Adrien - Texte

Adrien

Adrien est arrivé hier. Adrien est arrivé hier et tout le village en parle.

« Oui, tu sais bien…

-          Non, quoi ?

-          Adrien, le petit Maupin, le petit,…

-          Non, vraiment, je ne vois pas…

-          Mais, si… »

Ainsi, à n’en plus finir, les villageois annoncent, commentent, s’extasient.

Adrien Maupin, c’est une histoire à lui tout seul. Cinquième enfant précédé de quatre sœurs. Famille modeste alimentée par un père ouvrier et menée à la baguette par une mère au foyer. Une maîtresse femme qui entendait bien se faire obéir, et par tous, mari, enfants, voisins,…

Adrien s’est très vite distingué par trois particularités. Bien sûr, pour commencer, fils espéré, attendu au milieu de ses sœurs. Ensuite un enfant qui s’est très vite révélé chétif, fragile. Rien à voir la robustesse des autres membres de la famille. Les parents s’interrogeaient : « Qu’avons-nous fait, nous qui attendions tellement un fils, pour mériter un tel garçon ? »

A cela s’ajoutait un esprit rêveur, léger que rien n’atteignait. Adrien était toujours tourné en lui-même, retiré dans son propre monde. A tel point que certains voyaient en lui un simple d’esprit.

Evidemment, tout le monde plaignait les Maupin. Avoir tant désiré un fils et se retrouver avec un garçon souffreteux et benêt, vraiment ils n’avaient pas de chance !

Un jour, Adrien a disparu. Adrien s’est volatilisé, évaporé, … On l’a cherché, on a organisé des battues, on a ratissé, scruté, bois, étangs,… En vain, Adrien semblait s’être dissout, sans laisser de traces…

            Après une longue période jalonnée de moments d’espoir et de désillusion, les parents et les sœurs d’Adrien se sont fait une raison et ont poursuivi leur petite vie.  Comme si rien ne s’était passé, comme si Adrien n’avait jamais existé,…

            Et voilà qu’aujourd’hui, …Adrien reparait. Après combien d’années, quinze, vingt, vingt-cinq,… ? Bel Homme, belle prestance mais aucun doute sur son identité : les traits de l’enfant disparu sur une physionomie d’adulte.

            Il est arrivé sans crier gare et tous s’extasient : quels changements ! Quelle métamorphose ! Et oui, vraiment, quel bel homme !

            Il a traversé le village sans regarder personne et s’est rendu tout droit chez lui où il a trouvé ses parents et ses sœurs abasourdis.

            Eh oui, depuis tout ce temps, ils l’avaient presque oublié, Adrien ! Ils ne s’attendaient certainement pas à un retour aussi improbable. Contents, oui, bien sûr, mais quand même,… La surprise les a tétanisés.

            Adrien garde le silence, les observe. Ses parents ont vieilli, ils sont âgés maintenant. Ses sœurs sont d’âge mûr,… Il les scrute silencieusement, puis tourne les talons et gagne la chambre qui était la sienne, devenue depuis longtemps une pièce de rangement.

            Ses parents et ses sœurs le retrouvent là, à même le sol, recroquevillé sur lui-même, en chien de fusil ; il semble dormir…

            « Madame Maupin, Madame Maupin, … que faites-vous là ? La buanderie n’est pas un lieu pour les résidents.

- …

- Allez, venez, je vous raccompagne à votre chambre.

- … Mais là, par terre, Adrien, mon petit, vous voyez bien…

- Mais non Madame Maupin, rappelez-vous, votre fils a disparu il y a bien longtemps. Rappelez-vous, ici vous êtes à l’EHPAD Saint-Martin… »

            Madame Maupin sourit… pas grave, elle sait que dans quelques  instants son fils la suivra dans sa chambre et alors, même s’il reste silencieux, sa présence suffira à la réconforter.