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Dis moi pourquoi…
Je regarde la foule immense en ce mois de mars, toutes ces personnes agglutinées dans les manifestations pour s’opposer à une réforme du pays. Je les regarde, je les entends, micros, pétards, fumées, couleurs, drapeaux divers. Je les observe derrière mon écran de télévision et je ne sais pas pourquoi, ils me font de la peine. Oh ! Ne croyez pas que je méprise leurs revendications, je n’en ai pas le cœur. Sans comprendre pourquoi, une émotion sans nom, tout d’un coup, m’a saisie.
- Dis-moi, mon amie, d’où vient ce sentiment ?
Je crois que c’est à cause des oiseaux qui volent dans le ciel bleu au-dessus des paysages. Je les vois voguer dans l’espace, à l’aise, avec une telle fluidité, tellement libres de tous maux. J’écoute leurs chants mélodieux en même temps qu’ils me traversent. Ils sont si nombreux, si beaux, bien au-delà de la mêlée humaine.
- Pourquoi tant de peine ?
Je crois que c’est à cause des grands arbres centenaires sur les bords des chemins. Ils bordent chaque côté de mon itinéraire, ils s’élèvent toujours un peu plus haut, plus ils vieillissent, plus ils grandissent. Quel talent ! Ils multiplient les couleurs de leurs feuillages en même temps qu’ils poussent, doucement, l’air de rien. Leurs racines qui plongent profond dans la terre se nourrissent de la richesse dont ils ont besoin. Les arbres aiment le ciel, leurs troncs sont une écorce entre le monde et leur sève. Les arbres sont intelligents.
- Je t’en prie, d’où vient ta tristesse qui augmente ?
Je crois que c’est à cause de la lumière, elle est là, qui darde sa clarté, en cette fin de journée. Immuable, elle répond toujours présente sans même lever le doigt. C’est beaucoup plus qu’une bonne élève, elle est là, fidèle comme un ami très cher. Toujours elle se lève et c’est si grand, un don qu’on n’a pas mérité. Sa limpidité éclaire, inonde et baigne de lumière tout aux alentours. Quand elle passe par mes fenêtres, qui lui en a donné l’ordre ? C’est un mystère une telle exactitude sans jamais se tromper. Elle caresse tout de son regard sans jamais s’habituer.
- Mais alors, réponds, cette mélancolie, d’où vient-elle ?
Je crois que c’est à cause de l’eau qui ruisselle, à l’intérieur, comme un ruisseau. Quel que soit le temps, elle coule sans s’arrêter, d’une pureté que rien n’égale. Elle charrie, quoiqu’on y fasse, les petits cailloux et les branches. Elle éclabousse et rafraîchit partout. Imperturbable, elle continue sa course pour arroser la terre. Elle abreuve tout ce qui vit : les oiseaux, les chevaux, les hommes. Elle ne fait pas de distinction, elle s’offre comme on s’offre toujours lorsque l’amour vous prend. Elle est généreuse, souvent, elle chante, j’entends si souvent son joli clapotis.
Un instant, je reviens au reportage sur les mouvements sociaux. Je vois les casques des motos, les cris des hommes aux poings fermés par la violence.
- Voilà la raison de ton chagrin n’est-ce pas ?
Je crois que c’est à cause des enfants intrépides qui rentrent de l’école. Éloignés encore pour un petit moment de tant de préoccupations, ils courent leur cartable sur le dos. Mon cœur se serre. Ils grandiront. En attendant, j’admire leur regard à la candeur éternelle, leurs jeux sans rancœur et leur saveur innocente qui demande : « Tu joues avec moi ? ». La vie est un jeu et ce n’est pas les petits chiens qui partagent avec eux leur ballon qui diront le contraire. Ils jouent des saynètes improvisées plus vraies que nature, sans souci des apparences. L’enfance est un une tribu à laquelle il est bon d’appartenir.
- Je ne comprends pas tes réponses ni cette langueur qui te saisit un peu plus fort à chaque instant !
Je crois que c’est à cause du temps, il pleut dehors, ou bien dedans ? L’eau qui frappe le sol forme des flaques pour les pieds des enfants pataugeurs, elle remplit les nappes phréatiques après des mois de sécheresse, elles donnent à boire sans qu’on s’en rende compte. Elle distribue sans calculer, sans priver les semences des fleurs, sans oublier personne. Elle arrive comme un invité en retard, les champs des maïs ne l’attendaient plus, les blés en étaient presque courroucés. Les voilà qui se désaltèrent. Les prairies rieuses en cette fin de l’hiver, comme elles sont belles !
- Oh, dis-moi, par pitié, ce qui me vaut ce sanglot que tu étouffes ?
Je crois que c’est à cause de la neige, elle tombe en hiver environ un jour sur dix, par ici, dans les montagnes de l’Auvergne. Tous ces flocons blancs qui tapissent la terre, c’est une pluie de silence qui assourdit tous nos bruits. Elle recouvre de sa blancheur immaculée toute la terre qui s’endort. Elle est pure, sans tache et sa beauté vous coupe la parole. La forme savante de chacun de ses flocons comme une étoile d’eau, quel est l’artiste qui l’a dessinée ? Quelle main experte l’a inventée ? La neige comme un tapis velours fait la joie des petits. Et puis que dire des animaux qui dorment ? Quel beau mystère que les hibernations !
- Je ne comprends pas ta mélancolie, je n’en vois pas l’explication.
Je crois que c’est à cause du vent. Il souffle ce soir sur mon domaine. Sa vitesse me caresse sans jamais m’étourdir. Grâce à lui, je respire, me voilà gorgée du souffle de la vie. Il éparpille les feuilles de l’automne, il apparaît soudain si fier qu’on entende son cri. Il balaie tout sans se gêner, il aime à répandre les semences un peu partout. Il soutient aussi le vol des grands rapaces et secoue les colères de la terre. Il est un peu rebelle, comme moi, parfois, dans mon dedans.
- Tes mots n’ont pas de sens, pourquoi ces larmes au bord de tes yeux ?
Je regarde mon petit écran. Des hommes en noir aux masques, avec des bâtons et des pierres qu’ils jettent droit devant. Les coups de pied, les coups de poing, les coups du corps, les coups, beaucoup de coups.
- Voilà pourquoi tu pleures ! Non pas ce que tu dis !
Je crois qu’en vérité c’est à cause des fleurs. Elles sont si tendres quand elles sortent de terre après des mois sans le soleil, elles se dressent parées de leurs oripeaux, multitude de couleurs, de formes et de parfums. Arrogantes ou très humbles, toujours offertes sans manquer à personne. Elles grandissent et leurs corolles entrouvertes font la joie des moineaux, des insectes et des abeilles. Elles illuminent le joli mois de Mai, lui qui commence par les jolies clochettes du muguet.
- Si je pouvais comprendre !
Je crois que c’est à cause des amitiés éternelles qui traversent les guerres, des promesses qui tiennent dans le temps, des saisons qui reviennent chaque année sans faire d’erreur, des cris des nouveaux nés, des étoiles qui baillent étincelantes dès la nuit tombée et les baisers sur la bouche des fiancés.
- Mais non, voyons, c’est la violence, là, sous tes yeux, rien d’autre !
Je crois que c’est à cause des flammes aux bougies allumées, quand elles vacillent et m’enivrent de joie. Et puis, que dire des bateaux aux grandes voiles qui voguent sur la mer ? Ou bien des livres ouverts qu’on peine à refermer, des repas bien préparés, des nuages qui s’affolent avant l’orage annoncé ? As-tu déjà senti l’air iodé des océans ? Et les vagues mugissantes qui rient à en perdre leur écume ?
Et la chaleur des bottes de paille, les peintures de Monet ou les géants tournesols ? Entends-tu le chant des chorales, le son des cloches aux cous des animaux, le bruit des tic-tac des horloges en merisier, les mains des artistes sur des toiles à dessiner ou celles des potiers dans l’argile à modeler ?
- Tu déraisonnes, voilà la vérité !
Je regarde devant moi. La nuit s’est installée. La télévision continue de cracher les nouvelles des mouvements sociaux. Ils sont pleins de verve, de revendication, ils ont des droits, ils méritent salaire et rémunérations.
- Dit, pourquoi tu pleures ?
Je crois que c’est à cause du cœur des poètes, du récit des conteurs le soir près des cheminées, de la symphonie des grands bancs d’oiseaux migrateurs, des mots qui chantent la tendresse pour les cœurs assoiffés, des caresses aux bébés que les mamans bercent émerveillées.
- Que racontes-tu ? Vraiment, j’ai du mal à te suivre !
As-tu vu les petits chiens qui vous caressent du regard sans jamais nous juger ? As-tu remarqué les lumières flamboyantes des feux de camp improvisés ? As-tu déjà goûté le sucre, les épices ? Respires-tu les parfums aux milles suavités ?
- Qu’est ce qui te rend triste, enfin, quoi ?
Je crois que c’est à cause des grimaces des enfants farceurs, des rires et des chansons, du murmure des amants qui se croient seuls au monde, des doigts du pianiste sur le clavier, des danses arabesques aux tutus étoilés, des pierres qui brillent sous le soleil et du cri entêté des coqs au lever.
- Je crois que j’ai compris ! Tandis que se battent là, sous tes yeux, ces hommes aux regards fatigués, tu entends au loin quelque part, je ne sais où, toute la beauté du monde qu’on ne contemple pas assez ! Toute la beauté ordinaire des jours qui s’enfuient. Toute la beauté des œuvres qu’on n’a pas créées ! Là, quelque part, je ne sais où, dans ton souvenir ou dans ton intériorité ? Toute la beauté de l’amour partagé qui ne peut pas mourir. Toute la splendeur d’un au-delà qui nous dépasse, lui qui enveloppe tous les chefs-d’œuvre de la vie !
- Oui, la beauté fulgurante dont mon cœur se souvient est dans mes larmes ce soir. J’aurai dû ne voir que cette violence et ces cris rapportés d’une journée vindicative. Je n’ai entendu, je n’ai vu, comme dans un miroir retourné, que l’envers du décor. Par contraste, comme une gifle, en vérité, c’est toute la beauté du monde qui m’a sauté aux yeux.
Je ne peux que pleurer ce qui, tant, nous a manqué…
…Toute la Beauté du monde.
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Dis moi pourquoi...
appartient au recueil Textes et poésies
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