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Soleil d'août - Grande Nouvelle

Grande Nouvelle "Soleil d'août" est une grande nouvelle mise en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Rolando et cie...

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La menace de Bébel

Prise au dépourvu, Sabrina lâcha un petit cri de frayeur qu’elle étouffa aussitôt posant la main sur sa bouche. Puis elle resta dans l'expectative. Le chevalier lui tourna le dos après l’avoir salué, faisant exprès de dérober le visage à son regard, et il se jeta dans un duel à mort contre un adversaire invisible. Il ne fit pas de détail, ce combat singulier ne dura qu’une poignée de secondes ; son épée avait à peine fendu l’espace, tranchant l’air à droite et à gauche, qu’il allongeait une botte imparable transperçant son rival. Ayant remis l’épée dans son fourreau, il ôta le chapeau et présenta ses hommages à la dame de son cœur.

Alors seulement, surprise et ravie à la fois, reconnaissant que le ferrailleur délirant n’était autre que Rolando, elle put reprendre son souffle. Cela la rassurait de voir qu’elle n’était pas en présence de quelque débile mental se prenant pour don Quichotte, se battant contre des ombres pour plaire à sa Dulcinée. Considérant l’allure grotesque de son amant, elle éclata de rire, d’un rire fou, contagieux, tandis que Rolando, prenant conscience du rôle burlesque qu’il venait de tenir, s’esclaffa à son tour.

Passé l’accès de rire, qui dura quand même deux bonnes minutes, Sabrina devint gauche jusque dans ses grimaces ; la fixité de ses prunelles luisantes dénonçait les représentations excitantes qui accaparaient son esprit. Elle n’attendait que l’appel du mâle, la bouche avide et la chair frémissante.

 Debout devant elle, Rolando savait qu’il lui suffisait de tendre les bras pour qu’elle s’y abandonne aussitôt sans réserve. Il trouvait l’endroit peu propice aux ébats amoureux, mais il sacrifia volontiers aux fantasmes de Sabrina.

 

Quand il posa les mains sur ses épaules, elle se pendit de nouveau à son cou lui entourant le bassin de l’anneau de ses jambes. Mais cette fois, avant qu’elle ne se dérobe comme une anguille, il attrapa ses cuisses, l’assis au bord d’une table, dans une position de chaise à demi renversée.

Le string de Sabrina ne tarda pas à lui tomber sur les chevilles, et quand elle se sentit envahie par la virilité de son amant, elle fut suffoquée par la sensation qu’elle éprouva, exhalant dans un souffle saccadé un gémissement de plaisir qui n’était pas simulé. Ils se mirent ardemment en quête de la suprême jouissance, les yeux fermés et la bouche anxieuse, joignant leurs souffles dans des baisers. Lorsque le grand feu d’artifice éclata dans leur cerveau, les plongeant dans une indicible plénitude, ils s’étreignirent les traits défaits, haletant, gémissant, comme s’ils se débattaient dans les affres de l’agonie. Puis ils se laissèrent tomber par terre et restèrent un moment alanguis, inertes, l’un à côté de l’autre.

Par la suite, Sabrina se plaisait à évoquer cette improvisation théâtrale, qui avait abouti à une expérience amoureuse exceptionnelle, et elle riait encore du déguisement bigarré de son amant dans la maison en ruines. La cape noire à la Zorro n’allait pas du tout avec le chapeau de mousquetaire, qui regardait avec une gouaillerie bien française les bottes d’officier nazi, mais elle aimait surtout à le narguer se rappelant que, à cause de la cape noire, elle s’imaginait tantôt dans les bras de Zorro, tantôt dans ceux de Dracula, sans pour autant quitter son amant, ce qui avait triplé son plaisir.

Rolando se plaisait à évoquer un autre fantasme de Sabrina, l’amour sur une balançoire qui les avait entraînés dans une croustillante escapade nocturne, quand un homme arriva à sa hauteur, tenant un plateau dans les mains. Il contourna la table allant s’asseoir, après s’être assuré que la chaise  était disponible. C’était le serveur du café de la place, les yeux dissimulés derrière des lunettes noires.

Il y avait sur le plateau un hamburger et un coca-cola, qu’il se mit à boire tranquillement, à l’aide d’une paille, alors que Rolando éprouvait de plus en plus de mal à fournir son organisme en oxygène, comme si le serveur lui avait apporté la bouffée d’air épaissie de miasmes qui achevait de lui obstruer les bronches.

Il tenait la bouche haute tendant bien la trachée, gardait la main droite sur la poitrine comme pour aider sa respiration lourde et bruyante, si difficile qu’on avait l’impression que ses muscles pectoraux soulevaient une dalle de pierre à chaque inspiration. Son teint devint grisâtre, ses yeux angoissés lui sortaient des orbites, il crispa les poings sur sa poitrine, demanda au serveur d’appeler une ambulance.

C’était peut-être inutile, mais on devait essayer. Il savait qu’elle risquait d’arriver trop tard, car le SAMU, les pompiers, tous les secouristes de Paris étaient dépassés par leur tâche. Partout, on criait au secours, toute la ville se trouvait en état d’urgence à cause de la canicule, ils ne savaient plus où courir en priorité.

Il avait beau aspirer l’air dans son gosier, il pénétrait de moins en moins dans les bronches qui finiraient vite par se fermer complètement. Alors, il perdrait connaissance, il mourait peut-être étouffé. Le serveur prit une boîte dans son sac à dos, en sortit un petit inhalateur, introduit ensuite l’embout de l’appareil dans la bouche de Rolando, puis il pressa le flacon pressurisé à deux reprises, juste avant l’inspiration.

 

L’effet du médicament fut visible dès la première inhalation, les poings et le visage de Rolando se décrispèrent, et quand Bébel lui administra la deuxième, il prit avidement une grande bouffée d’air qui pénétra sans encombre dans les ramifications de ses bronches, jusqu’aux profondeurs des poumons. La crise d’asthme de Rolando était surmontée, sa respiration, parfaitement rétablie ; il lui resta la sensation oppressante d’avoir frôlé la mort, pour la deuxième fois, dans la même journée.

– Vous êtes passé tout près du grand trou noir, dit Bébel comme s’il lisait dans les pensées du jeune homme. Je ne suis pas croyant, mais cela ne m’empêche pas d’aimer mon prochain.

– Vous m’avez aidé dans un moment crucial, je vous suis très reconnaissant, dit Rolando dont la gratitude envers le serveur était sincère.

 Il songea au comportement étrange de cet homme qui se trouvait là comme par magie, pour lui porter secours. Il avait ôté ses lunettes noires et le regardait en souriant, aimable, disponible. Il était venu à sa rencontre, la « Ventoline » en poche. Il devait sûrement avoir une arrière-pensée, peut-être inavouable, motivant l’intérêt dont il faisait preuve à son égard, se disait Rolando, incité à la méfiance par son intuition. 

On pouvait très bien se dévouer pour un frère ou un ami en difficulté. Rien de plus naturel, mais, s’agissant d’une personne qu’on connaissait à peine, c’était presque toujours à l’indifférence qu'il fallait s’attendre. Sauf si on se trouvait en présence d’un altruiste, mais les gens vraiment désintéressés ne couraient pas les rues.

Entre-temps, le serveur déployait devant lui le côté enjôleur de sa personne, et ses prévenances, qu’on réserve d’habitude à la femme qu’on convoite, étaient aussi intrigantes que déplacées.

– Vous m’avez suivi, reprit Rolando. Sinon, comment auriez-vous pu me retrouver si facilement ? Vous n’êtes pas du genre à fréquenter les fast-foods.

– Je ne pouvais pas vous suivre, je devais me rendre à la pharmacie, mais je sais les endroits qui vous attirent comme un aimant ; je connais aussi vos habitudes. S’il vous arrive de vous en éloigner un peu, vous revenez toujours vers ce point magnétique. C’est votre nord à vous.

– Quand même, vous faites une fixation sur un couple dont le seul tort était de s’arrêter de temps à autre dans votre café. Trouvez-vous ça normal ? Et maintenant, alors que Sabrina et moi nous sommes perdus de vue, que voulez-vous au juste, hein ? demanda Rolando, qui s’efforçait de rester calme.

– Je vous fais remarquer au passage que cette fixation, comme vous dites, vous a sauvé la vie.

– Sans doute, et je vous ai dit ma reconnaissance ; mais, n'allez pas penser pas que, pour cette raison, je me sens obligé de supporter vos lubies.

– Je connais un tas de gens qui se passionnent pour les stars ou les couples princiers. Personnellement, je n’ai aucune attirance pour ces personnes qui gravitent dans des sphères au-dessus de la mienne. Je ne pourrais jamais leur être utile. Je me suis passionné pour un couple qui pouvait être le mien, le couple que j’ai souvent rêvé.

– Je comprends votre frustration, mais je n’y peux rien. D’ailleurs, j’ai un rendez-vous important, il faut que je m’en aille, dit Rolando, se levant pour aller déposer son plateau.

Pendant ce temps, le serveur sortit de son sac une photo de format moyen, tirée sur papier d’excellente qualité, qui représentait Sabrina et Rolando passionnément enlacés, dans le square du Vert Galant.

– Attendez un instant, ça doit vous intéresser, regardez. Ce n’est qu’un échantillon de l’album que j’ai à vous montrer.

 

Se rapprochant de la table, Rolando prit la photo que le serveur y avait déposée et dont il ne vit d’abord que le dos vierge. L’ayant retournée et se rendant compte qu’il avait été flashé, à son insu, embrassant Sabrina, il se rembrunit tout à coup, relevant les sourcils et jetant sur le serveur un regard franchement hostile. Le tremblement de ses mains et les muscles crispés de sa figure laissaient deviner la colère qui montait en lui, l’esclandre devenait inévitable ; il était prêt à passer outre les règles de la bienséance auxquelles il tenait d’habitude. Les autres consommateurs pouvaient bien le regarder, la censure ou l’indignation dans les yeux, il s’en moquait comme de sa première veste.

– Vous n’êtes qu’un sale voyeur, un être méprisable, pervers, qui épie l’intimité d’autrui avec des intentions malsaines, dit Rolando haussant le ton, de telle sorte que les gens attablés dans la salle se retournèrent pour suivre l’empoignade. J’exige que vous me rendiez toutes les photos ainsi que les négatifs que vous avez en votre possession.

– Attention aux insultes, mon petit père. Imagine que j’adresse cette photo ou une autre encore plus croustillante à votre femme, dit le serveur, convaincu que cette menace ferait réfléchir le jeune homme.

Impulsif de nature, Rolando fut d’abord sur le point de le gifler, mais il se retint songeant à la situation déjà assez compliquée de son ménage. Il serait bien malheureux de s’attirer des ennuis supplémentaires à cause d’une photo, bien que la menace du serveur, même s’il pensait qu’il y avait peu de chances qu’il la mette à exécution dans l’immédiat, constitue déjà en elle-même une inquiétude.

– Adresse-la, tout de suite ! Sale pédé ! Tu veux mon adresse ? dit Rolando, hors de ses gonds. Si tu bousilles ma vie, je te descends. Tu entends, je te bute, je te liquide, je te zigouille. D’ailleurs, je pense que le quartier serait plus respirable, une fois débarrassé d’un taré de ton espèce.

Cela dit, Rolando dévala l’escalier où il croisa le vigile qui, ayant entendu des vociférations à l'étage, accourait afin de rétablir l'ordre.  Il constata qu’il ne s’agissait que d’une altercation. En l'absence de dégâts matériels, il n’y avait pas lieu d’appeler la police. Au reste, le serveur s’était relevé, et il s’apprêtait à son tour à quitter le restaurant.

Avant de prendre le métro pour se rendre dans le XVIIIe arrondissement, Rolando essaya encore de joindre Sabrina, qui lui répondit cette fois ; elle venait de prendre le train à la gare d’Aulnay-sous-Bois pour rentrer à Paris.

Rolando lui dit qu’il allait se rendre au commissariat près de Barbès. Il ne savait même pas où il se trouvait exactement. Il avait eu deux crises d’asthme, et chaque fois, une main providentielle se trouvait là pour lui porter secours, au moment crucial. Il risquait d’avoir une nouvelle attaque, car il sentait déjà la gêne respiratoire qui la précédait, mais il doutait fort qu’il se trouve encore quelqu’un pour le sauver.

– Tu connais le dicton :  jamais deux sans trois… je parle de mains providentielles, dit Sabrina.

– La « Ventoline », ce n’est pas le genre de médicament que les flics ont dans leur pharmacie. Je suis en danger, je te l’assure. S’il m’arrive malheur, je veux que tu saches que je n’ai jamais cessé de t’aimer.

– Je n’en doute pas, mais j’en attends la preuve définitive.

– Peut-être que tu l’auras bientôt. Le serveur du café de la place a, en son pouvoir, des photos compromettantes de nous deux, passionnément embrassés. Il m’a menacé d’en envoyer une à Luisa. Cela risque de faire des dégâts.

– Dépêche-toi d’aller voir les flics, tu me raconteras tout ça plus tard.

Sortant du métro à la station Barbès-Rochechouart, Rolando demanda aux passants où se trouvait le commissariat : on lui indiqua la rue de la Goutte d’Or qui n’était pas loin.

Quand il fut à cette adresse, on le fit patienter une demi-heure, avant de lui dire que son cas ne relevait pas des services de la préfecture de police ; il devait se rendre au commissariat d’arrondissement, situé au 122, rue Mercadet.

Rolando traîna ses jambes qui s’alourdissaient de minute en minute, dans une marche pénible, et quand il arriva à destination, il avait la respiration visiblement gênée. Il tomba sur Hercule, qui le regarda de haut, content de se retrouver devant lui. Il le conduisit dans une pièce vide, se disant qu'il ne le raterait pas cette fois.

– Maintenant, tu vas me raconter tout ce que tu sais sur Rato, Sylvain Rato, dit-il, prenant un air menaçant.

Rolando tenait les deux poings sur la poitrine, sa respiration devenait de plus en plus difficile.

– Je vais avoir une crise d’asthme, monsieur l’agent. Vous n’auriez pas de la « Ventoline », s’il vous plaît ?

– Tu te crois dans une pharmacie, peut-être ? Réponds à mes questions !

– Il me faut de l’air pour parler.

Rolando n’avait plus assez de souffle pour articuler des mots ; il allait s’étouffer sous peu quand le brigadier qui, la veille, avait fait preuve d’humanité envers lui, entra dans la pièce.

Voyant l’état de Rolando, il se précipita vers le hall. Il était trop tard pour appeler le SAMU, qui n’arriverait jamais à temps. Il s’adressa aux gens qui s’y trouvaient et leur demanda si quelqu’un, parmi eux, avait de la « Ventoline » sous la main. C’était une question de vie ou de mort.

– Moi, monsieur l’agent, j'en ai, dit une personne qui venait d’arriver, hors d’haleine.

Le brigadier rejoignit Rolando, qui allait tomber de sa chaise, sous le regard impassible d’Hercule. Il envoya une bouffée dans la bouche du malheureux, puis une deuxième qui le ragaillardit assez vite.

– Merci, monsieur l’agent, vous venez de me sauver la vie. J’ai une chance inouïe. C’est la troisième fois que quelqu’un me sauve la vie in extremis.

– Vous remercierez la personne qui m'a prêté l’inhalateur, probablement une asthmatique comme vous.

– Vous m’emmènerez auprès d’elle, s’il vous plaît.

– Bien sûr. Mais, avant cela, je vais vous rendre vos papiers. L’enquête avance assez vite, on ne tardera pas à mettre la main sur Sylvain Rato. D'ores et déjà, vous avez été mis hors cause dans cette affaire.

Le brigadier tendit la carte de séjour à Rolando.

– Merci, monsieur l’agent. Vous avez du cœur, vous, heureusement pour moi, dit-il, jetant un regard significatif sur Hercule.

– Maintenant, suivez-moi ! Vous devez remercier la personne qui vous a sauvé, en me fournissant ce médicament.

« Sabrina avait raison, se dit Rolando, une troisième main providentielle est venue à mon secours. »

Pénétrant dans la salle d’accueil, il n’en croyait pas ses yeux : il vit sa maîtresse venant à sa rencontre, c’était elle qui l’avait sauvé cette fois. Ils tombèrent dans les bras l'un de l’autre, heureux de se retrouver. Puis, ils s’en allèrent côte à côte, donnant libre cours à leur contentement ; ils avaient beaucoup de choses à se dire et pas mal de temps perdu à rattraper.

 FIN

 

   

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Auteur

J.L.Miranda

08-08-2017

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Soleil d'août appartient au recueil Romans

 

Grande Nouvelle terminée ! Merci à J.L.Miranda.

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