"Loin de la foule déchaînée" est une critique de film, Théatre, série mise en ligne par
"Paulette Pairoy-Dupré"..
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Loin de la foule déchaînée
Pour qui a lu le roman de Thomas Hardy « Far from the maddling crowd » (Loin de la foule déchaînée), l’interprétation cinématographique de Thomas Vinterberg est absolument remarquable. Dans l’Angleterre victorienne, en pleine révolution industrielle et de modernisation de l’agriculture, la population rurale diminue, affluant vers les villes où elle espère trouver du travail et de meilleures conditions de vie. Leurre bien sûr … cette population non qualifiée fournira une main d’œuvre bon marché, corvéable à merci, vivant dans une grande misère et avec une espérance de vie réduite. Pour qui vit dans le Dorset, région agricole du Sud Ouest de l’Angleterre (pays natal de Thomas Hardy), même si le quotidien est régulé par la rudesse de la nature et les aléas des intempéries, on est « loin de la foule déchaînée ». Les journées de labeur sont longues, la vie y est difficile, certes, mais paisible. Si on a la chance de travailler pour un bon maître, on mange à sa faim. L’exploitation demeure une communauté où chacun est respecté, à condition d’être honnête et travailleur et de savoir rester à sa place. Les saisons sont marquées par des fêtes que le propriétaire terrien partage avec son personnel agricole. La vie y est saine. Fuir, c’est s’exposer à sa perte. Splendide métaphore de l’auteur, sublimée par le réalisateur du film : la fuite du troupeau de brebis, qui quitte l’enclos pour rejoindre la falaise et faire le grand saut dans l’inconnu. Une à une les brebis y perdront la vie. Bathsheba Everdene, orpheline, vit depuis son plus jeune âge avec sa tante dans la ferme familiale, bien modeste, qu’elle entretient avec courage et amour. Elle a grandi en solitaire, avec et dans la nature qui lui a forgé son caractère et ses valeurs. Arrivée à l’âge de se marier, les prétendants ne manquent pas. Son voisin, Gabriel Oak, a réussi à force de travail et de privations à avoir une belle exploitation avec un cheptel ovin conséquent, supposé lui assurer un avenir financier. Epris de sa belle voisine, il la demande en mariage, lui promettant un confort matériel, mais se voit essuyer un refus. Bathsheba, se suffit à elle-même et ne cherche point mari. Gabriel perd son troupeau et donc sa petite fortune, son chien mal dressé ayant affolé en pleine nuit le troupeau, qui forcera les barrières de l’enclos et finira à la mer. Dépité et ruiné, il quitte le domaine et erre en quête d’un emploi d’ouvrier agricole. Le hasard veut qu’il croise sur son chemin, une ferme en feu. Avec tout son savoir et son courage, au risque de sa vie, il viendra à bout de l’incendie. Ce qu’il ignore, c’est que cette ferme appartient désormais à Mademoiselle Everdene, qui vient d’en hériter de son oncle et qu’elle va d’ici peu l’embaucher. De maître, il devient valet. Il garde secret son amour, sa position sociale lui interdisant toute autre espérance. Bathsheba est belle, intelligente, courageuse, cultivée, indépendante et désormais riche mais aussi orgueilleuse et vaniteuse. Elle travaille autant qu’un homme, se moque des conventions va jusqu’à monter son cheval sans selle, scandaleux à l’époque pour une jeune femme. Elle préfigure la femme moderne, capable de s’assumer seule et de faire ses propres choix y compris en termes de relations amoureuses. L’intrigue n’est pas sans nous rappeler parfois « Autant en emporte le vent », et Bathsheba est une Scarlett O’Hara dans l’inconstance de ses amours, parfois dans sa futilité, mais aussi dans toute l’énergie qu’elle va déployer pour développer la ferme héritée de son oncle et qu’elle va diriger de main de maître, embauchant des travailleurs impliqués et se séparant de régisseurs malhonnêtes, bravant la gent masculine, pour vendre au bon prix ces récoltes. Elle refuse les avances de Mr Boldswood, vieux garçon et quinquagénaire aigri, prêt à lui léguer sa fortune, en simple échange de sa compagnie. L’épousant, non seulement il ne serait plus seul, mais encore il pourrait ajouter à sa somptueuse maison, un bel objet que sa fortune lui permet de parer des plus belles toilettes assorties au décor et ferait l’envie des ses visiteurs. Elle ne fera pas pour autant meilleur choix, succombant aux charmes d’un soldat de la Reine, bel uniforme, séducteur et amant remarquable, mais futile, noceur et buveur qu’elle épousera. Celui-ci finira par la ruiner, retrouver son premier amour et tenter de se suicider après la mort de cette dernière. Nouvelle métaphore de l’auteur et beau rendu du cinéaste : sa simulation d’un duel à l’épée au fin fond d’une clairière, d’où le spectateur ne peut qu’anticiper pour Bathsheba une vie de dominée, sous le joug du bel officier Troy, dans le risque et le bon vouloir destructeur de celui-ci. Alors que Boldswood renouvelle sa demande, la belle étant maintenant veuve, Troy dont le suicide a raté, (même là, il est mauvais !) revient pour quémander quelques sous et se fait finalement abattre comme un chien par le vieil amoureux lequel rendra l’âme en prison. Qu’est devenu Gabriel ? Gabriel est un homme de la campagne, quelque peu rustre, solide, solitaire mais aussi timide. Il est intègre et constant comme un chêne, ne s’appelle t il pas Oak ? (oak est la traduction anglaise de chêne). Il parle peu, mais voit tout et entend tout. Il prévoit tout, les orages comme les erreurs de Bathsheba. Il sait tout faire et c’est toujours vers lui qu’elle se tournera quand elle sera dans le besoin. Il sauvera, seul les récoltes de l’orage, les troupeaux de la maladie. Il mettra toute son énergie au service de la propriété. Il sera même le confident de Bathsheba et veillera à la protéger contre elle-même. Sa mission terminée, il est sur le point de s’embarquer pour l’Amérique… La fin de cette romance est au diapason d’un conte de fée. Bathsheba le rattrapera sur la route. Il ne partira pas aux Amériques mais reviendra au domaine. Et la suite …. Carrey Mulligan et Thomas Schoenaerts interprètent brillamment les deux rôles principaux, celui de Batsheba Everdene et de Gabriel Oak. Carrey est pétillante et malicieuse à souhait. Femme de caractère, manipulatrice, soumise ou autoritaire, elle compose avec brio dans toutes les situations. Thomas Schoenaerts, d’une belle plastique, fait bon usage de son physique robuste et rassurant pour ce qui ressort de son quotidien d’ouvrier agricole, et traduit ses émotions par la profondeur de son regard pour ce qu’il n’est point autorisé à dire. Tom Sturridge manie superbement l’épée, mais ne brille qu’au travers de la couleur de son uniforme. Michael Sheen, bien vieilli pour l’occasion, entre parfaitement dans la peau du quinquagénaire énamouré. « Loin de la foule déchaînée » est une remarquable peinture de la vie rurale à la fin du X/IXème siècle. Vinterberg a su mettre en évidence la lutte des personnages contre leurs passions, contre les éléments déchaînés : le feu et la tempête, la cruauté de la lutte pour l’existence et respecter le naturalisme de l’auteur qui veut que le milieu où vit le protagoniste détermine son comportement, le hasard transformant sa vie en bonheur ou en enfer. L’esthétique est exceptionnelle. Le réalisateur fait de la nature un personnage à part entière et les paysages ont une dimension spectaculaire. Les cameramen ont utilisé toute la palette des couleurs du pays de Thomas Hardy : les grandes prairies verdoyantes, la forêt et les ombres des arbres dans la clairière, la blancheur d’albâtre des falaises, ainsi que les tons chatoyants des intérieurs, colorés pour les uns des ors du soleil couchant, pour les autres des chandelles de la veillée, jouant parfois avec des flous à la façon d’Hamilton qui ajoutent à l’intensité émotionnelle du jeu des acteurs.
Un très beau film, fidèle à l’auteur et que je recommande.
Juin 2015 |
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Loin de la foule déchaînée
appartient au recueil I-Chroniques
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Critique de Film, Théatre, série... terminée ! Merci à Paulette Pairoy-Dupré. |
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