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La chute - Histoire

Histoire "La chute" est une histoire détente mise en ligne par "Deogratias"..

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La chute

 

 

Soudain, une main se posa sur son épaule. Ce fut le moment le plus réconfortant de toute sa vie. Cette main secourable à un moment de si grande solitude, jamais elle ne l’oubliera. Si elle ne croyait pas déjà aux fées, aux elfes, aux anges gardiens, ce jour-là, elle aurait commencé d’y croire. À n’en pas douter. Emma, 24 ans tout juste, s’en souviendrait longtemps.

 

Tout s’était déroulé quatre ans plus tôt, mais le souvenir était encore vivace. Intact.  Un peu comme s’il s’était produit la veille. Pour s’aider à  se rappeler de ce moment qui l’avait tant choquée, elle ferma les yeux. Elle commença ensuite à faire travailler sa mémoire. Pour mieux y parvenir encore, elle parla à voix haute, elle désirait  tout revivre comme si tout se déroulait maintenant. Au présent donc, dans l'ici et maintenant. Elle s’imaginait plus ou moins en mode « hypnose » :

 

Zoom arrière  : « Je suis arrivée dans cette maison à 20 h 45. J’avais promis de venir arroser les plantes de mes amis partis en vacances pendant toute la semaine. Les frissons ne me lâchent pas dès que je pénètre dans cette demeure. Pourquoi ? Je n’en sais rien ! Peut-être à cause des photos de famille réparties sur tous les meubles. Ils ont tous l’air si heureux ! Ça donne presque la nausée ! Pff !  Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une famille comme la mienne où plus personne ne se parle ! Ça c’est sûr, une famille déchirée, eux, ils ne savent pas ce que c’est ! ».

 

Cette dernière pensée plongea Emma dans une réflexion profonde qui stoppa net l’analyse mentale qu’elle avait commencée. Elle resta comme ça un petit moment en mode « pause ». Se souvenir avec exactitude de tout ce qui s’était passé prendrait donc un peu de temps.

Quand enfin elle sortit de sa torpeur, elle s’exclama : « Bon sang, Emma, arrête de gamberger ! Réfléchis donc ! Comment cela s’est-il produit ? ».

 

 « Alors, je suis dans le salon, je vois leurs portraits de famille. Je continue d’avancer jusque dans leur cuisine. D’ailleurs elle a un super plan de travail. Tout en marbre ! Je cherche l’arrosoir. Il est en bas, sur le sol. Je me baisse, je le soulève puis je le remplis d’eau dans l’évier. Jusque-là, ça va.

Ensuite, j’ai voulu visiter le reste de leur superbe baraque.  Mince, c’est pas tous les jours qu’on voit ça ! J’ai accepté de leur rendre ce service pour un peu de fric, ok, on ne m’a pas dit que je devais ne rien visiter pour autant ! Leur fille aînée est ma meilleure amie. Ils ont confiance, ils ont raison. Alors j’ai bien le droit de regarder ! Ce n’est pas interdit ! ».

 

Emma rouvrit les yeux. Elle se sentait bien malgré sa conscience qui l'accusait encore un peu. Ce n’était pas très élégant de fouiller comme ça un peu partout, juste par curiosité, même si elle n’avait pas  eu d’intention malhonnête. Tout ce qu’elle avait désiré devant tant de richesses auxquelles elle n’était pas habituée, c’était de pouvoir contempler les dressings, les salles de bains, les chambres, les décors, le linge, les tableaux, la vaisselle, les fringues…

 

Elle toussa un peu puis reprit son "inspection générale post-traumatique", toujours à voix haute, les yeux fermés, histoire de ne rien oublier :

 

« J’arrose toutes les plantes du salon. Une bonne dizaine. Le philodendron est superbe. Il grimpe au mur sur le côté droit du canapé, près de la fenêtre. Il commence à s’enrouler sur la tringle à rideaux. J’trouve ça super cool ! Bref, je finis de donner à boire à toutes cette verdure, je repose mon arrosoir.

Ensuite, je commence mon petit tour touristique : Je me dresse sur la pointe des pieds pour regarder dans les armoires de la cuisine. Je prends une assiette. Elle est trop belle ! Des jolies fleurs partout avec un petit liseré tout doré sur les bords. La classe ! Je la remets à sa place. Je me décide à aller à l’étage, là où il y a les chambres ».

 

Emma fit une autre pause. Elle revoyait en pensée cette si belle assiette. Elle rouvrit ses yeux : « La vache ! Des assiettes comme ça, c’est pas du Ikea ! Ça doit coûter un max de fric ! J’aurai adoré manger avec une aussi jolie vaisselle…Ce serait toujours mieux que les miennes achetées en promotion ! Bon, elles sont pas si mal quand même ! De toute façon, je casse tout ! Je suis d’une maladresse ! ».

 

Emma se dirigea alors vers sa propre cuisine, elle prit un coca dans un verre à moutarde qu’elle trouvait très chic auparavant. Plus maintenant cependant. « ça, c’était avant ! ». Avant de voir le décor de la très jolie maison.

Elle but quelques gorgées. Puis, parce qu’elle y tenait, malgré le temps qui avait passé, malgré le nombre de fois où elle avait encore et encore décortiqué tout ce souvenir, elle reprit :

 

« Je monte les escaliers, je vais à droite, là, je tourne la poignée de la première porte. C’est la Chambre de Cindy, 7 ans. Une vraie petite fille girly. Des poupées de partout. Une couette rose, des affiches de princesse aux murs, un dressing digne de la fille de Kate Middelton ! Pétard, la gamine, elle a déjà tout ce qu’elle veut ! »

 

Emma soupira.

 

« Je sors. Tout ce rose qui dégouline de partout, j’en peux plus ! J’ouvre la seconde porte. C’est une salle de bains. Chaque chambre a sa salle de bains. Chaque enfant en a une ! Waouh ! Comme un hôtel grand luxe ! Un carrelage magnifique avec des fleurs, une jolie coiffeuse, d’ailleurs, elle a oublié sa trousse de toilette Cindy !

Je ressors, je vais à gauche, je me retrouve dans la chambre parentale. Tooop ! La couette bleu nuit avec des oreillers superbes. Des coussins bien alignés tout du long sur un lit très bien fait. À quoi donc servent tous ces coussins ? Il n’y a pas besoin d’en avoir autant franchement ! C’est fou ça ! Chaque soir, tu dois les virer ! A vu de nez, il y en a au moins une bonne dizaine, de toutes les couleurs en plus ! Ça ne sert à rien ! Pff ! Quelle drôle d’idée tout de même ! ».

 

À ce moment précis, Emma rouvrit les yeux. Elle revoyait très exactement ce qui l’avait le plus séduit, là, posée sur ce grand lit, juste adossée aux coussins inutiles : une magnifique poupée de collection, revêtue d’une robe en satin bleu ciel. Elle l’avait caressée quelques secondes, sans oser la serrer dans ses bras. « Quelle jolie poupée ! Le rêve ! Aucune enfant de mon quartier n'en a jamais vu des comme ça, c'est sûr !".

 

Son quartier : une cité HLM dans laquelle elle louait un studio. Ce n’était pas du tout le même décor que cette maison. Comment les avaient-elles connus déjà les Duchemin ?   Ah oui, c’était il y a environ cinq ans. Ils avaient mis une annonce pour quelques heures de baby-sitting, il fallait garder Cindy chaque vendredi soir pendant trois mois. Elle avait eu de la chance, leur fille ainée la connaissait. Elles allaient à la chorale ensemble à cette époque.

Bref, c’est comme ça qu’elle les avait rencontrés. Sauf qu’à ce moment-là, au moment du baby-sitting, ils n’habitaient pas dans cette superbe maison. Quand ensuite ils l'embauchèrent pour arroser les plantes, ils avaient déménagé. C'était donc bel et bien la première fois qu’elle y mettait les pieds.  Leur précédente habitation ne lui avait pas fait la même impression. « Ah ça non ! Le luuuxe ! ».

 

Emma reprit une par une dans sa tête toute la visite des chambres, des couloirs, de la salle de jeux et des dressings. Elle avait adoré toucher les robes en soie, effleurer les pantalons en velours milleraies, les corsages à dentelles, les chemises en lin. Elle se souvenait de son cri enthousiaste quand elle avait découvert le nombre incroyable de cravates du père de famille. Elle avait compté : Vingt et une  !  « Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec vingt et une cravates de toutes les couleurs ? Mystère ! ».

 

Emma continua la « visite mentale » de cet évènement passé : Après avoir visité tout le premier étage, elle était redescendue au rez-de-chaussée dans la cuisine. Elle vérifia cette fois-ci qu’elle avait bien rangé l’arrosoir à sa place, c’est-à-dire sous l’évier et non pas à même le sol.

Avant de quitter les lieux, elle avait eu le désir de regarder le petit salon tout près de l’entrée. Il n’y avait qu’une succession de bibliothèques sur tous les murs.  Or, Emma adorait les livres.

 

Alors qu’elle cherchait sur les étagères un livre qu’elle pourrait emprunter, elle vit sur le sol un gros sac avec son prénom sur un morceau de papier agrafé dessus. Elle se baissa. Elle cria de joie : Toute la série de ses BD préférées ! Elle n’en revenait pas. Elle lut le petit mot placé là : « Bonjour Emma, ces quelques bandes dessinées vous feront plaisir. Personne ici ne lit ce type de lecture, je vous les offre  avec bonheur. Profitez-en bien ! ». Emma feuilleta quelques-unes d’entre elles. « Trooop bien ! » s’écria-t-elle.

 

C’est à partir de là que le drame s’était produit. Le drame et le miracle. Un drame miraculeux. Un miracle dramatique. Qu’importe, appelez-le comme vous voulez. Emma se rappelait tout :

 

Elle prit donc le sac, ouvrit la porte d’entrée, referma à clef et s’apprêtait à rentrer quand, par une maladresse incroyable, sans doute liée au poids qu’elle portait, elle ne vit pas la première marche  de l’escalier de pierre situé sur le perron. Elle tomba de tout son poids sur le sol ! Une sorte de vol plané. Directement sur les genoux, elle se tordit l’épaule droite et la cheville gauche. Une longue éraflure sur le bras gauche commençait à saigner. Elle hurla de douleur : « Putain ! Mais bon sang ! Comment j’ai fait ça ?! ». Elle se frottait les jambes avec vigueur pour atténuer le mal. Rien n’y fit sur le moment. De surcroît, une douleur atroce lui transperçait le dos. Elle tenta de se relever par elle-même au bout de quelques minutes. En vain. Elle n’avait plus de force.

 

À vrai dire, Emma souffrait déjà à cette époque d’une pathologie musculaire qui l’empêchait aujourd'hui de travailler à temps plein, aussi, ce qui n’était qu’une simple chute pour le commun des mortels n’avait rien à voir avec ce que, elle, Emma, pouvait ressentir. Sa lourde chute ressemblait davantage à une dégringolade depuis le haut d’une tour qu’à une petite descente rapide de six marches à peine. Elle souffrait beaucoup. Elle tenta plusieurs fois de se relever. Sans succès. Elle regarda autour d’elle : Personne pour la voir et donc pour la secourir. Comment allait-elle se sortir de là ? Elle l’ignorait.

 

Elle avait mal partout. Endolorie, elle restait là, bloquée à même le sol sans plus se mouvoir. Deux grosses larmes commençaient à couler sur ses joues.  De surcroît, il faisait nuit maintenant. Qui la verrait ? Qui pourrait l’entendre ? Fallait-il crier plus fort ? Elle cherchait sa respiration puis regarda autour d'elle : elle vit le sac près d’elle avec toutes les BD éparpillées sur la pierre et son sac à main éloigné d’elle d’au moins une bonne dizaine de pas. Dedans, il y avait ses médicaments. Comment faire ? 

 

Il était déjà presque 22 heures. Elle s’en voulait : « Pétard, si je n’avais pas passé autant de temps à fouiller partout comme une imbécile, je n’en serais pas là ! ». Un réverbère à quelques centaines de mètres de là éclairait un peu les alentours.

Elle frissonnait de froid, de peur, de douleur. Elle commença alors à échafauder un plan : « Si je rampe jusqu’à mon sac, je prendrai mon remède, ce qui me soulagera un peu, puis une fois que ce sera fait, je vais crier jusqu’à ce qu’une personne m’entende ».

Emma essaya de mettre son plan à exécution. Peine perdue, trop mal, elle ne parvenait même pas à ramper. De plus en plus effrayée par sa situation, par la nuit, par le froid, elle angoissait : « C’est bien ma veine ! Le jour où j’ai oublié mon portable ! ».

 

Emma, bloquée, se frottait les bras pour se réchauffer un peu, elle se balançait aussi, histoire de se donner du courage. Elle cria une fois : « Au secours ! ». Mais sa voix éraillée par la fatigue ne portait pas assez loin. Sans compter que l’effort déchirait sa poitrine. Elle avait sans doute une côte cassée.

 

Le temps passa. Combien de temps au juste ? Elle ne se rappelait plus. Assez cependant pour tomber petit à petit dans la déprime. « Et si je restai là des jours entiers sans que personne ne s’inquiète ? Et si je mourais, là, sur la pierre ? Putain d’escalier ! ».

 

 

Soudain, une main se posa sur son épaule.

 

 

Une main forte, chaude, vigoureuse. Une main venue de nulle part. Une main qu’elle n’avait pas prévue. Elle se retourna et ne vit pas le visage de la personne qui était près d’elle. Elle sentit juste qu'elle était douce, qu'elle respirait la paix. Une atmosphère étrange l'enveloppait. Quelque chose qui mit le coeur d'Emma en joie.

Sans dire un mot, cet être venu d'ailleurs la releva en la soulevant du sol. Elle ne sut jamais comment. Elle avait eu l’impression de voler. Puis, il posa de nouveau sa main sur son autre épaule. Une main dont la chaleur était telle qu’Emma se sentit tout de suite beaucoup mieux. Aussi rapide qu’il était venu, sans prononcer un seul son, l’inconnu disparut tout aussitôt. Comme ça, dans l’obscurité, sans se présenter. Sans rien de plus.

 

Ensuite, Emma était rentrée tant bien que mal. Elle avait boité sur tout le chemin du retour. Après s’être soignée, elle avait bu une tasse de thé bien chaude.

 

C’est depuis cet instant mémorable, qu’elle ne cessait pas de revivre la scène : « Qui était cet homme ? Il avait l’air immense ! Je n’ai reconnu personne de mon entourage. Il ne s’est même pas présenté. Trop sonnée, je n’ai même pas pensé à lui  demander son nom. J’ai juste dit : « Merci ». C’est tout. C’est bref. Qui était-il ? On ne pouvait même pas voir son visage ! On aurait dit un homme invisible ! ».

 

Emma en gardait une impression étrange. Comme si cette main n’était pas n’importe quelle main. Était-ce seulement celle d’un homme d’abord ?  Que penser ?

 

Les questions ne cessaient pas de la tourmenter depuis qu’elle avait éprouvé cette sensation mystérieuse. Il y avait eu, à cet instant précis, une ambiance qu’elle n’arrivait pas à définir. Comme un « je-ne-sais-quoi » de pas ordinaire. Un « je-ne-sais-quoi » qui n'était pas d'ici. Son intuition la trompait rarement. Le souci était juste qu’elle ne pouvait la partager à personne.

 

Un jour, malgré tout, elle en avait parlé à l’une de ses amies. Celle-ci  se moqua avec bienveillance : « Peut-être que c’était la main du proprio ? Ou alors celle d’un voisin ? Qui sait ? On s’en fout après tout ! Il n’avait qu’à se présenter !  C’est pas si important ! Ce mec t’a aidée ! C’est cela qui compte non ? ».

 

Emma opinait de la tête sans conviction.

 

A défaut, pendant des années encore, elle revivrait régulièrement la scène. Surtout, elle se gardait bien de se confier.  Qui la croirait ? Elle gardait donc pour elle son intime conviction.

 

Oui, elle ne pouvait s’en ouvrir à personne mais elle en était certaine, cette main n’était pas celle d’un homme mais …

 

 

La main d’un ange.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Deogratias

20-07-2024

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La chute appartient au recueil Histoires courtes

 

Histoire terminée ! Merci à Deogratias.

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