Connexion : supprimer Ou

Les causeurs - Domaine Public

Domaine Public "Les causeurs" est un texte du domaine public mis en ligne par "Guy de Maupassant".Vous voulez partager avec la communauté de DPP, un texte appartenant au domaine public. C’est ici !
Chacun peut ressentir l'envie de faire découvrir les œuvres de certains auteurs.
Alors n'hésitez pas à le faire, les auteurs et textes à découvrir seront mentionnés sur votre profil.

Venez publier un texte du domaine public ! / Protéger un texte du domaine public

( Les Chroniques de Maupassant - Le Gaulois -1882)

 

 

Les causeurs  

 

 

"Pour les femmes, il est l’idéal. Il sait manœuvrer sans faire de jalouses.

Il choisit l’élue du jour"

 

"Eh bien, non, ce n’est point un causeur..."

 

 

 Guy de Maupassant

 

 

 

Salon de Victor Hugo

 

 

 

Je lisais ceci, dernièrement, dans les lettres intimes de Berlioz qui viennent d’être publiées : « Je vis, depuis mon retour d’Italie, au milieu du monde le plus prosaïque, le plus desséchant. Malgré mes supplications de n’en rien faire, on se plaît, on s’obstine à me parler sans cesse musique, art, haute poésie ; ces gens-là emploient ces termes avec le plus grand sang-froid ; on dirait qu’ils parlent vin, femmes, émeute ou autres cochonneries. Mon beau-frère surtout, qui est d’une loquacité effrayante, me tue. Je sens que je suis isolé de tout ce monde par mes pensées, par mes passions, par mes amours, par mes haines, par mes mépris, par ma tête, par mon cœur, par tout ».

Cette violente et superbe boutade pourrait s’appliquer à tous ou du moins à presque tous les salons d’aujourd’hui, tant la conversation y est banale, courante, odieuse, toute faite, monotone, à la portée de chaque imbécile. Cela coule, coule des lèvres, des petites lèvres des femmes qu’un pli gracieux retrousse, des lèvres barbues des hommes qu’un bout de ruban rouge à la boutonnière semble indiquer intelligents. Cela coule sans fin, écœurant, bête à faire pleurer, sans une variante, sans un éclat, sans une saillie, sans une fusée d’esprit.

On parle, en effet, musique, art, haute poésie. Or il serait cent millions de fois plus intéressant d’entendre un charcutier parler boudin avec compétence, que d’écouter les messieurs corrects et les femmes du monde en visite ouvrir leur robinet à banalités sur les seules choses grandes et belles qui soient. Croyez-vous qu’ils pensent à ce qu’ils disent, ces gens ? Qu’ils fassent l’effort de descendre au fond de ce dont ils s’entretiennent, d’en pénétrer le sens mystérieux ? Non ! Ils répètent tout ce qu’il est d’usage de répéter sur ce sujet. Voilà tout. Aussi je déclare qu’il faut un courage surhumain, une dose de patience à toute épreuve et une bien sereine indifférence en tout pour aller aujourd’hui dans ce qu’on appelle le monde, et subir avec un visage souriant les bavardages ineptes qu’on entend à propos de tout.

Quelques maisons, bien entendu, font exception, mais elles sont rares, très rares.

Je ne prétends point assurément que chacun puisse, dans le premier salon venu, parler poésie avec l’autorité de Victor Hugo, musique avec la compétence de Saint-Saëns, peinture avec le savoir de Bonnat ; qu’on doive dégager, dans une causerie de dix minutes, le sens philosophique du moindre événement, pénétrer cet « au-delà » de la chose même qui en fait le charme, qui constitue la séduction profonde d’une œuvre d’art, et qui élargit jusqu’à l’infini tout sujet qu’on aborde. Non. Il faut savoir s’abstenir de traiter légèrement les grandes questions ; mais il faudrait, pour que les salons actuels, fussent abordables, qu’on sût au moins causer !

Causer ! Qu’est cela ? Causer, madame, c’était jadis l’art d’être homme ou femme du monde ; l’art de ne paraître jamais ennuyeux, de savoir tout dire avec intérêt, de plaire avec n’importe quoi, de séduire avec rien du tout. Aujourd’hui on parle, on raconte, on chipote, on potine, on cancane, on ne cause plus, on ne cause jamais. L’ardent musicien que je citais s’écrie : « On dirait qu’ils parlent vin, femmes, émeute ou autres cochonneries ». — Eh bien, savoir causer, c’est savoir parler vin, femmes, émeute et... autres balivernes, sans que rien soit... ce que dit Berlioz.

 

Comment définir le vif effleurement des choses par les mots, ce jeu de raquette avec des paroles souples, cette espèce de sourire léger des idées que doit être la causerie ? On s’embourbe aujourd’hui dans le racontage. Chacun raconte à son tour des choses personnelles, ennuyeuses et longues, qui n’intéressent aucun voisin. Remarquez-le, sur vingt personnes qui parlent, dix-neuf parlent d’elles-mêmes, narrent des événements qui leur sont arrivés, et cela lentement, laissant l’esprit retomber après chaque mot, la pensée des auditeurs bâiller entre chaque phrase, de telle sorte qu’on a toujours envie de leur dire : « Mais taisez-vous donc, laissez-moi au moins rêver tranquillement ».

 

Et puis toujours la conversation se traîne sur les choses banales du jour ou de la veille ; jamais plus elle ne s’envole d’un coup d’ailes pour se percher sur une idée, une simple idée, et, de là, sauter sur une autre, puis sur une autre.

J’ai souvent entendu Gustave Flaubert dire (et cette observation m’a paru d’une singulière et profonde vérité) : « Quand on écoute causer les hommes, on reconnaît les esprits supérieurs à ceci : c’est que sans cesse ils vont du fait à l’idée générale, élargissant toujours, dégageant une sorte de loi, ne prenant jamais un événement que comme tremplin ».

C’est ce que font les philosophes, les historiens, les moralistes. C’est ce que faisaient, toute proportion gardée, les charmants causeurs du siècle dernier. Ils jabotaient avec des idées bien plus qu’avec des faits divers. Aujourd’hui tout est faits divers. Quand on arrête, par hasard, dans un salon, l’écoulement des phrases toutes préparées, des idées reçues et des opinions adoptées, c’est pour narrer, sans commentaires spirituels d’ailleurs, quelque aventure d’alcôve ou de coulisse.

Il ne reste maintenant que des monologueurs. Ceux-là sont des malins. Comprenant que personne ne pourrait leur donner la réplique, l’art de causer étant disparu, ils sont devenus des espèces de conférenciers pour dîners et soirées. On les connaît, on les cite, on les invite. L’Académie en compte même plusieurs en son sein. Celui-ci opère surtout en tête-à-tête, celui-là préfère la galerie. Ils ont leurs sujets préparés, leurs tiroirs à bavardage, leurs arguments, leurs ficelles.

Le plus célèbre de tous, fort aimable homme, du reste, s’est fait une telle spécialité dans la causerie sentimentale à deux, lui seul parlant, que ses rivaux trépignent de jalousie. Jamais, oh ! jamais, il ne s’adresse aux hommes ! Tout pour les femmes. Pour elles, la séduction sérieuse de son esprit, son savoir grave et doux, tous ses frais d’éloquence. Mais aussi comme il sait leur plaire, comme il les séduit, comme il possède leur âme ! En voilà un qui doit mépriser Schopenhauer ! Et comme Schopenhauer le lui eût rendu !

Beau ? Non, il n’est pas beau, il est bien. Tout en lui est bien : sa figure, sa tenue, sa parole, sa science, sa position, tout. Il est presque trop bien ; pour les hommes il serait mieux étant moins bien.

Pour les femmes, il est l’idéal. Il sait manœuvrer sans faire de jalouses. Il choisit l’élue du jour, et — comment fait-il ? je l’ignore — mais bientôt ils sont seuls, dans un coin, tout seuls, causant. Il parle bas, très bas ; personne autour de lui n’entend ; il reste grave, toujours bien, souriant à peine ; tandis qu’elle le regarde soit fixement soit par secousses, gardant sur les lèvres un sourire ravi, le sourire des bienheureux. C’est le Donato de la parole !

On dit pourtant qu’il n’est pas ce qu’on appelle un homme galant, bien qu’il soit fort galant homme ; il sait parler aux femmes, voilà tout.

Pourquoi l’ai-je cité ? Parce que chacune, quand on le nomme, s’écrie : « Quel causeur ! » — Eh bien, non, ce n’est point un causeur ; il n’y a plus de causeurs, à part quatre ou cinq, peut-être ; et ceux-là même, ne trouvant jamais personne qui leur tienne tête à cette charmante mais difficile escrime, deviennent peu à peu des monologueurs.

*  *  *

Guy de Maupassant

Fin d’amour

 Le gai soleil chauffait les plaines réveillées.

Des caresses flottaient sous les calmes feuillées.

Offrant à tout désir son calice embaumé,

Où scintillait encor la goutte de rosée,

Chaque fleur, par de beaux insectes courtisée,

Laissait boire le suc en sa gorge enfermé.

De larges papillons se reposant sur elles

Les épuisaient avec un battement des ailes ;

Et l’on se demandait lequel était vivant,

Car la bête avait l’air d’une fleur animée.

Des appels de tendresse éclataient dans le vent.

Tout, sous la tiède aurore, avait sa bien-aimée ;

Et dans la brume rose où se lèvent les jours

On entendait chanter des couples d’alouettes,

Des étalons hennir leurs fringantes amours,

Tandis qu’offrant leurs cœurs avec des pirouettes

Des petits lapins gris sautaient au coin d’un bois.

Une joie amoureuse, épandue et puissante,

Semant par l’horizon sa fièvre grandissante,

Pour troubler tous les cœurs prenait toutes les voix.

Et sous l’abri de la ramure hospitalière

Des arbres, habités par des peuples menus,

Par ces êtres pareils à des grains de poussière,

Des foules d’animaux de nos yeux inconnus,

Pour qui les fins bourgeons sont d’immenses royaumes,

Mêlaient au jour levant leurs tendresses d’atomes.

Deux jeunes gens suivaient un tranquille chemin

Noyé dans les moissons qui couvraient la campagne.

Ils ne s’étreignaient point du bras ou de la main ;

L’homme ne levait pas les yeux sur sa compagne.

Elle dit, s’asseyant au revers d’un talus :

« Allez, j’avais bien vu que vous ne m’aimiez plus. »

Il fit un geste pour répondre : « Est-ce ma faute ? »

Puis il s’assit près d’elle. Ils songeaient, côte à côte.

Elle reprit : « Un an ! rien qu’un an ! et voilà

Comment tout cet amour éternel s’envola !

Mon âme vibre encor de tes douces paroles !

J’ai le cœur tout brûlant de tes caresses folles !

Qui donc t’a pu changer du jour au lendemain ?

Tu m’embrassais hier, mon Amour ; et ta main,

Aujourd’hui, semble fuir sitôt qu’elle me touche.

Pourquoi donc n’as-tu plus de baisers sur la bouche ?

Pourquoi ? réponds ! » — Il dit : « Est-ce que je le sais ? »

Elle mit son regard dans le sien pour y lire :

« Tu ne te souviens plus comme tu m’embrassais,

Et comme chaque étreinte était un long délire ? »

Il se leva, roulant entre ses doigts distraits

La mince cigarette, et, d’une voix lassée :

« Non, c’est fini, dit-il, à quoi bon les regrets ?

On ne rappelle pas une chose passée,

Et nous n’y pouvons rien, mon amie !     

     

               À pas lents

Ils partirent, le front penché, les bras ballants.

Elle avait des sanglots qui lui gonflaient la gorge,

Et des larmes venaient luire au bord de ses yeux.

Ils firent s’envoler au milieu d’un champ d’orge

Deux pigeons qui, s’aimant, fuirent d’un vol joyeux.

Autour d’eux, sous leurs pieds, dans l’azur sur leur tête,

L’Amour était partout comme une grande fête.

Longtemps le couple ailé dans le ciel bleu tourna.

Un gars qui s’en allait au travail entonna

Une chanson qui fit accourir, rouge et tendre,

La servante de ferme embusquée à l’attendre.

Ils marchaient sans parler. Il semblait irrité,

Et la guettait parfois d’un regard de côté ;

Ils gagnèrent un bois. Sur l’herbe d’une sente,

À travers la verdure encor claire et récente,

Des flaques de soleil tombaient devant leurs pas ;

Ils avançaient dessus et ne les voyaient pas.

Mais elle s’affaissa, haletante et sans force,

Au pied d’un arbre dont elle étreignit l’écorce,

Ne pouvant retenir ses sanglots et ses cris.

Il attendit d’abord, immobile et surpris,

Espérant que bientôt elle serait calmée.

Et sa lèvre lançait des filets de fumée

Qu’il regardait monter, se perdre dans l’air pur.

Puis il frappa du pied, et soudain, le front dur :

« Finissez, je ne veux ni larmes ni querelle. »

« Laissez-moi souffrir seule, allez-vous-en », dit-elle.

Et relevant sur lui ses yeux noyés de pleurs :

« Oh ! comme j’avais l’âme éperdue et ravie !

Et maintenant elle est si pleine de douleurs !...

Quand on aime, pourquoi n’est-ce pas pour la vie ?

Pourquoi cesser d’aimer ? Moi, je t’aime... Et jamais

Tu ne m’aimeras plus ainsi que tu m’aimais ! »

Il dit : « Je n’y peux rien. La vie est ainsi faite.

Chaque joie, ici-bas, est toujours incomplète.

Le bonheur n’a qu’un temps. Je ne t’ai point promis

Que cela durerait jusqu’au bord de la tombe.

Un amour naît, vieillit comme le reste, et tombe.

Et puis, si tu le veux, nous deviendrons amis ;

Et nous aurons, après cette dure secousse,

L’affection des vieux amants, sereine et douce. »

Et pour la relever il la prit par le bras.

Mais elle sanglota : « Non, tu ne comprends pas. »

Et, se tordant les mains dans une douleur folle,

Elle criait : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » — Lui, sans parole,

La regardait. Il dit : « Tu ne veux pas finir,

Je m’en vais » — Et partit pour ne plus revenir.

Elle se sentit seule et releva la tête.

Des légions d’oiseaux faisaient une tempête

De cris joyeux. Parfois un rossignol lointain

Jetait un trille aigu dans l’air frais du matin,

Et son souple gosier semblait rouler des perles.

Dans tout le gai feuillage éclataient des chansons :

Le hautbois des linots et le sifflet des merles,

Et le petit refrain alerte des pinsons.

Quelques hardis pierrots, sur l’herbe de la sente,

S’aimaient, le bec ouvert et l’aile frémissante.

Elle sentait partout, sous le bois reverdi,

Courir et palpiter un souffle ardent et tendre ;

Alors, levant les yeux vers le ciel, elle dit :

« Amour ! l’homme est trop bas pour jamais te comprendre ! »

Partager

Partager Facebook

Proposé par

Jenny

Auteur

Blog

Guy de Maupassant

04-06-2012

Couverture

"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Les causeurs n'appartient à aucun recueil

 

Domaine Public terminé ! Merci à Jenny.

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.