"Attachée" est une lettre perdue mise en ligne par
"Deogratias"..
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Chère amie détachée,
Je suis toujours étonnée de constater combien je m’attache vite aux gens. Même les plus inconnus, rencontrés quelques minutes, entre deux rendez-vous. Même avec ceux qui attendent avec moi en salle d’attente et que je ne reverrai jamais plus. Même avec ceux que je côtoie pendant la promenade de mon chien. Tous ces gens dont j’ignore tout ou presque ! Avec une voisine, un docteur, une grand-mère venue me parler sur un banc de square, une vendeuse. En fait, un peu n’importe qui. Je m’attache. Quand il m’a fallu quitter des personnes avec qui j’avais vécu quelques mois, j’étais transpercée d’une douleur incommensurable. Mais cela ne s’arrête pas qu’aux êtres humains.
Je m’enchaine à la beauté d’un regard, celui d’un chien malinois ou d’un petit bichon, au chat du voisin, aux oiseaux dans les cages, ceux des animaleries. Je les contemple, ils sont à vendre. Je ne peux les adopter mais déjà mon cœur saigne à l’idée de les laisser partir avec une autre personne que moi-même. Un oiseau, un joli merle venu m’importuner pendant ma sieste allongée sur l’herbe, les feuillages des arbres au-dessus de ma tête, même eux, combien il peut être difficile de les quitter, de ne pas rester en leur compagnie ! Avec leurs frissons, leurs chansons, leurs danses secrètes, leurs mots inaudibles, leurs trésors invisibles.
Je suis toujours la première surprise, ô oui ! Par la douceur d’une couleur ! Celle d’une fleur, celle d’un bouquet, celle du printemps, celle de l’automne, celle des yeux d’un enfant, celle de la peau, celle de la terre ! Je m’attache à la beauté, au mouvement, à la nature, à la transparence de l’eau, aux vagues de la mer, à une chanson, à la musique, au vent, aux sons, à la danse, à un livre, à un bibelot. Tout me retient, tout m’enchaine, tout me capture. Je suis la proie de mes attachements involontaires. J’aime la beauté, j’aime les palpitations d’un cœur en émoi, j’aime le bruissement des arbres sous l’orage, j’aime le pelage tout doux de mon petit chien endormi, j’aime la lumière d’une bougie qui frétille de joie sous mon regard. Tout me prend, tout me saisit, tout m’emporte.
Je suis toujours stupéfaite, mais les mots ne peuvent traduire, ô combien, je suis liée à tout ce qui m’entoure ! Les photos d’un sourire passé, les visages de mes amis partis trop tôt, les rires à mes oreilles, les blagues incomprises qui m’ont valu tant de moqueries, les followers qui me suivent sur un réseau social, les mots entendus. Je suis comme un élastique voyageur entre l’ancien et le nouveau, entre hier et demain. Tout me tient. Malgré moi. Les psys parleront du trouble de l’attachement, ils feront des liens de cause à effets, des déductions habiles sur mes relations. Ils parleront des conséquences évidentes entre telle relation et telle autre carencée. Les psys savent tout, tout mieux que tout le monde. Ils expliquent tout, comprennent tout. On dirait que les secrets de l’existence leur ont été donnés, clefs en main, à la sortie du ventre de leur mère.
Je suis toujours ébahie, voyez-vous, tout me possède, tout me ligote, tout m’enlace, tout m’attache. Cependant, si j’arrive à me distancer de toute matière, si je parviens à m’éloigner de toute possession terre à terre, concrète et éphémère, il n’en est pas de même pour les êtres humains. Mon cœur se surprend lui-même : Quand j’aime une fois, une minute ou bien quelques années, j’aime pour toujours. C’est ainsi. Inexplicable. L'amour m'attache. L'amour m'arrache.
Je croise une voisine avec qui j’avais tissé auparavant une relation d’amitié pendant quelques mois. Après un temps de séparation que la vie impose, voilà que je la retrouve par hasard devant moi. Je me fais une joie de la revoir, je m’exclame, je m’approche toute en joie. Oui, mais mon enthousiasme reste sur le seuil de l’autre. La personne qui me répond, ne partage pas ma joie, elle ne cherche pas à évoquer le passé commun. Pour elle, tout est fini depuis longtemps tandis que pour moi, son sourire, nos partages, tout était resté vivant. Les psys détailleront, sans erreur aucune, le pourquoi du comment de la vie relationnelle. Ils parleront de faille narcissique, de faux-selfs, de blessures, de sevrage bien trop tôt, d’une naissance, la mienne, non désirée. Et que sais-je encore ! Ils sont plus avertis que moi de toutes ces choses. Rien ne leur échappe. Tout a une cause, tout a une logique. On dirait que les secrets du cœur humain leur ont été attribués, comme une recette, dès leurs premiers pas.
Je revois une autre amie, avec qui j’avais vécu par le passé une expérience forte d'amitié, dans une communauté catholique. Toujours ensemble à rire, à prier, à travailler. Et là, ô mystère de l’âme humaine ! Une fois de plus, mon allégresse se cogne à une réciprocité lointaine, tout en contrôle, tout en interrogations. « Ah , oui, tu te souviens de cela toi ? Moi, pas du tout ! c’est bien loin déjà ! ». « Ah oui, tu avais pensé cela ? Je ne savais pas que c’était comme ça pour toi ! ». « Jamais je n’aurai cru ! »…. Oh quelle douleur s’engouffre alors à l’intérieur de mon être ! C’est une flèche cruelle, le bruit d’une claque invisible. Je me retrouve seule. Absolument. Me voilà transportée sur un archipel sans habitant, sans maison, ni soleil. Je me retrouve, je ne sais comment, perdue quelque part entre ici et ailleurs. Sonnée par les amnésies d’autrui, ses mots, ses froideurs. Je n’existais plus pour l’autre alors qu’il n’avait jamais quitté ni mon cœur, ni ma prière, ni mon souvenir, ni ma tendresse.
Je suis toujours étourdie par l’ingratitude ou la violence, par la neutralité, la froideur, la logique de l’autre. Tout m’ensorcelle, tout me captive, tout m’agrippe, tout me raccroche, tout m’emporte. C’est plus fort que moi. C’est bien plus grand que cela. Les psys diront que c’est mal, que ce n’est pas normal, déjà ils me proposeront des solutions, des exercices, des clefs de lectures, des devoirs, des réflexions. On dirait qu’ils sont déjà diplômés, papiers en mains, à peine leurs premiers mots.
J’ai le cœur aimanté par le cœur des autres. Trop vite, je suis en empathie, trop fort, je reste en dévotion. C’est comme un courant que rien ne peut plus arrêter. C’est pour ça, tout me fait mal. Trop rapide en ma fidélité. J’ai bien trop mal.
Maintenant, plus besoin de psys, j’ai bien compris. Attachée à la solitude de mes allers sans retours, à mes voyages en solitaire, je vois même les traces uniques de mes pas sur le sable transi...
Bien à toi, chère amie, depuis mon île attachée...
Sylvie. Un peu de rêve :
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Attachée
appartient au recueil Lettres
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