La Rencontre - Texte

La rencontre

Dis-moi, si la mort frappait à ta porte ce soir, que lui dirais-tu pour la convaincre que ton heure n’est pas encore venue ?

Je lui dirais que les oiseaux lorsqu’ils volent forment des arabesques si savantes que même le ciel en frissonne.

Je lui demanderais s’il a déjà parlé aux enfants de trois ans lorsqu’ils jouent à la guerre.

Je crois enfin que je lui décrirais l’éclosion des fleurs au printemps après tout l’hiver à dormir sous la terre.

Crois-tu que cela suffirait ?

Je ne sais pas. Dans le doute, je lui parlerais alors de la chaleur du corps de mon petit chien quand il se love tout près de moi. Je lui décrirais toutes les beautés terrestres, celles des montagnes, des océans, des forêts, des vallées.

Mais en quoi cela retarderait son heure pour toi ?

Je ne sais pas. Pleine d’espoir, je lui montrerais la tendresse des enfants pour leur mère, les caresses des fiancés à l’aube de leur vie, les lettres d’amour, les regards émerveillés, les poésies merveilleuses, les peintures des musées, les spectacles ingénieux. Tout ce qui existe sur la terre, de par le monde : Dessins, danses, chants, chorégraphies. Que sais-je encore !

La mort connait tout cela. Je crois qu’elle ne serait pas convaincue.

Je ne sais pas. Je lui confierais alors que je ne me sens pas prête. J’ai encore tant à offrir, tant à cueillir, tant à aimer. Oui, c’est cela, je lui parlerais d’amour !

La mort connait l’amour. Elle est forte comme lui. Je crois qu’elle n’apprendrait rien de nouveau.

Je ne sais toujours pas. Je courrais vers elle pour la stopper enfin. Je lui demanderais d’arrêter toutes les heures des pendules. Je ferais en sorte qu’elle se croit dans l’erreur. J’arrêterais le temps, il ne s’enfuira plus.

La mort n’est jamais dupe qui sonne l’heure quand vient le temps.

Et qui sait après tout ? Quel argument pourrais-je avancer qui suffise à la troubler ? Oh je voudrais lui parler de l’amour à tisser, de mes vœux à réaliser, de mes désirs inexaucés, des projets à achever, des réconciliations à opérer, des rencontres à initier. Enfin, tant et tant de choses, mon Dieu, qu’elle me comprenne !

La mort sait tout mon amie, plus avertie que l’âme humaine.

Alors, sais-tu, je renoncerais à lui parler. Je la regarderais dans les yeux, sans prononcer un seul mot. Elle lira dans mon âme mieux que personne. Elle connaitra mes regrets, mes espoirs, mes attentes, mes rêves. Elle verra ma réalité, mes manques, mes couleurs, mes choix passés, mes fautes aussi.

Il n’est rien de caché que la mort ne connaisse déjà. Aucun secret ne peut lui échapper.

J’avancerais vers elle comme une enfant confiante, je lui demanderais de me parler à son tour, oh qu’elle me dise pourquoi elle vient ce soir, pourquoi maintenant, pourquoi ici, pourquoi déjà, pourquoi tout simplement !

Crois-tu qu’elle te répondra ?

Comment le saurais-je ? Je crois qu’elle pleurera de me voir ainsi pleurer tout éprise dans l’étreinte de la vie que je ne veux plus quitter. Elle me prendra alors dans ses bras pour me bercer dans la Sagesse qui est sienne. Là, tout est bien. Tout est parfait. Rien à redire. Je serais consolée.

Comment en être sûre ? N'est-elle pas la fin de tout ?

Oh mon Dieu, alors je la supplierais de lire mes larmes dans mon coeur. Elle connaitra la ferveur de mon âme. Je me présenterais à elle à genoux, comme une enfant demande à boire ! Je prendrais ses pieds feutrés pour la couvrir de baisers. Peut-être sera-t-elle attendrie ?

La mort est souvent violente, inatttendue, cruelle. Elle n'a rien d'humaine en vérité.

Peut-être  ! Oui, justement, puisqu'elle n'est pas faite de chair et d'os, elle sait bien que nous ne sommes pas faits pour elle ! Que rien jamais ne nous blesse autant que les deuils ! Et moi non plus, je ne suis pas faite pour elle ! 

Tu dis vrai. Comment la convaincre alors que ton heure n'est pas la sienne ?

Je vais la rendre jalouse ! Je lui parlerais de son hideuse mission, de son silence, de sa tombe et des cimetières. Je lui verserais dans la bouche les torrents de larmes qu'elle engendre, les yeux fatigués, les coeurs las, les questions sans réponse.

En quoi cela la rendrait jalouse ?

Parce qu'ensuite, je prendrais mon album spirituel pour lui dévoiler toutes les vérités cachées qui parlent d'éternité, de royaume, de paradis et de béatitude. Elle sera bien étonnée ! Elle n'est qu'une porte, un passage, un canal, rien que de l'éphémère !

Tu te trompes, la mort  sait ce qui vient  après !

Puisqu'elle le sait alors rien n'est perdu ! Elle saura que je crois à la vie qui vient juste après sa venue ! Je ne demande qu'un peu de temps !

Elle te l'accordera ?

Oh je ne sais ! Etranglée de désir, je prendrais son visage entre mes mains, je lui caresserais les tempes, j'essuierais ses cheveux mouillés. J'enlèverais la crasse noire de suie qui la recouvre. Elle ne sera plus laide !

La mort peut être belle ?

Va savoir !  En tout cas, elle ne pourra plus me prendre ! Puisque je sais que la vie m'attend ! Elle sera moins pressée c'est sûr ! Elle n'aura plus d'excuses !  Elle ne fera plus peur !

Elle est Sagesse entre les mains divines.

Oh  pour affirmer cela, combien il faut de foi ! Sommes nous prêts à l'entendre ? Est-elle la vie ?

Non, mais ce que beaucoup oublie, c'est qu'elle en fait partie. Alors, l'auras-tu convaincue ? 

Ah, si j'avais la réponse ! Mais tout près d'elle, avec Thérèse, je pourrai lui murmurer,:  « Ce n’est pas toi la mort qui viendra me chercher, c’est le Bon Dieu ! ».

Il ne faut pas la vexer !

Bien au contraire, quand le jour viendra c'est que son heure sera devenue mienne ! Tout simplement.  

Et quelle heure sera-t-il ?

L'heure de la Rencontre.

Notre Rencontre.