Ne pas me retourner - Journal intime

Ne pas me retourner

Au pied d'un fromager, la terre africaine.

En brousse, 2014 

J'ai tracé la route.

J'ai relevé la tête pour mieux voir de nouveaux cieux.

Je me suis habituée à des horizons différents.

Je prends le temps de découvrir les couleurs d'une vie que  j'avais oubliée.

Je ne veux pas me retourner.

Je suis née en un lieu puis ai été adoptée par tant d'autres, suis-je de nulle part?

Sauvage et sans racines.

Je n'ai pas de clé dans la poche pour ouvrir la porte de ma maison.

Pas d'odeurs de cire ni de cuisine, pas de chien qui attende mon retour sur le pas de la porte.

Je n'ai pas de souvenir posé sur le coin d'une étagère, je n'ai pas les casseroles de Mamie, les livres de Papa, les vieux draps de Tatie ni les cuivres de Maman. 

Mes richesses, mes souvenirs sont dans ma tête. Ils ont imbibé mon coeur. 

Comme l'aigrette d'un pissenlit, voguer dans les courants, se laisser porter et voyager pour découvrir le monde. 

Des plages de sable blond, des étendues grises de rage pendant l'hivernage et si bleues ensuite. Les vagues qui me bousculaient et dans lesquelles je riais de peur, je pleurais de bonheur. Et le soleil, l'astre brûlant auquel je m'abandonnais pour tenir au chaud la vie. Que devenez-vous palmiers d'Afrique?

Et vous, fiers diolas de Casamance, dans les bolongs entre les palétuviers. Prenez soin de vos terres, elles sont belles, gardez les de la menace de l'étranger.

Avant de vous quitter, j'ai caché au coeur de la brousse toute ma part d'africaine. J'ai confié à l'arbre du voyageur mes larmes pour être sûre de ne pas les verser. Je ne porte plus de pagne, je ne sens plus le goût du bongo, le piment est insipide. L'Afrique ne peut se vivre qu'en terre mandinka, peul ou lebou. Ici, le ciel ne sait pas être bleu et le soleil n'est que tiède. Même les photos ont laissé leur couleur par delà les déserts. 

Sur les pages de mon livre, je veux continuer à écrire les beautés du monde, les bonheurs de la vie. Je veux trouver des couleurs à ma nouvelle terre.

Je sais que tu m'entends, s'il te plait, aide-moi.

Emplis-moi de tes éclats, je n'aime pas les demies teintes.

Apprends-moi à vivre ici et bariole mes quotidiens trop gris.

J'ai confiance en toi, tu sais si bien enluminer toutes les miniatures, continue à me peindre des marines. 

 Je ne veux pas me retourner.  

Sur la route du bonheur

Royan, 2015

Carmaux

06/03/2015