Moi et Mohamed Merah - Tranche de Vie

Moi et Mohamed Merah

Je ne vous ai jamais dit que j’habitais (et habite toujours) le même immeuble que Mohamed Merah.

Ça c’est passé comme ça.

Une nuit à 2 heures du mat, le téléphone sonne. Complètement endormi, assommé par les somnifères, je réponds originalement allo et j’entends : C’est Geneviève chépaquoi, je suis journaliste à RMC, une opération policière se déroule dans votre rue. Allez à la fenêtre et dîtes-moi ce que vous voyez.

Ahuri par tant de grossièreté - même pas s’excuser de me réveiller, même pas me demander svp… -, je lui raccroche au nez. Puis je vais en caleçon sur le balcon et je tombe en pleine série tv : la rue grouille de flics, et pile en face de chez moi, des gars du RAID sont planqués derrière une voiture. Ils défouraillent sur les fenêtres du 1^er étage (j’habite au 4^ème). Je vois (ou alors j’ai rêvé) une grenade balancée du 1^er qui roule sur le pavé, tous les flics se jettent à terre, la grenade n’explose pas.

Après, ça n’a pas arrêté, les journalistes. Toutes les demi-heures, y compris une télé espagnole. En général ils se montrent plus courtois que la femme de RMC, et je réponds à leurs questions. Je me demande par ailleurs comment diable ils ont mon téléphone vu que je suis sur liste rouge.

Après, l’eau et l’électricité sont coupées, et l’après-midi nous sommes évacués par nacelle de pompiers sur l’arrière du bâtiment, de l’autre côté du champ des hostilités.

Je trouve refuge chez la mère de mon fils, les autres habitants étant accueillis dans une caserne de légionnaires pas loin.

Je passe 3 jours à mater les infos diffusées non stop en direct, me demandant égoïstement quand je vais pouvoir rentrer chez moi. Je me rends une fois à la cellule de crise mise en place dans la caserne pour tenter d’obtenir des infos plus précises. Les psychologues semblent ravis d’avoir quelqu’un sur qui jeter leur dévolu et c’est à moi de les réconforter tant ils semblent perdus. Ils voudraient que j’aille mal.

Puis l’assaut est donné avec le dénouement que vous savez. Alors je tente de rentrer mais me fait refouler par les policiers. Ils sont à la recherche d’indices. Puis le lendemain c’est bon, je peux retrouver mes pénates, la rue toujours peuplée de policiers en faction et d’un sacré paquet de camionnettes media qui resteront là une semaine ou une quinzaine encore.

Puis pendant 3 mois viennent les touristes. Voir quoi mon Dieu ? Du contreplaqué fixé sur les fenêtres explosées et les impacts de balles sur le mur.

8 mois plus tard, un peu avant Noël, je rentre un soir chez moi, je parque ma voiture et descend. 2 gars me sautent poliment sur le paletot. Ils se présentent, ce sont des journalistes de Canal +. Ils me demandent si j’habite là et, devant ma réponse favorable, m’expliquent qu’ils préparent une émission rétrospective des événements de l’année, serais-je d’accord pour être interviewé ? Devant tant d’amabilité j’accepte.

On fait ça le lendemain chez moi, avec caméra, micros et tout le tremblement. Ça se passe sans problèmes. Je ne leur demande pas quand est diffusée l’émission. Ça m’intéresse assez peu. De toute façon je n’ai pas Canal + et je n’aime pas la télé. C’est pas interactif comme truc et devant je m’emmerde.

J’ai dit que ça se passait sans problèmes mais quand même, à un moment je les déçois. L’interviewer me dit : Je suppose que vous vous souviendrez de ces quelques jours toute votre vie, non ?
Ah non ! je lui réponds. Pensez, j’ai bien d’autres chats à fouetter.