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Le moindre mal - Grande Nouvelle

Grande Nouvelle "Le moindre mal" est une grande nouvelle mise en ligne par "Emmalys".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Ned, Decke, Faren et cie...

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  Ned pensait tout connaître de Tantale : ses rues humides, à peine éclairées par des lanternes sourdes, ses bâtiments en ruines, ses quartiers sordides envahies de mendiants et d'individus peu recommandables, mais il réalisa bien vite qu'il se trompait lourdement. Decke avait réussi à sortir de l'Apocalypse sans éveiller les soupçons. Le transcripteur était resté muet, signe qu'il n'avait croisé personne ou du moins qu'on n'avait pas cherché à l'arrêter. Il avançait vite et sans le mouchard, Ned aurait probablement perdu sa trace. Plusieurs fois, il se retrouva dans un impasse, cherchant désespérément une issue tandis que le petit point continuait tranquillement son chemin sur l'écran, avant de trouver un passage étroit entre deux murs, dissimulé dans la pénombre ou un défaut dans une palissade qu'il était alors possible d'escalader.

   Ned avait beau examiner le plan de Tantale sous tous les angles, il ne savait absolument pas où Decke comptait se rendre. Les accès qu'il prenait semblaient ne mener nulle part. Se savait-il suivi ? C'était peu probable, le mouchard était presque indétectable et toute tentative d'extraction entraînait automatiquement sa destruction. D'autre part, Ned se trouvait beaucoup trop loin de sa position pour qu'il l'ait remarqué. A moins qu'il ne cherche à se cacher de quelqu'un d'autre...

S'il craignait d'être surpris par Faren ou un autre sous-fifre de Séli, alors il y avait de grandes chances pour que cette petite balade dans les bas-fonds de Tantale soit riche en surprises...

Restait à savoir quand elle prendrait fin, car pour le moment, Ned avait plutôt l'impression de tourner en rond.

Je me fais vraiment trop vieux pour ça ! songea-t-il en montant sur une benne à ordures avec toutes les peines du monde pour ensuite enjamber un grillage. Il faillit rester en fâcheuse posture quand le maillage tordu agrippa sa veste mais s'en tira finalement avec un vilain accroc et une fierté blessée.

Bah, de toute façon, j'ai toujours été plus geek qu'agent de terrain, se dit-il pour se remonter le moral.

Ce qui était vrai. De par son héritage génétique, Ned n'ignorait rien des technologies usuellement employées à travers la galaxie et son espèce avait la réputation de pouvoir transformer les matériaux les plus rudimentaires en artefacts évolués. La légende était certes un peu exagérée mais un peu seulement, et comme tous ceux de son espèce, Ned était absolument fasciné par les sciences qui régissaient le monde, une passion dévorante qui l'effrayait parfois au point de songer à y renoncer totalement. Jadis, les siens avaient un peu trop fait confiance aux machines, et leur monde n'y avait pas survécu. C'était triste mais prévisible. Afin qu'une telle catastrophe ne se reproduise pas, certaines connaissances, héritées de la nuit des temps, avaient été effacées de la mémoire collective, ainsi que les tragiques événements qui y avaient conduits. Là encore, c'était un choix discutable mais qui, pour le moment, avait porté ses fruits. Un millénaire s'était écoulé et ils étaient toujours là. Amputés d'un savoir qui avait considérablement limité leur évolution mais toujours là.

  D'un autre côté, toutes les races les plus évoluées connaissaient une phase de déclin au faîte de leur puissance. Le tout était d'y survivre pour commencer un nouveau cycle. Les Acédoniens aussi, avaient perdu leur monde d'origine malgré leur puissance, et ils étaient assez nombreux à en avoir réchappé pour coloniser un nouveau monde si leur premier contact avec les humains ne leur avait pas été fatal.

L'ironie de la situation avait sérieusement ébranlé les grandes pointures du Tanis-Ilianthu. La race la plus ancienne, la plus révérée de la galaxie balayée par une espèce primitive balbutiante, tout juste débarquée de son système d'origine grâce à une technologie qui ne lui appartenait même pas ! Ce qui n'était qu'un regrettable incident avait été gravée dans l'histoire comme la plus terrible infamie de l'univers, un crime impardonnable qui avait définitivement grillé les chances de l'humanité de voir un jour un Triumvir humain siéger au Tanis-Ilianthu. Pire, on leur avait interdit tout échange technologique en dehors du minimum indispensable, implants traducteurs, propulseurs supraluminiques, greffon pulmonaire pour supporter l'atmosphère neutre de l'espace Triumvir et autres inventions que toutes les races partageaient sans restriction.

  Perdu dans ses pensées, Ned ne vit pas tout de suite que le point s'était arrêté sur le transcripteur et qu'il en était dangereusement proche. L'appareil commença alors à enregistrer une conversation :
Tu as de la chance, tes petits copains ne sont pas encore passés...
-   Je les ai devancé mais ils ne vont pas tarder à arriver. Tu as pu examiner les corps ?

-   J'aurai bien voulu réaliser une autopsie à l'ancienne mais les familles l'auraient remarqué et je ne veux pas d'ennuis avec Séli. Je risque déjà bien assez en t'ayant prévenu mais puisque tu es un bon client...

-   Ne joue pas les sentimentales, ça ne te ressemble pas. Tiens, prends ton dû et laisse-moi jeter un œil.

-   Je les avais habillés pour les familles mais on m'a demandé de les dévêtir et de les préparer pour l'enlèvement des corps. J'espère que tu as l'estomac bien accroché, ce n'est vraiment pas beau à voir.

Ned en déduisit que le spectacle devait effectivement être assez affreux quand ce qui ressemblait fort à un légiste continua :

-    Eh, ça va ? Tu es vachement plus blanc que d'habitude. Je t'avertis, tu n'as pas intérêt à souiller mon lieu de travail ou je t'embauches en heures supp' pour nettoyer les dégâts !

-   Ca va, c'est juste que tu as lavé les plaies, on voit beaucoup plus les... enfin, tu vois.

-   Ouais, t'en fait pas, va. Le jour où tu t'habitueras à ça, c'est que tu auras perdu ton âme, comme moi ou comme Faren. Ce jour-là, car c'est la vie même qui perd tout son sens et il n'y a pas de retour possible en arrière. Tiens, bois-ça, ça ira mieux après.  Tu sais quelle est la question qu'on me pose le plus dans ce boulot ? Pourquoi vous continuez à faire ça ? Et le pire, c'est que je n'ai toujours pas trouvé de réponse valable...

-   Tu exagères.

-   Non, mais si ça peut te rassurer de le penser, alors, vas-y. Puisses-tu ne jamais avoir le goût du sang, mon garçon. Cette maladie-là, elle nous enterrera tous.

-    Moi aussi, j'ai un conseil à te donner : arrête la gnôle, ça t'aidera à chasser les idées noires. Celle que tu distilles dans ton labo réveillerait les morts, si tu leur en faisait boire !

-   Dixit le plus grand dépressif de cette station !

-   Dépressif, non. Réaliste, oui. Alors, ces résultats, ça vient ?

-   Tiens. Les scans ne montrent pas grand-chose mais tes tueurs ont tous un point en commun : ceci.

-   Tu sais ce que c'est ?

-   On dirait une sorte de puce. Difficile d'en tirer des hypothèses, surtout avec un matériel aussi rudimentaire mais c'est une piste à suivre. Si tu observes les cicatrices à la base du crâne, pour ceux qui en ont encore un, tu constateras qu'elles sont encore fraîches.

-    Et les victimes ?

-   Aléatoires, pour ce que j'en sais... C'est triste à dire mais je ne t'apprends rien à ce sujet.

Un vrombissement sonore fit sursauter Ned, absorbé par la conversation qu'il suivait de loin sur le transcripteur. Malgré la frustration, il avait préféré rester à distance. Coller son nez à la fenêtre ou se faufiler dans la morgue, car ce ne pouvait qu'en être une, représentait un risque qu'il ne pouvait se permettre de prendre. Ses supérieurs attendaient des informations supplémentaires et s'il n'en fournissait pas, il pouvait être sûr de voir débarquer un commando prêt à finir le travail sans chercher plus loin. Or Ned voulait savoir ce qui se tramait sur Tantale, pas seulement pour satisfaire sa curiosité mais aussi parce qu'il avait la certitude que quelque-chose se préparait, quelque-chose que ceux d'en haut ne voyaient pas venir et qui risquait fortement de leur tomber sur le coin du bec. Non pas que ce spectacle lui déplairait, bien au contraire, mais le problème, c'est que cela aurait des répercussions que même lui était incapable d'imaginer sans frémir. Autrement dit, c'était du sérieux et la prudence s'imposait. Il se jeta derrière une benne sans réfléchir et jeta un coup d'oeil au transcripteur.

-   Je crois que tu vas avoir de la compagnie, je file. Préviens-moi, si tu as du nouveau.

-   Decke ? A quoi ça va te servir, tout ça ?

-   Je ne sais pas. Mais je trouverais.

-   Fais attention.

-   Là-dessus, je ne peux rien promettre.

Le point s'éloigna du bâtiment et Ned s'apprêtait à le suivre quand le vrombissement s'intensifia. Un véhicule blindé déboula devant la morgue et pila à deux pas de lui. Il se tassa contre la benne et retint son souffle, priant pour qu'on ne le remarque pas. Sur l'écran, le point continua son chemin sans ralentir l'allure. Selon toute vraisemblance, Decke retournait à l'Apocalypse. Sans doute craignait-il que son absence finisse pas être remarquée. Ned se fit un peu plus petit en entendant le remue-ménage causé par l'arrivée des sbires de Séli à l'intérieur de la morgue. Puis, mû par une idée subite, il sortit prudemment de sa cachette et contourna le véhicule stationné devant l'entrée principale à croupetons. Ned n'était pas un homme de terrain, il ne se sentait jamais à l'aise en situation de danger, même après des années de pratique. S'il savait se servir d'une arme, son premier réflexe face à un ennemi serait plutôt de se mettre à couvert pour trouver une échappatoire au lieu de l'abattre de sang-froid. D'ailleurs, il n'avait même pas songé à en prendre une, un oubli qu'il risquait de regretter sous peu !

  En revanche, l'infiltration était son domaine et ses poches toujours remplies de gadgets, l'attestaient pour lui. Il n'eut pas à fouiller longtemps pour trouver ce qu'il cherchait : un traceur à l'ancienne, peu fragile qu'il relia au transcripteur via la borne cartographique la plus proche de Tantale. A peine avait-il achevé sa manipulation que la porte de la morgue s'ouvrit. Ned se plaqua contre le véhicule et glissa un œil hors de son abri. Les hommes de Séli venus enlever les corps, occupés à diriger les brancards, lui tournaient le dos. Il n'hésita qu'un instant et rampa à nouveau derrière la benne en retenant son souffle, le cœur battant. A un moment, l'un des hommes fixa avec insistance l'endroit où il se tenait quelques secondes plus tôt, puis il haussa les épaules, ouvrit l'arrière du véhicule et y fit glisser le premier brancard. Ned ne se remit à respirer qu'une fois que le vrombissement du moteur se soit perdu dans le lointain. Les jambes légèrement tremblantes, il se remit debout en s'appuyant lourdement sur la benne. Il lui restait peu de temps avant de devoir envoyer un nouveau rapport à ses supérieurs et si sa petite escapade avait confirmé son intuition, elle ne lui avait pas appris grand-chose de plus. Suivre la piste des cadavres était sa dernière chance de stopper l'opération initiale avant qu'il ne soit trop tard. Restait à espérer que le véhicule ne retournait pas à l'Apocalypse. Le club était trop bien sécurisé pour qu'il puisse espérer y entrer incognito et encore moins en ressortir indemne.

     Ned cala discrètement le transcripteur au creux de sa paume et baissa la tête en passant devant une bande de drogués rassemblés derrière la morgue. Il déambula un moment dans les rues, sans destination, l'esprit obscurci par la fatigue maintenant que l'adrénaline avait cessé de faire son effet. De temps en temps, il ouvrait le poing et observait l'écran. Seuls les agents de Séli pouvaient se déplacer en véhicules motorisés sur Tantale, à moins d'être en mesure de payer la taxe sur le carburant et les nombreux piétons qui envahissaient les rues gênaient la circulation.

Ils ne se rendaient pas à l'Apocalypse. Une fois que Ned en eut la certitude, il suivit la direction du véhicule en calculant l'itinéraire le plus court grâce au transcripteur. Le temps qu'il arrive à destination, les sbires de Séli auraient quitté les lieux. Restait à espérer qu'il n'y aurait pas de gardes. Il se maudit une fois de plus de ne pas avoir pris d'armes, ne serait-ce qu'une bombe de gaz ou un pistolet incapacitant histoire de parer à toutes éventualités. Il palpa pensivement ses poches mais n'y trouva aucun appareil offensif. Il le savait, bien sûr. Il en connaissant le contenu sur le bout des doigts.

Bah, je trouverais bien quelque-chose le moment venu, se dit-il. L'improvisation, c'est mon rayon.

Un cargo. Quelle probalité y avait-il pour que ce soit celui dont Decke avait parlé ? Ned étudia longuement les environs avant de se rapprocher. Le bâtiment était stationné sur une plate-forme extérieure de Tantale, comme tous les vaisseaux qui abordaient la station. Ned savait pourtant que Séli disposait d'une aire d'atterrissage privée à laquelle lui seul avait accès mais peut-être n'était-elle pas assez vaste pour accueillir un vaisseau de cette taille...

Il en fit le tour en rasant les murs mais ne vit aucun garde, rien qui puisse différencier le cargo des autres vaisseaux amarrés dans les baies voisines. Ned eut beau détailler la coque, aucun logo ne permettait d'identifier sa provenance et son architecture ressemblait à la plupart des vaisseaux qui arpentaient la galaxie. Il avança jusqu'à la passerelle, l'air de rien , fit quelques pas pour voir si un système d'alarme se déclenchait puis s'accroupit derrière une rangée de containers et commença à sortir son matériel.

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Auteur

Emmalys

17-04-2012

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Le moindre mal appartient au recueil Marche à l'Ombre

 

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