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Pour soldes de tous comptes - Histoire

Histoire "Pour soldes de tous comptes" est une histoire détente mise en ligne par "Ancolies"..

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Pour soldes de tous comptes

 

 

C'était les soldes. Excités, moi et mon pouvoir d'achat on est sortis sur le boulevard. Il faisait pas beau mais pas froid. Y' avait du monde partout et un boucan du diable. Des groupes se formaient, des cœurs s'échauffaient, des stratégies s'échafaudaient. Des doigts ont tambouriné sur mon épaule, je me suis retourné, c'était mon pote Richard, mon pote Richard Lenoir et son pouvoir d'achat. J' pouvais pas dormir avec leur tintamarre ! il a eu la faiblesse de me dire. Bah ! ça va, je connais les hommes, les faiblesses et leurs boulevards ! Je voyais bien qu'il était seul et triste, Richard, bien qu'une immense artère parisienne porte son nom.

 

Au bout du boulevard de mon pote, la place de la Bastille était elle aussi seule et triste. La place de la Bastille est toujours seule et triste mon amour. Bien qu'en cet instant un bon demi-million de personnes s'y livrât sur son parvis à une guerre de la ristourne sans merci. Selon les observations de la police, le demi-million de consommateurs était lui aussi seul et triste. Rien de bien étonnant, en ce temps-là, le pouvoir d'achat était à lui tout seul vachement seul + vachement triste.  

 

Richard Lenoir et moi on s'est laissés porter par la foule. La foule, la houle ! je me disais quand un vaste et brusque mouvement collectif m'a ouille ! collé le nez sur le dos d'un manteau inconnu. L'occupant du manteau s'est retourné, et c'était une occupante, et, surprise ! c'était ma copine Lucille Louise, ouais, sans charres, ma vieille copine Lucille Louise Michel, reconnaissable entre toutes de par ses courtes tresses ainsi que son pouvoir d'achat qu'elle porte invariablement noué dans un foulard vichy. Je l'ai serrée très fort contre moi et l'ai présentée à Richard lors de la vague refluante suivante. J'ai vu tout de suite que Lucille Louise était pas une seconde intéressée alors que ce gros benêt de Richard plongeait déjà, subjugué et soumis. Dégoûté, son pouvoir d'achat a aussitôt entamé une conversation animée avec le mien. J'ai rien écouté, je connaissais tout ça par cœur. 

 

C'était les soldes et le mieux était encore de se laisser rouler. C'était les soldes et tout le monde en avait envie, laisser rouler. Un moment, la marée humaine nous a onduleusement porté sur les quais de Seine, puis déposé au milieu du pont Louis Napoléon où on s'est retrouvés complètement bloqués et immobilisés. Nous avons les moyens de vous faire gagner ! proclamait la rive droite des affiches. Nous ne volons que votre bien ! précisait la rive gauche.

 

On s'est regardés avec Richard et Lucille Louise, on était cernés. Mais on a pas paniqué. On a fait la queue comme tout le monde. D'autant qu'en plus on venait de retrouver dans la folle foule les deux frangins Péreire, Jules-Armand et Edgar-Ampère, deux joyeux drilles de première, banquiers par dessus le marché, qu'on avait connu dans notre jeunesse militante et friquée. Plus on est de pouvoirs d'achat, plus on rit ! on s'est dit au moment propice en pouffant, plongeant tous ensemble dans l'eau glacée du néant. Sous la surface, on s'est comptés pour vérifier qu'y en aurait pas un resté accroché en route à une aspérité d'un pilier porteur, mais non, Richard Lenoir, Lucille Louise Michel, Jules-Armand et Edgar-Ampère Péreire et moi, le compte était bon. On a tiré les cartes. Ça nous faisait marrer, faire un bridge - un pont si vous préférez - sous l'eau. En plus qu'à cinq, on aurait deux morts par donne, deux morts par noyade qui pourraient donc faire une bataille sous-navale pendant que les autres pêchaient les grands schlems. On trouvait qu'on s'en sortait bien, de ce passage commercial toujours un peu difficile, sans compter que les frangins Péreire avaient pas perdu la main question rigolade. Bref, moi et mes potes, croyez-moi qu'on en a solidement profité, des soldes d'hiver. 

 

Après la partie, on a déchiré et tressé en fines papillotes nos pouvoirs d'achat respectifs, qu'ont aussitôt filé comme des flèches d'argent dans le courant fluvial. Soulagés de nous retrouver à sec - si l'on peut dire étant donné qu'on était six pieds sous l'eau - on s'est risqués vers la surface, histoire de voir comment ça se passait là-haut. Ç'avait l'air calme, on est remontés.

 

Putain la désolation ! Trottoirs de sentiments éventrés, immeubles d'habitation et grandes structures commerciales renversés, bureaux d'assurance piétinés, flammes de toutes les couleurs desséchées, pétrifiées, courant immobiles sur les façades et pavés, vitrines et enseignes explosées en une pluie de paillettes et de verre, rescapés hébétés, titubant entre les gravats, brandissant comme un saint sacrement des pancartes Moins 80%, leurs doigts définitivement noués à la matière, leurs doigts devenus bois blanc ; et partout des terrains de sport et des parkings transformés en hôpitaux de campagne ; et les rocades et les autoroutes paralysées, et ouf ! des hélicos et des camionnettes relatant sans relâche, oui ouf, des institutions médias intactes, sauvegardées, loyales garantes de l'insanité mentale et de la continuité.  

 

Il était tard. Richard, Lucille Louise, Jules-Armand, Edgar-Ampère et moi, on a ramassé au passage - entre les grilles arrachées des arbres, entre les enjoliveurs éparpillés, les essieux déboîtés, les volets brisés - des liasses et des liasses de pouvoirs d'achat dont les propriétaires précédents n'auraient plus jamais l'usage. Liasses qu’on a soigneusement rongées ainsi que tous les coupe-ongles de réduction qu'on a croisés, pour leur éviter de se reproduire. Pis, comme tous ces pics de consommation nous avaient creusés, on s'est tapés des pieds de cochon aux lentilles dans une brasserie de l'ancien quartier des Halles. Sur les écrans tv obligés, on a maté les premiers bulletins infos de cette nouvelle journée. Pendant la nuit, les stars avaient vieilli ! nous ont-ils avertis. C'était prévisible. Encore une fois on a ri sans joie. Rendez-vous aux prochaines soldes, on s'est dit en s'embrassant et se souhaitant bonne nuit.

 

Il était tard. Des poètes corrompus et des experts entendus travaillaient encore. Ensemble. L'un d'eux venait d'avoir l'idée du concept de Soldes permanentes. C'est ça, tous les jours, toute l'année. Il avait fait part de son intuition à ses collègues, et maintenant tout le groupe y réfléchissait à deux fois, chaque cerveau droit imaginait chaque implication possible, évaluant avec acuité chaque impact et chaque conséquence, tandis que chaque cerveau gauche moulinait dans le même temps l'éventail des modes opératoires relatifs.

 

Finalement, quand l'aube se levait sur la ville fumante et dévastée d'amour, le groupe s'accordait à dire que le nouveau concept présentait une possibilité raisonnablement intéressante dans l'éventualité d'une solution finale à envisager pour les consommateurs. Conscients de la puissance de la nouvelle arme sur laquelle ils venaient de mettre la main, les responsables au plus haut niveau prirent trois décisions sur le champ : 1 / classer l'idée Top Secret Défense ;   2 / faire promptement disparaître accidentellement tous les acteurs de la réunion ; et 3 / garder tout ça sous le coude en attente du moment adéquat. Fort logiquement ils baptisèrent le dossier Pour soldes de tous comptes.

 

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Ancolies

06-10-2012

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Pour soldes de tous comptes appartient au recueil La vie des médias

 

Histoire terminée ! Merci à Ancolies.

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