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Trappeur et caribous - Texte

Texte "Trappeur et caribous" est un texte mis en ligne par "Cathou inafrica"..

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 Trappeur et caribous

 Un matin, mon artiste a décidé de me passer commande d’un texte et voilà ses consignes (Je ne vous dis pas ma stupeur, moi qui baigne 364 jours par an dans les eaux chaudes de la planète... ben oui parce que le 365ème, c’est le 1er mai, je bulle !) :

" La vie d’un trappeur du grand nord canadien dans les contrées des hurons… Ses pensées, ses analyses du monde… Sa communion à la nature… Le ressenti de ces terres, de leur passé et culture.

Allume un feu et tanne des peaux ou glisse toi dans un tipi tu peux être une femme. Ça va chauffer sous la peau de l’ours.

Partiellement en terre connue de par les espaces et la solitude mais devant aller au devant de terre de cultures, de climats inconnus.

Dans un milieu sauvage de rapport à la brutalité sous une certaine forme et totalement différente des cultures méditerranéennes et africaines que tu maîtrises."

 

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Le jour se lève, il est déjà tard. Norman Wintern a décidé de plier le camp ce matin pour aller vers Wendake vendre ses peaux. L’hiver a été rude,  trop rude. Neuf mois de grand froid dont cinq longs d’une seule nuit. Maintenant que le printemps renaît, il doit faire vite.

Norman vit de la trappe. Il n’a pas toujours été là, il a même fait une tentative à la ville, mais la civilisation n’est pas pour lui. Trop de bruit, trop de lumière, trop de gens. Dans la forêt humaine, il n’a pas trouvé ses marques et lorsqu’il a rencontré Kwanita, ils ont eu vite décidé de repartir.

 

Sa mère a pourtant essayé de l’obliger à suivre ses frères à l’école puis à la scierie où le père avait besoin de bras. Mais dès que Norman a su lire, il n’a plus eu qu’un but, partir et trapper. Son rêve ? Les espaces, les horizons, les animaux sauvages. D’ailleurs, depuis qu’il les avait découverts dans les encyclopédies du grand-père, Norman ne regrettait qu’une chose, ne pas être né chez les Sekanis ; les indiens du froid. Il était donc allé en classe, puis vers douze ans, sans tenir compte de ce que l’adulte avait d’autorité, il avait pris le chemin de la nature. Ses ainés étaient au travail de la charpente. Il avait eu vite fait pour convaincre sa sœur que l’école n’était pas pour lui. Son vieux cartable passait la journée dans le fossé, caché sous les feuillages et lui, pendant que Lisbeth usait les bancs du collège pour apprendre, rêvant d’enseigner un jour à son tour, il filait par les chemins vivre ses premières expériences d’homme de la forêt. Les odeurs, les couleurs, la neige, l’eau des ruisseaux, les habitudes des bêtes sauvages, Norman voulait tout apprendre, tout savoir. Il n’ignorait pas que pour trapper, il devrait  parfaitement s’imprégner du  milieu. Faute d’être né indien du grand froid, Norman devait en absorber la culture.

Chez les Wintern, Ma et Pa n’avaient pas bâti des mauviettes. Norman n’avait peur de rien. Il devait se former, apprendre, dans le grand respect des équilibres naturels.

 

Ce matin Kwanita va ranger le campement puis rouler les peaux. Une fois vendues, elles leur permettront de passer quelques heures à la ville pour trinquer avec les connaissances et prendre les événements de la région, ceux qui ont eu lieu pendant l’hiver. Acheter quelques indispensables pour la saison suivante. Oh, Kwanita n’est pas exigeante ! Elle maîtrise la vie de son trappeur. Kwanita, dont le prénom épicène signifie « les esprits sont bons », a pour ancêtres des Hurons. Elle est fille du froid et femme de chasseur par essence. Ce que Norman a dû apprendre de la nature est inné chez Kwanita. En elle, la vie des trappeurs wendat est enracinée.  Dans le sang de Kwanita est inscrite la trappe car la taïga est la mère de son peuple… D’ailleurs, elle ne comprend pas la transformation des siens. Kwanita accepte mal que ses frères ne sachent plus lire la trace des animaux, ne puissent plus traquer le renard ou le lynx pour les ramener à la maison. Elle aussi a essayé de vivre la ville et ses lumières mais bien vite elle a compris et la rencontre de Norman l’a sauvée.

 

Cela fait maintenant quinze ans que Norman et sa femme ont repris la route du nord, du froid, des immensités sauvages qui leur apportent le bonheur mais sur lesquelles la moindre erreur de vie est fatale.

Norman a appris à traquer pour trapper.

 

 

 

Dix heures.

Lorsque Norman prend la décision de lever le camp ; les chiens ont immédiatement compris la situation et attendent au repos que leur maître attelle les traineaux. Dans la maison longue de bois, traditionnelle des wendat, rien ne doit traîner. Quand ils reviendront, ce sera presque le nouvel hiver et  ils n’auront pas le temps d’aménager. Tout doit être fait avant le départ.

Kwanita prépare les baluchons de peaux qui seront ensuite enfermés dans les tonneaux, à l’abri le temps du voyage. Peaux de lynx, de castors, de martres. Des loups également et des wolverines. Norman est connu comme le meilleur trappeur de wolvérine de tout l’est canadien. Petit ours carnivore réputé pour être le plus féroce des animaux du grand nord américain, on l’appelle aussi le glouton. Les indiens le redoutent.

Lorsqu’il trappe, Norman cherche une piste. Un indice laissé par le passage d’un animal sauvage. Il ne reviendra au tipi planté là que lorsqu’il aura posé les pièges, les « trappes » pour prendre celui qu’il a repéré. La chasse dure parfois plusieurs jours. Il s’agit d’être très perspicace pour prévoir le comportement et les réactions de l’animal ; mais aussi très rapide pour parfois le devancer. Enfin, il faut de la patience, une dose infinie de patience. Dans le champ neigeux, lorsque le blizzard ensevelit tout, dans la tempête tueuse, Norman doit avoir des repères irréprochables sans quoi sa vie sera vite jouée.

Et c’est à cela qu’il est le meilleur. Dans le défi aux éléments. Dans la provocation de la nature impitoyable, lorsqu’il faut aller à l’affrontement dans la conjonction du froid, de la sauvagerie animale, de la lutte pour la vie. Parce que parfois, il s’agit d’une lutte pour la vie. Et Norman aime le dépassement.

Par moins vingt degrés, emmitouflé, le givre blanchit sa barbe. Des heures durant, il suit l’animal, talonne la bête sur la piste qu’elle laisse. Il doit coller à l’animal car le vent et la neige risquent d’effacer sa trace s’il laisse une distance trop importante entre elle et lui. Les indices sont multiples mais ténus. Un crissement signale la poudreuse, un craquement suggère que la bête s’est cachée dans un arbre mort ou un tas de branches. Les empreintes sur la neige fraîche lui permettent d’évaluer le temps qui est entre chasseur et chassé. Puis il y a aussi le vent que parfois Norman doit contourner pour que le loup ou l’ours ne sentent pas sa présence. L’odeur de l’homme est signe de mort pour les gibiers et perdu pour perdu, ils deviennent alors dangereux à l’extrême. La vie dans le grand nord est un combat pour toutes les races vivantes. L’ennemi le pire est le prédateur. Tous le savent, d’instinct, et si Norman lui, le sait de culture, il doit tout de même agir par instinct pour comprendre le loup, pour être plus rapide que l’ours, pour inquiéter le renard qui a flairé le piège.

 

Si Norman rentre au tipi avec un gibier, il éteint le feu, replie la toile  immédiatement et rejoint Kwanita à la hutte. Les chiens aiment voir leur maître démonter la tente. Le travail est pénible pour eux aussi et le retour à la maison de bois est synonyme de soins pour les blessés et de repos. Ils savent que la bête dépecée, les restes seront pour eux, c’est une aubaine pour des chiens de traîneau. Dans le butin de sa trappe, Norman doit prélever la viande qui permet à ses chiens d’être puissants, résistants à l’effort et musculeux. Pas question de les laisser s’engourdir, s’alourdir.

Le chasseur ne peut pas garder les proies mortes. Il le fait lorsque ce sont de petits animaux et qu’il peut les enfouir dans le sol glacé pour les conserver. Mais il s’agit de quelques dizaines d’heures tout au plus. S’il veut rester sur place plus longtemps, Kwanita doit l’accompagner.

 

D’ailleurs Norman n’aime pas partir seul. Sur la piste, il chasse en solitaire mais il sait sa femme dans le tipi et cela suffit à entretenir le feu en lui. Il est difficile de vivre l’hiver canadien et la nuit ininterrompue le rend encore plus dur. Dans la journée ce n’est pas une nuit noire mais la « sombritude » comme aime la nommer Kwanita. Retourner au camp pour retrouver sa femme, c’est vivre dans le confort pour Norman.

Kwanita en plus d’entretenir le quotidien de la rude vie de trappeur a sa charge de travail. Elle tanne les peaux des animaux que Norman ramène.

Lorsqu’il attrape une proie, gros ours ou petite martre, le procédé est le même, plus ou moins long.

Après avoir été dépecée, la viande est boucanée près du feu puis roulée dans des tissus et conservée dans des sacoches de cuir. La peau est tannée pour être vendue à la ville. Kwanita tanne le cuir à l'ancienne, comme le faisaient autrefois les indiens Sekanis avec le tanin contenu dans la cervelle de l'animal, puis en fumant la peau. Enfin avec la graisse elle prépare des mixtures qui serviront à soigner les chiens, préparer des torches, graisser des peaux et qui seront des isolants. Dans la maison de bois, lorsque Kwanita tanne, tout est imprégné de l’odeur rance de la graisse animale. C’est là une des caractéristiques de la hutte du trappeur.

 

Et puis il y a Kwanita pour elle-même. Elle est belle Kwanita et Norman dont l’apparence rude est celle des hommes du froid, lorsqu’il rentre et retrouve sa femme, ne pense plus qu’à l’amour et à la chaleur du corps de celle qui l’attend. Détendu par un bain bouillant dans le seul objet de luxe de leur home, un baquet aussi grand qu’une baignoire, Norman sait que leur couche est prête. Sous les peaux des ours qu’il a trappés pour faire une maison digne de son nom à la belle indienne, dans les bras de celle qu’il aime un peu plus à chacun de ses retours, Norman oublie la neige, les poudreuses faites pour qu’il s’y perde, le vent glacial qui maintient sur le lac l’épaisse couche impénétrable. Alors Norman est heureux. Dans les yeux de Kwanita les flammes du feu dansent et elle offre à son trappeur de longues nuits d’amour. Il fait chaud dans la hutte, Norman brûle ses lèvres à la peau de sa femme qui donne, en retour de chacun de ses baisers, les caresses qui sont le repos du chasseur. Puis il s’endort et lorsqu’il se réveillera, ce sera pour retrouver Kwanita qui l’émoustille de l’odeur du café bouillant et de celle du pain cuit à l’aube dont il va se régaler.

 

Les chiens ont été nourris, soignés. Ils dorment encore.

Resté sous les couvertures, Norman sait que son épouse est levée depuis longtemps. Elle a pris le relai. Déjà les raquettes sont nettoyées et prêtes à être réparées, ce soir, devant le feu. La seule chose que Norman se réserve, c’est la réfection des trappes qui ont été endommagées. Pour le reste Kwa va se débrouiller. C’est elle la femme du trappeur, c’est à elle que revient l’entretien des outils, au même titre que le bien être de son homme. Kwanita connaît Norman mieux que lui-même, elle sait ses besoins, ses attentes, elle sait l’aide à lui apporter. Lorsqu’elle a choisi de vivre auprès de lui, Kwa savait qu’elle embrassait la vie rude des chasseurs du grand nord. Mais ainsi, elle s’adjugeait le bonheur. Vivre pour Norman, vivre avec Norman. Etre le repos de son guerrier, être la paix et la sérénité de son foyer quand il revient de la trace. Elle est née et a été élevée pour cela, Kwanita sait Norman, si ses yeux brillent tant quand elle le voit revenir fourbu, ployant sous la fatigue, c’est parce qu’elle sait qu’auprès d’elle, il va chasser le froid qui envahit son corps, qui glace ses os au retour de la capture, lorsque leurs corps vont se confondre.

 

Cette vie de trappeur que Norman a voulue si fort, pour rien au monde il ne la changerait. Il est sage Norman et Kwanita aussi. Le milieu dans lequel ils ont choisi de vivre est hostile et ce n’est que dans le très grand respect de la nature qu’ils peuvent se maintenir en vie. La relation entretenue est profonde, vraie, elle est une philosophie de vie. Chaque faux pas peut être fatal et il faut être très courageux pour oser ne vivre que cela. Norman a étudié ce que les indiens appellent « l’umwelt ». C’est cette part que chaque animal possède en propre. Pour comprendre l’umwelt, le chasseur doit connaître la manière dont la bête sauvage en question perçoit la nature qui l’environne. A ce seul prix le chasseur peut trapper sans craindre l’accident. S’il n’intègre pas l’umwelt parfaitement, le chasseur n’est pas dans la triangulation « nature – chasseur – chassé » ou plus précisément  « nature – animal – humain »  il risque sa vie quand la proie est d’importance. Les hommes ont pour habitude d’appréhender la nature avec une seule vue qui est humaine. C’est justement ce que ne doit à aucun prix faire le chasseur.

 

Quinze heures.

Norman encourage ses chiens. Nul besoin de leur donner des ordres. Ils connaissent le travail aussi bien que leur maître. Norman est très fier de ses attelages.  Obligé de sacrifier les bêtes qu’il pense physiquement faibles ou couardes de caractère, il est toujours mal de devoir le faire, mais s’en félicite lorsqu’une fois adulte, il les attelle. Au traîneau, il est rare qu’il soit déçu par ses fidèles compagnons. Et la fidélité n’est pas rien dans ce cas. Les chiens entre eux sont très féroces et souvent rivaux mais leur lien à leur maître est indéfectible et lorsqu’ils tirent, ils ne sont plus qu’un.

Pour aller à la ville, le chemin est long. Il faut faire le voyage entre les trois semaines du printemps et les trois mois de l’été. Sans attendre que l’eau des torrents de fonte n’empêche le passage. Les chiens sont entraînés à courir sur la neige et lorsqu’elle fond en surface, ils sont abîmés par l’eau glacée qui engourdit leurs pattes. Alors que la neige et la glace n’atteignent pas leurs coussins.

Norman ne veut pas perdre de temps. Leur chargement est précieux et il ne doit pas prendre de risque. Cependant, prendre le temps de vivre les horizons qu’il perçoit, c’est se donner une autre mesure et rendre les quotidiens du trop long hiver supportables.

Lorsque Norman trappe, les paysages sont à perte de sens, à perte de sons mais pas à perte de vue. Même si ses yeux s’adaptent à l’obscurité continue, il ne peut pas voir les horizons. Le ciel et la terre se relient presque devant lui, ce qui limite l’impression d’immensité visuelle. Il a le sens de l’infinie étendue parce que les sons circulent très loin, sont portés par la glace alors qu’ils sont absorbés par la neige. Or, ces quelques semaines printanières,        ensoleillées d’un jaune très pâle, offrent à Norman et Kwanita la possibilité de s’imprégner de ces lointains horizons, de voir le ciel détaché de la terre, de sentir la présence de sentiments divins. Norman, si proche de la terre, obligé de vivre en lien profond avec la nature, Norman peut s’offrir le luxe de pensées philosophiques. Il appréhende ses quotidiens différemment. C’est bon, c’est rassurant.

 

Dans quatre jours, autour des verres remplis de longue, Norman racontera ses aventures. Pendant que sa belle indienne arpentera les marchés de la ville pour assurer la survie durant le trop long hiver du grand nord.

Go les chiens.

 

« Siyu, osigwotsu ?                                     Bonjour, comment allez-vous ?

Ost !                                                                                                  Bien ! »

 

 

Le 20 juin 2015

Texte : Ca.Valmalette

Illustration : Ch.Guerry

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Cathou inafrica

04-09-2015

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Trappeur et caribous appartient au recueil Ca, c'est lorsque mon poète me fait quitter l'Afrique...

 

Texte terminé ! Merci à Cathou inafrica.

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