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Le parfait courtisan - Histoire Courte

Histoire Courte "Le parfait courtisan" est une histoire courte mise en ligne par "GillesP".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Antalceste et cie...

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Le Parfait courtisan

portrait à la manière de La Bruyère

     Antalceste se présente devant mes yeux ; sans perdre un instant, il fait l’éloge de ma tenue et de mon maintien : selon lui, je porte la perruque à merveille et mes vêtements sont parfaitement ajustés. Il me demande l’adresse de mon tailleur, qui a si bien réussi à mettre mes atouts en valeur. Il trouve que savoir bien s’entourer est une qualité appréciable en ce monde. Devant ma mine circonspecte, il change de discours : il regrette qu’on s’arrête trop souvent à ce genre de détail, déplore le monde de l’artifice qui règne à la cour, mais ajoute qu’il faut bien se soumettre aux usages du monde. Il a deviné que je me défie de lui, et de ses flatteries ; aussi pour me plaire se lance-t-il dans une diatribe contre la valeur trop grande qu’on accorde à l’apparence, notamment vestimentaire : le monde de la cour manque de profondeur, voilà ce qu’il me dit en guise de douceur. Voyant que j’opine du chef, il me caresse et me cajole, en m’assurant de son amitié sincère et inébranlable : quoi qu’il arrive, et quel que soit le cours de ma destinée, son attachement pour moi ne cessera jamais. Je devine sans peine que s’il me dit cela, c’est que la récente subvention dont j’ai été gratifié par le roi, et l’intérêt que ce dernier a pris à lire quelques petits portraits de ma composition, lui fait trouver ma compagnie charmante et digne d’intérêt. Du coin de l’œil, il s’assure qu’on le voit bien en train de me parler. 

     Pendant qu’il réitère ses compliments sincères sur ma propre personne, je l’observe : sa réputation n’est en effet pas usurpée, il présente bien : son habit est noble, élégant, raffiné ; l’étoffe est bien choisie, les couleurs sont soigneusement assorties, les broderies parfaitement accomplies ; son maintien est hors de tout soupçon : il se montre à l’aise, sans paraître trop sûr de lui. On sent que tout dans son attitude est savamment étudié, en vue d’un but unique : plaire, plaire à tout prix, se montrer sous un jour civil, poli, galant, aimable. Je me surprends même à commencer à croire quelques-unes de ses flagorneries. Heureusement, il ne me laisse pas longtemps dans cette douce illusion sur ma propre personne. En effet, le voilà qui s’excuse, me dit qu’il ne peut rester plus longtemps, que des affaires urgentes, qu’il ne peut repousser, l’obligent ailleurs. Après s’être incliné profondément, il m’assure encore une dernière fois de ses hommages et de l’estime qu’il a pour moi, et disparaît. 

     Je retrouve mon Tartuffe quelques minutes plus tard dans le salon attenant, en grande conversation avec le duc de La R. Je comprends mieux à cet instant l’empressement qu’a eu Antalceste à me quitter : il est vrai que face au succès de ce moraliste reconnu qu’est le duc de La R., je ne pèse pas lourd. C’est à ce moment-là que me revient en mémoire la célèbre maxime de ce dernier : « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ». À en croire cet éloge paradoxal, Antalceste est donc doté d’une forte valeur morale. Je l’entends dire au duc qu’il admire son élégance et son pouvoir de séduction ; au vu de la goutte dont il est atteint depuis quelques années, je reconsidère avec davantage de perplexité encore les compliments qu’il m’a faits quelques minutes auparavant. Soudain, je ne le vois plus ; je m’inquiète : aurait-il renoncé à paraître ce qu’il n’est pas, serait-il parti s’ensevelir dans un désert, comme le héros du Misanthrope ? Non, qu’on se rassure : il n’est qu’à quelques pas, aux côtés de ses Célimène, Mesdames de La F. et de S. Je l’observe à nouveau : quelle civilité ! Quelle politesse ! Quelle galanterie ! Quelle amabilité ! À l’une il vante la vraisemblance et l’aspect moraliste de son roman, qu’il n’a pas lu ; à l’autre il fait mille éloges sur le style inimitable, à la fois naturel et élégant, de lettres dont il n’a aucune connaissance. Que ne ferait-il pas, d’ailleurs, pour être admis partout, dans tous les cercles mondains ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’y prend pas mal. Avec Madame de La F. et Madame de S. comme protectrices, il aura d’ici peu ses entrées à Versailles.

   Tiens ! Le voici à présent en compagnie de R., le fameux tragédien, l’auteur de Phèdre, désormais historiographe du roi. Que peut-il bien lui dire ? Approchons-nous un peu : « pour ma part, Monseigneur, je ne le cache pas : vous êtes le plus grand, et l’on fait trop de cas, de tous ces écrivains, qui veulent vous singer, et maladroitement, font des vers bien mauvais ». À peine a-t-il débité ses quatre alexandrins, qu’il s’excuse bien humblement de devoir le laisser : le devoir l’appelle, et il ne saurait importuner plus longtemps le plus grand dramaturge que le siècle ait donné.

     En vérité, c’est qu’il a vu la marquise de M., la favorite du roi. Il se dirige vers elle avec empressement ; je m’approche pour écouter un peu la teneur des propos du parfait hypocrite : et ce n’est qu’avec une surprise bien faible que j’entends mon bonhomme vanter la taille de la jeune femme, faire l’éloge de sa robe et lui dire mille compliments bien tournés dont il a le secret. Qu’il est civil, poli, galant, aimable ! Le voilà à présent qui vante la conduite et la rigueur morale de la marquise : elle a raison, selon lui, de n’accorder ses faveurs qu’à notre divin souverain ; néanmoins, à son œil qui pétille, je devine sans peine qu’Antalceste n’aimerait rien plus que de jouer au roi avec elle ; il n’en dit rien, bien entendu, et préfère passer pour la vertu incarnée. C’est alors qu’apparaît Monsieur, frère du roi. Devinez un peu ce que fait alors notre homme ; je vous le donne en mille ; vous avez deviné : il se précipite vers lui et laisse une fois de plus éclater au grand jour son caractère civil, poli, galant, aimable. On ne saurait être plus proche du pouvoir. Encore un effort, monsieur l’imposteur ! Vous parviendrez bientôt à la chambre du roi !

     Antalceste est une coquille vide : il ne pense rien de ce qu’il dit, il ne dit rien de ce qu’il pense ; aussi est-il apprécié de tous et triomphe-t-il dans le monde. Toute la cour l’aime et l’admire, on lui trouve toutes les qualités du monde. On dit partout du bien de lui : ce n’est que justice, vu tout le bien qu’il dit de tous. Il a parfaitement compris ce que j’ai écrit ailleurs : « l’on dit à la cour du bien de quelqu’un pour deux raisons : la première, afin qu’il apprenne que nous disons du bien de lui ; la seconde, afin qu’il en dise de nous ». Devant tant d’art et d’artifice, je ne peux que m’incliner, et me taire.  

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GillesP

25-04-2016

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Le parfait courtisan appartient au recueil quelques textes

 

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