Pélerinage - Texte court

Pélerinage

Le pèlerinage s’était avéré comme prévu duraille. Un peu plus, un peu moins, c’était de toute façon toujours duraille. On pouvait faire le tour du monde et s’occuper des autres à plein temps, sans pour autant réussir à se mettre en vacances de soi-même. Et lorsque, devoir accompli, on se retrouvait seul, quelque soit l’heure rien n’avait bougé, rien n’avait avancé, la couche d’apathie et de poussière continuait de couvrir chaque chose.

Il se réveillait en en croyant à peine ses yeux. C’était ça ? Il voulait dormir encore mais son cœur et son corps et son cerveau s’y refusaient, déjà assaillis par les idées noires. C’était donc ça ? Le cauchemar avait envahi toutes les secondes de sa vie. Il ne pouvait même plus compter sur le sommeil pour être quelques instants à l’abri. Le sommeil était devenu une prison supplémentaire. Il trouvait ça injuste. Trop dur, trop cher.

Hier Fillette était venue dîner. Pour lui plaire il avait branché le vieil ordi et mis de la musique avant qu’elle n’arrive. Lui n’écoutait plus de musique depuis belle lurette, préférant stupidement son silence blanc et sombre. Mais il voulait bien accueillir Fillette. Il savait que pour elle la musique comptait beaucoup. Et, s’il n’en écoutait plus seul, l’un de ses rares plaisirs était de jouer le dj et de faire décoller les autres lorsque l’occasion s’en présentait. Encore fallait-il avoir encore un minimum d’allant et d’énergie.

Il avait mis du rock texan avant qu’elle n’arrive. Un vieux guitariste et chanteur, Calvin Russell, qui balançait ses dures balades avec un son sentant bon la poussière et les bottes. Mais il comptait changer de play-list à l’arrivée de Fillette. Soit pour lancer la lecture aléatoire d’une compil de 200 morceaux dansants qu’il avait réalisée, soit pour s’en tenir à ce bon vieux Grateful Dead et les guitares apaisées et aériennes du défunt Jerry Garcia, lesquelles guitares il appréciait de plus en plus avec le temps.

Pour la seconde fois depuis plusieurs mois, il avait fait, bel effort, un peu de cuisine. Toujours pour bien l’accueillir. Et il avait mis un chouette polo bleu pâle. D’ailleurs, une fois présente, elle lui dit qu’elle le trouvait beau. Mais comme d’habitude il se sentait moche et vieux. Affaissé.

Elle était là. Cependant sa terreur de se trouver bientôt seul, il avait envie qu’elle s’en aille. Il ne voyait pas ce qu’il pouvait lui apporter. Depuis combien de temps, combien d’années n’avait-il pas ri franchement, le cœur à l’insouciance. Encore une fois, tout était sauvage et irréel de a à z. Et muet. Il ne pouvait rien dire de léger, de souriant, d’espérant.

Il ne comprenait pas. Il ne voulait pas comprendre. La vérité était trop dure pour qu’il puisse l’accepter sans se faire sauter la ligne de mire ou alors, ultime station avant l’autoroute, se convertir.