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Ayanna « Papillon ! Papillon ! Papillon » Ayanna, 4 ans, venait de tourner autour de moi pendant plus de cinq minutes à la poursuite d’un papillon. Moi, assise dans l’herbe, je cherchais à lire le livre que j’avais apporté. Peine perdue. « Papillon ! Papillon ! Papillon ! », je l’observais, amusée, petit pantalon rose, natte tressée sur l’arrière de la tête, des grands yeux bleus immenses, un sourire boudeur, comme un petit ange joufflu. Ayanna, après sa course folle, revint vers moi avec un livre : « Tiens, tu peux m’ouvrir le livre ? ». J’acceptai de bon cœur cette énième interruption, j’ouvrais le petit ouvrage, en pages de carton très épais. Dessus, des dessins : « des bisous », « des fleurs », sous chaque image, le mot qui correspondait avec la possibilité de toucher un bouton censé faire du bruit. Ayanna, aussitôt après m’avoir demandé ce service, partit pour reprendre sa capture inutile. Je restais là, avec ce petit livre en mains. Je le fermais et j’en découvris le titre : « Mes émotions en musique ». C’était une coïncidence incroyable. Je me souvenais d’une psychologue rencontrée plusieurs années auparavant, avec elle, j’avais compris que les émotions étaient des papillons que, moi aussi, je ne parvenais pas toujours à attraper. Pas au bon moment. Pas de la bonne manière. Analphabète émotionnelle. Je me levais pour rendre le livre aux parents d’Ayanna non loin de là. J’étais venue pour lire dans ce parc municipal parsemé de fleurs de toutes sortes, je revins chez moi sans avoir lu une seule page, mais, dans le cœur, vivait le souvenir ému de cette petite messagère qui m’avait invité à vivre mes émotions. La journée avait commencé de façon très ordinaire. Un peu de ménage, les promenades du chien, quelques rangements. Le soleil du printemps illuminait le ciel, les fleurs, les rues, surtout mon âme endolorie. J’étais contente de la météo après des jours sans soleil et sans joie. Les actualités du moment n’étaient pas roses, il y avait, selon les journalistes télévisés, vingt-cinq guerres dans le monde. Que de violence, de morts, de douleurs ! Il était temps de prendre son livre, d’aller prendre un bon bol d’air tant pour le corps que pour l’esprit. Je cherchais à me régénérer de l’intérieur, j’avais soif d’oxygénation. On ne peut pas toujours vivre dans le malheur, bien trop de beautés nous attendent, ce serait leur faire injure que de ne pas les rencontrer. Je venais tout juste de m’asseoir, avec cet état d’esprit en quête de légèreté, lorsque cette petite Ayanna vint m’importuner par sa danse en forme de papillons. Médusée par tant de confiance et de simplicité dans l’approche, j’avais contemplé son visage encore bébé tout lisse, tout blanc, intact. Elle était missionnée pour moi, rien que pour moi, j’avais des choses à comprendre. Il était impossible que cette petite saynète improvisée dont j’avais été la seule témoin ne soit que le fruit d’un hasard sans valeur, sans leçon, sans finalité. Il y avait forcément une sagesse inexplorée qui me tendait les bras lorsqu’Ayanna me tendait « ses émotions en musique ». Mais laquelle ? Je l’ignorais. La journée se poursuivit sans accroc majeur, un coup de fil d’une amie pressée de m’inonder de ses malheurs, le repas à préparer, une liste de courses à écrire, la routine d’un quotidien bien huilé. Je crois que c’est au moment où je notais les aliments à acheter que le cœur commença à me vriller. Sans identifier la cause, je sentais dans ma poitrine un oiseau qui battait des ailes un peu trop vite, comme s’il voulait sortir de sa cage, sans délai, sans permission. Je n’écoutais pas. J’avais autre chose à faire. C’est fou quand on y pense ce besoin de nier l’évidence, de poursuivre comme si de rien n’était les occupations qu’on pourrait remettre à plus tard, tout ça pour ne pas souffrir. J’ai remarqué combien souvent on avançait dans nos vies comme des bagnards alors que rien ne nous y obligeait. En proie à ces palpitations soudaines, je fus finalement contrainte de me poser sur mon fauteuil ; tant que l’oiseau intérieur continuait son tumulte, il était inutile de continuer une quelconque activité. Il avait un avantage indéniable : des ailes, tandis que je n’avais que le poids de la pesanteur qui enfonçait mes pieds dans le sol. Quand, enfin, le petit volatile indiscipliné eût fini de s’ébrouer, je résolus de lire un peu ce fameux livre que jusqu’ici je n’avais toujours pas commencé. Soudain, on sonna à la porte. C’était ma voisine qui m’invitait à l’accompagner au parc : - « Venez donc, Sylvie, vous verrez, ce serait dommage de ne pas profiter jusqu’au bout de cette belle journée ensoleillée ! ». Mme Juan avait des cheveux gris mi-long, des sourcils épais, une petite bouche ridée, le dos un peu voûté, elle portait toujours des tenues dépareillées, elle respirait l’ennui ; ce qui pouvait bien expliquer son besoin de compagnie. Je pris mon livre avec moi tout en lui racontant la petite aventure des heures précédentes avec Ayanna. Elle trouva l’histoire charmante. Nous nous assîmes dans l’herbe, la petite fille n’était plus là, le dos me faisait souffrir, je n’étais pas certaine de parvenir à lire. Ma voisine entama un long monologue sur les jardins botaniques qui seront bientôt ouverts pour des visites aux touristes, le château de Polignac où elle comptait bien se rendre, les prix de l’essence qui avait considérablement augmenté ces derniers jours etc. Je réalisais très vite que ma recherche de quiétude était mise à mal. Son bavardage lui faisait du bien alors qu’il me vidait de mon peu d’énergie. Au bout d’une heure, je la congédiais car mon dos était à l’agonie, il me fallait rentrer. Elle bredouilla quelques mots d’excuses avant de se lancer de nouveaux dans une description aussi inutile qu’ennuyeuse de tous ses maux physiques. Je la quittais soulagée. À nouveau de retour à mon domicile, je posais mon livre sur la table du salon, je me préparais une légère collation avant de partir faire quelques courses, celles dont j’avais écrit la liste juste avant l’arrivée de Madame Juan. Au moment de boire enfin mon thé, la sonnerie de la porte retentit de nouveau. - « Bonjour Sylvie ! Surprise ! C’était Agathe, la fille d’une autre voisine, pressée de s’amuser avec mon chien. « Mon Dieu, c’est vrai, je l’ai complètement oublié mon Chien ! ». Cette prise de conscience me remplit de confusion. J’invitai alors ma visiteuse à se joindre à mon goûter. Après s’être occupée de mon petit yorkshire, elle me proposa de faire elle-même mes courses car elle s’ennuyait ferme ce mercredi sans cours et comme elle avait fini ses devoirs, autant m’aider. J’acceptai de bon cœur au vu de mon dos de plus en plus douloureux. Agathe regarda mon livre : - « Mouais, moi, je n’aime pas lire ! - Tu aimerais bien si tu n’avais jamais connu un écran de ta vie ! » Agathe écarquilla grand ses yeux, sa bouche épaisse, son allure de jeune prête à dévorer tous les morceaux de vie qui passeraient devant son visage, elle répondit : - Graaaaaave ! Sérieux, j’pourrais pas ! Elle éclata de rire tandis que son jean à trous avec plein de fils qui pendaient tout autour me fit sourire. J’observais ses tennis : « Tu ne laces pas tes lacets Agathe ? - Oh non, on ne les lace pas vous savez ! C’est la mode ! » Devant mon air stupéfait, elle rit de nouveau, me prit ma liste d’achats et sortit en trombe en laissant derrière elle l’odeur de son maquillage bien trop présent pour son âge. Je me retrouvais de nouveau seule. Le ménage était terminé, les courses seraient bientôt achetées, restait plus que la lecture de mon auteur préféré toujours en souffrance depuis le matin. Je n’avais pas encore trouvé une minute pour m’y mettre. Je m’étais installée dans mon canapé, prête à lire, une barre de chocolat à déguster en même temps. Je repensais à la petite Ayanna du matin, à la poursuite des papillons émotionnels. Je voulais moi aussi écouter leurs musiques, connectée à l’enceinte de mon existence. Agathe revint trop vite, avant même d’avoir pu lire au-delà du prologue, elle était déjà de retour, on marche vite à 15 ans ; elle était toute contente d’avoir pris le moins cher puis elle m’embrassa avant de partir. Je me rendis compte alors que mon Câlin (c’est le nom de mon petit chien) me tournait autour, il réclamait sa gamelle. Tous ces imprévus, il n’avait pas l’air lui non plus d’en être très content, je l’avais un peu trop mis de côté à son goût. Petite créature malicieuse, il se mit à courir avec un de mes chaussons dans la gueule, il tirait sur le bas de mon pantalon pour m’inviter à m’occuper de lui. Je le regardais amusée. Comment avais-je pu omettre de lui donner son repas ? Il était tout indigné, c’était clair, il m’en voulait. Une fois l’omission réparée, il vint se lover contre moi. Tout repus. Le téléphone sonna. Isabelle voulait me faire un petit coucou de la Bretagne. Je l’écoutais me raconter la dernière sottise de son aîné avant de raccrocher fatiguée. Je n’avais plus envie de lire, alors j’entrepris le rangement de mon armoire à linge, puisque le printemps était là, je mis de côté les vêtements d’hiver. Tout en m’affairant à mon tri, à mes rangements, à mon repassage, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à la sonorité de ce prénom : « Ayanna ». Je le trouvais joli, méconnu, il me plaisait bien, je lui trouvais la beauté d’une fleur. « Si je devais donner un nom au prochain petit ange en résine que je collectionne, Ayanna serait le prochain ! ». J’avais en effet calculé le nombre de ces petites statuettes accumulées toutes ces dix dernières années, il y en avait plus de 80. C’était beaucoup. « Un jour, peut-être, au-delà d’ici, je les verrai tous ces chérubins qui m’entourent ». Cette pensée me fit sourire. La soirée s’annonçait, je trouvais que ce jour avait été tout à la fois très ordinaire mais inégal. J’avais désiré lire, ce fut impossible. J’avais souhaité un peu de tranquillité, ce ne fut pas le cas. Il était écrit quelque part que je ne devais pas programmer mon emploi du temps mais laisser à la Vie le soin de s’en charger elle-même. Les imprévus n’étaient pas ce que j’appréciais le plus. Enfin, pas tout le temps. Le désordre, l’aventure, le fouillis de la vie intrépide qui inventait milles péripéties était parfois très savoureux. Ayanna par exemple, elle courait après ses papillons fugueurs sans avoir tracé sa route. Après avoir remis de l’ordre dans mes affaires, j’avais allumé mon poste de télévision, histoire de me distraire avant ma lecture. Tout d’un coup, sans que je ne sache ni comment, ni pourquoi, je vis une multitude de papillons multicolores, de toutes les tailles, virevolter dans les airs, là, dans mon salon. Ils étaient agiles, à se bousculer dans un rire cristallin, sans fatigue, sans courbatures, sans douleurs. Ils volaient à tire d’ailes dans l’espace resserré de mon petit studio soudainement tout coloré. Je vis Ayanna qui volait aussi, elle m’indiquait de son doigt pointé vers le plafond, le mot « Peur » tout écrit à l’encre noire, le mot « Joie » en bleu, « tristesse », en jaune et « colère » en vert. Comment expliquer ce phénomène ? Je ne savais pas que le spectacle de ces mots m’enchanterait à ce point. Ayanna me chuchota : « Écoute la musique des émotions Sylvie ! Écoute ! », je la vis alors la tête penchée tout contre mon cœur, qui cherchait à entendre les miennes. Je la regardais, extasiée par sa confiance, je fermais les yeux, comme elle le désirait, j’écoutais avec elle, ce petit refrain du dedans, à l’intérieur, là où l’oiseau tout à l’heure s’ébrouait sans gêne. Je sentis l’intensité des émotions du jour : ma colère au discours de Madame Juan, le plaisir de la visite d’Agathe, la joie du printemps revenu, la tristesse du malheur venu de Bretagne, l’agacement d’une lecture inachevée, l’audace de mon petit chien, puis, enfin, enfin, la paix dans le regard d’Ayanna. J’écoutais avec elle le son mélodieux de mes ressentis et la vibration de la tendresse qui me traversait. Ayanna rouvrit son livre des émotions : « Ouvre le Sylvie, ouvre-le ! ». Je le fis, et là, tout ébahie, une farandole de rythmes s’envola avec le rire enfantin de la fillette amusée. Elle avait raison Ayanna, les émotions formaient un orchestre dont elle était l’experte. Je souriais, attentive avec elle, à ressentir les émotions fugueuses, plus rapides que les papillons à la belle saison. Elle me regarda de ses yeux purs, comme deux fenêtres ouvertes sur son monde. A travers elles, enfin, je respirais l’air frais. Avec regret, je la vis s’envoler par ma fenêtre, soulevée par la force des papillons assemblés en forme de montgolfière. J’entendis alors le son mélodieux de ma joie contenue, la belle musique des larmes émues qui me montaient aux yeux tandis que le rap criard de mes colères passées s’estompait. Il est des leçons que seuls les enfants peuvent donner, eux seuls ont ce pouvoir, comme le diapason donne le « la », je comprenais que mon oiseau, dans ma cage thoracique, voulait chanter sa partition sans en être empêché. La télévision avait déroulé ses émissions sans que je parvienne à suivre l’une d’entre elles. J’étais revenue de mon rêve, tout émue par sa beauté ; la nuit tombait, le nez dans les étoiles en cette belle fin de journée, je fis un vœu : celui d’écouter mon cœur et de le suivre, précédée par la douceur d’Ayanna. Avant d’aller me coucher, j’avais encore quelques tâches à finir, entre autres le courrier puis ma vaisselle. C’est au moment d’aller me coucher que je vis, là, sur la crédence de ma cuisine, en relief, mieux qu’une image en 3 D, des notes de musique qui flottaient tout autour d’Ayanna. Une baguette à la main, elle les faisait chanter au son d’une flûte. Je vis ensuite un diadème qui brillait sur sa tête et devant elle, un parchemin musical sur lequel était gravé en lettres d’or :
« Princesse des émotions musiciennes ». |
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Ayanna
appartient au recueil Histoires courtes
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