"La tondeuse" est un texte mis en ligne par
"Deogratias"..
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La tondeuse
Dans le parc municipal, assise sur l’herbe au milieu des roses et des pins, je regardais tout ce qui se passait devant moi. Mon chien posé sur mes genoux, tout fier, agissait de même : Il contemplait tout. L’un comme l’autre, nous étions éblouis : Des enfants jouaient à la balle, la nature merveilleuse dégageait son parfum d’été, la lumière du soleil éclatait en milles étincelles sur chaque pétale, chaque herbe, chaque branche d’arbre. On aurait dit qu’il y avait une fête ici. Pourtant, non, c’était juste l’été. Rien que l’été. Cette saison si belle ! Tout y est panache, arrogance, orgueil exalté. Tout se vante : La beauté de la nature, les robes des jeunes filles, les enfants pleins d’énergie à courir sous la chaleur, les couleurs aussi. Tout se dresse. Tout se lève. Tout est debout. Tout est Gloire et couronnement.
J’étais donc assise là avec mon chien sur les genoux. Soudain, un père de famille vint avec son petit garçon. Au même moment, le jardinier du parc arriva lui aussi pour tondre à quelques mètres devant moi. Le papa en question s’accroupit au sol pour tenir son enfant entre ses bras. Le petit regardait la tondeuse avec curiosité. Il restait là en silence, sans prononcer un seul mot. Il semblait fasciné par cet engin. Je l’observais à mon tour : Il était rouge et jaune, d’une forme ordinaire. Je ne comprenais pas bien cette admiration pour un outil de jardinage tout à fait quelconque à mes yeux.
C’est vrai, j’aurai préféré qu’il regarde les fleurs et les arbres, qu’il interroge son père au sujet des saisons, des roses. Au lieu de cela, ce petit garçon était là, planté, tout droit, à observer le travail du jardinier. Je vis alors son père lui parler à l’oreille. Très attentif, l’enfant écoutait. Comme j’étais trop loin, je ne pouvais pas entendre. Je me demandais bien quelles étaient ses paroles. A mon tour, devant tant d’intérêt, je regardais l’objet : Sa vitesse, son efficacité, la manière dont il recrachait l’herbe coupé. J’en oubliais le bruit du moteur, la gêne occasionnée, l’endroit où nous étions.
Ce n’était plus une tondeuse mais un objet fantastique inventé par les humains, ce n’était plus un outil banal mais un expert spécialiste de la tonte, ce n’était plus un jardin à entretenir mais le laboratoire d’un savant expérimenté, et pour tout dire, ce n’était plus une journée comme les autres mais le regard de l’enfance qui nous entraîne un peu plus haut.
Ce n’était plus un père avec son enfant mais un temps suspendu entre le ciel et la terre, coupé du bruit, de la foule et des oiseaux. Ils n’étaient plus que deux. Eux seuls. Rien d’autre n’existait devant la caméra de mon regard. On aurait dit qu’une main géante les avait placés là, devant moi, juste pour la beauté du moment. Juste pour la beauté du geste, pour la beauté, tout simplement. Moi, dans ce décor, postée à l’arrière, j’étais au cinéma, en 3D. Mieux : J’étais avec eux sans bien savoir ni pourquoi, ni comment. La tondeuse avançait imperturbable dans son boucan que je n’entendais plus. Mes larmes seules avaient le goût de l’herbe fraîche. Le goût de l’été éparpillé de tendresse, celle que l’on cueille un jour, puis, qui vous cueille à son tour et qu’on ne peut plus oublier.
Le papa expliquait à son fils le fonctionnement de l’outil tandis que le fils entraînait le père dans l’émerveillement de la découverte. Il lui communiquait la joie de ses extases enfantines. De loin, une émotion me ravissait le cœur. Elle m’étreignit avec la même intensité que le jaillissement de cette saison étincelante. À un moment donné, je vis le père se tourner vers moi. Il était hors de question qu’il me voit pleurer alors je lui souriais. Pourquoi pleurer ? Je ne sais pas.
Cet instant était d’une banalité tout à fait ordinaire mais le temps s’était comme arrêté. J’étais entrée dans cette scène ou plutôt c’était elle qui m’avait avalée. Je me retrouvais engloutie par ma contemplation. J’aurai voulu à l’instant même la peindre ou la dessiner mais je n’ai jamais eu ce talent-là. La mémoire du cœur vaut milles peintures.
Ensuite, alors que la tondeuse poursuivait son labeur avec application, les deux s’en allèrent. Le père posa l’enfant sur ses épaules qui se mit à jouer avec les branches des arbres enfin à sa hauteur. Je fermais les yeux. Avec le gamin, je respirais, je sentais moi aussi les feuilles m’effleurer le visage. Je vivais tout, unie à lui, sans qu’il le sache. Je souriais à mon tour. Pendant quelques secondes, j’avais trois ans et c’était bon.
Quand ils furent vraiment partis, mon corps est resté là, quelques minutes, sans bouger, tandis que mon âme pleurait encore de l’intérieur. J'avais caché mon émoi au monde extérieur mais au-dedans, on aurait dit une pluie d’été dans sa clarté renouvelée. J’avais besoin de temps pour me remettre de cette pureté cachée dans l’écrin du quotidien. De ce cadeau offert. De cette surabondance merveilleuse érigée sous nos yeux aveuglés. De cette joie distillée dans toute cette vie que nous n’avons pas choisie.
Merveilleuse surabondance !
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La tondeuse
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