentleman. A la maison comme en ville, il se montrait prévenant, toujours à l’écoute des moindres désirs de son épouse.

 Cependant, Elena se méfiait de ses manières, qu’elle trouvait trop belles pour être parfaitement honnêtes. Si son mari se plaisait à lui conter fleurette à longueur de soirée, c’était moins pour ses beaux yeux que pour son patrimoine, estimé à plusieurs milliards de dollars. Cette méfiance sans doute justifiée, au moins partiellement, l’incitait à le mettre à l’épreuve.

Un soir qu’ils se trouvaient dans le salon, attendant que le dîner fût servi, Michael lisait un magazine, pendant que, affalée dans son fauteuil, l’air absent, Elena était absorbée à revoir mentalement le projet qu’elle mûrissait depuis quelque temps. Elle voulait en parler à son mari, et elle se demandait si ce moment-là était propice pour le faire.

Enfin décidée, elle releva la tête et redressa le buste vivement, attirant l’attention de Michael, qui détourna les yeux de la revue pour la regarder par-dessus les lunettes, chaussées bas sur l’arête de son nez.

– Veux-tu savoir à quoi je pensais ? dit Elena le fixant droit dans les yeux. Michael hocha la tête, elle poursuivit :

– J’ai envie d’adopter un enfant.                                              

– Tu ne vas pas me croire. Moi aussi, j’y ai pensé.

– Je suis contente que tu aies la même envie que moi. Je me suis renseignée sur la démarche à suivre. Nous pouvons engager la procédure dans les jours qui viennent.

– Oui, je le veux bien. Ce sera notre cadeau de Noël.

Il s’ensuivit une nouvelle plage de silence.

Michael reprit sa lecture, Elena se replongea dans ses réflexions. Son projet comportait une disposition à long terme, qui n’était qu’un test destiné à sonder le cœur de Peter. Concentrée, prête à déceler le moindre changement de la physionomie de son mari, Elena prit une expression grave.

– Je ne t’ai pas tout dit sur mes intentions. Notre enfant sera mon héritier universel, dit-elle fixant Michael avec attention.

Cette fois, celui-ci déposa le magazine sur le guéridon, ôta ses lunettes, et il regarda son épouse, se demandant s’il avait bien compris ce qu’elle venait de dire. Il était resté quelques instants sans voix, pinçant ses lèvres avec amertume.

– Pourquoi éprouves-tu le besoin de m’annoncer cette heureuse nouvelle maintenant ? dit-il enfin, s’efforçant de dissimuler sa déception.

– Il faut que tout soit clair entre nous dès maintenant. Je ne veux pas que, plus tard, notre enfant ait à souffrir de la jalousie de son père.

– Je vois. Pour cela, tu n’as pas besoin de mon accord.

– Je veux aussi investir la moitié de mon patrimoine dans un institut de recherche sur le cancer. Je me le suis promis quand ma mère m'a quittée, victime d’un cancer du sein.

– Tu es très généreuse. Ton altruisme sera loué dans tous les foyers d’Amérique. Je t’en félicite, dit-il avec une pointe d’ironie.

A l’issue de cette épreuve, Elena n’avait plus de doute sur la motivation qui avait amené Michael à lui faire la cour. Ayant des problèmes financiers, il avait besoin d’une riche héritière pour assurer son avenir. Alors, il n’était plus question pour elle d’adopter un enfant, c’était plutôt le divorce qu’elle envisageait désormais, et elle le fit savoir à son conjoint.

Il eut beau se répandre dans des protestations d’amour désintéressé, elle n’en crut pas un mot, balayant ses serments d’une moue dédaigneuse ; et, pour l’assurer de la gravité de ses paroles, elle prit contact sans plus attendre avec son avocat.

 

Partager

Partager Facebook

Auteur

Blog

J.L.Miranda

19-08-2017

Couverture

Lire la suite
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Le collier de Diana appartient au recueil Contes et Nouvelles

 

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.