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Le moindre mal - Grande Nouvelle

Grande Nouvelle "Le moindre mal" est une grande nouvelle mise en ligne par "Emmalys".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Ned, Decke, Faren et cie...

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    Du coin de l’œil, Ned observait Decke en grande discussion avec Faren et son équipe. Assaillies par une horde de véhicules blindés, police et secours confondus, les Halles avaient un faux air de paysage apocalyptique. Le personnel médical rassemblait les corps des victimes dispersés dans les allées et les enveloppaient de housses noires avant de les embarquer dans les ambulances. L'air égaré, les témoins du massacre énonçaient gravement ce qu'ils avaient vu à des grattes-papiers blasés qui hochaient la tête mécaniquement au bon moment. Ils auraient été des androïdes qu'ils n'auraient pas été moins convaincants !

Une fusillade, sur Tantale, faisait malheureusement partie d'une sordide routine propre à certains territoires de l'Hydre, enfermés dans un cercle vicieux dont rien ne pouvait les sauver. La vie dans de telles conditions perdait tout son sens et si ailleurs, elle n'avait pas de prix, ici, elle ne valait pas plus cher qu'un mot de travers, une dose de Quarvis... ou un fusil à pompe. Il suffisait de voir les ambulanciers, casqués, engoncés dans des gilets à protection cinétique, de remarquer le temps de réaction de la police, de lire dans le regard de chacun pour le comprendre.

Un nouveau frisson remonta l'échine de Ned. L'ambiance de Tantale était en train de déteindre sur lui. Il allait devoir se secouer s'il voulait quitter la station sans perdre son intégrité. Ses yeux contemplèrent les housses noires alignées dans les allées sans les voir. Ce rangement si ordonné tranchait bizarrement au milieu des étals renversés, des bris de verre et des impacts de balles qui parsemaient les environs.

Le tireur avait fait plus de victimes qu'il ne l'aurait cru. Il s'en sentit étrangement affecté, sans savoir pourquoi. La mort était pourtant une compagne familière, qui hantait ses pas depuis des années. Cependant, jamais il n'avait assisté à un spectacle aussi macabre, aussi dénué de sens. Peut-être le médecin venu s'enquérir de son état un peu plus tôt n'avait-il pas tort, peut-être était-il en état de choc...

D'un autre côté, il ressortait le même discours compatissant à chaque témoin de la scène mais après tout, ce n'était pas impossible, même pour quelqu'un comme lui. L'adage voulait qu'on s'endurcisse avec le temps... Ned avait plutôt tendance à penser que tôt ou tard, le temps avait raison de toutes les armures, même des plus résistantes.

Il glissa un nouveau coup d’œil en direction de Decke, manifestement en fâcheuse posture. Il avait l'air furieux mais ce n'était rien comparé à la tête que tirait Faren. Plus grand et massif que l'humain, il arborait l'expression d'un fauve prêt à charger. N'importe qui d'autre se serait écarté mais pas Decke, dont les gestes vifs et nerveux tranchaient avec la maîtrise de Faren.

Il avait un don pour chercher les ennuis, celui-là !

Ned se rapprocha discrètement et s'adossa à un véhicule en leur tournant le dos, l'air absorbé par le ballet mortuaire des brancards qui se déroulait devant ses yeux. Il posa une main sur sa tempe et se concentra sur la voix de l'humain et du Sysyfe dont le volume dépassait légèrement celui des bruits environnants.

-   Combien, Faren ? criait Decke. Combien de morts avant que tu ne te décides à y mettre un terme ?

-   Arrête de jouer au héros, tu ne sais même pas de quoi tu parles, répliqua le Sysyfe d'une voix atone.

-   C'est le cinquième incident de ce genre en moins de trois jours et tous se sont déroulés de la même façon. Même toi, tu as dû t'en rendre compte ! Et bizarrement, tu arrives toujours après la bataille.

-   Au cas où tu ne l'aurais pas encore compris, ce n'est pas notre rôle de faire la police.

-   Dans ce cas, pourquoi es-tu là ?

-   Si quelqu'un avait des comptes à rendre, ce serait plutôt toi. Pourquoi n'es-tu pas à ton poste ?

-   J'ai quartier-libre, comme le reste de l'escouade, tu as oublié ?

-  Il vient de prendre fin. Retourne à la caserne et rends-toi présentable. Séli voudra savoir ce que tu as vu...

-   Je croyais qu'on ne devait pas faire la police ? railla Decke.

-  Il faut savoir s'il s'agit d'une tentative d'attentat.

-   Tu as beaucoup de défauts, Faren mais tu es un piètre menteur. Tu sais ce qui se passe, Séli le sait aussi et je parierais que ça a un lien avec le cargo qui vient d'arriver.

   Il y eut un bruit sourd, suivi d'un grognement. Ned pivota légèrement pour confirmer ce que son ouïe avait perçu : Faren avait poussé Decke un peu à l'écart et le menaçait de toute sa hauteur, une froide résolution peinte sur sa face de lézard mal embouché.

-   Tu connais la première loi de Tantale, humain ? Ce que tu ignores ne peux te nuire. Continue dans cette voie et je ne donne pas cher de ta peau.

-   Contrairement à toi, Faren, j'accorde autant d'importance à la vie des autres qu'à la mienne.

   Le Sysyfe éclata d'un rire aussi grinçant qu'une porte rouillée et flanqua une claque si violente sur l'épaule blessée de Decke que celui-ci manqua tomber à la renverse.

-   Tu as tort, humain. Eux, n'hésiteraient pas à te tuer s'ils en avaient l'occasion et personne ne viendrait pleurer sur ton cadavre, encore moins sur un garde de l'Hydre. Je pensais que tu l'avais compris, depuis le temps. Il faut croire que tu es encore plus stupide que je ne le croyais.

  Decke ouvrit la bouche pour répliquer puis se ravisa devant le regard d'avertissement de Faren.

Bon, il n'est pas complètement dénué de jugeote, c'est déjà ça... pensa Ned en les observant s'éloigner.

Soudain, l'humain se retourna et leurs yeux se croisèrent. Malgré la distance, il n'eut aucun mal à lire le mot que ses lèvres articulèrent silencieusement avant que Decke ne s'engouffre dans le véhicule le plus proche à la suite de Faren. Comme lors de leur première rencontre, Ned se sentit mal-à-l'aise mais cette fois, il savait pourquoi. Il serra plus fort dans sa paume le transcripteur calibré sur la fréquence du mouchard posé sur Decke lorsque celui-ci lui avait tendu la main, au point de faire grincer le fragile cadre de métal. La lassitude l'envahit d'un coup, sans qu'il ait l'énergie de la repousser. Un peu de repos au calme l'aiderait sûrement à se recentrer sur sa mission et à y voir plus clair sur ce qu'il devait faire.

   Tantale n'offrait qu'un confort bien médiocre en terme de logement et si Ned n'avait pas besoin de beaucoup de place, il tenait tout de même à bénéficier d'un espace fermé par une porte dotée de verrous solides dans un quartier où il ne risquait pas de se faire égorger dès qu'il mettrait le nez dehors. Le studio aménagé qu'il avait dégoté à deux pas du club de Séli n'était pas vraiment luxueux au vu de son prix astronomique mais il avait le mérite d'être propre et bien sécurisé, même si on en faisait le tour en deux enjambées.

A peine arrivé, il ouvrit la mallette posée sur une table basse et qui renfermait en réalité une interface ultra-perfectionnée de surveillance portative à laquelle il raccorda le transcripteur. Des écrans holographiques se déployèrent en arc de cercle autour de l'unité centrale. Le premier afficha une carte de Tantale et de ses niveaux successifs tandis que le second recensait les dernières activités de la station. Ned entra un nouveau paramètre et lança une recherche sur les faits divers récents similaires au massacre des Halles.

Le troisième écran se focalisait sur Decke. Il indiquait sa position en temps réel et retranscrivait textuellement chacune de ses paroles. Ce système était beaucoup plus fiable qu'un enregistrement audio et évitait toute erreur d'interprétation. De plus, la position du mouchard ne permettait pas d'éviter les bruits parasites, loin de là. Ned l'avait posé directement sur la peau pour que l'assimilation fonctionne. Pour cela, un simple contact direct avait suffi. Composé d'un nanite particulièrement évolué, il s'était glissé sous la paroi cutanée, avait ensuite dérivé dans le système sanguin et s'était accroché au muscle cardiaque dont le champ électrique lui procurait l'énergie nécessaire pour retransmettre toutes les données collectées en temps réel.

  Ned programma l'interface pour qu'elle lui signale le moindre mouvement de Decke et s'effondra sur le lit. Les minutes s'écoulèrent sans qu'il parvienne à trouver le sommeil. L'atmosphère artificielle de Tantale convenait aussi mal à ses poumons qu'à son moral. Pour tout être né sur une planète ensoleillée, vivre dans la lumière sourde des néons de jour comme de nuit avait quelque-chose d'horriblement déprimant, en plus du reste. Rien que d'y penser, le nœud qui lui comprimait les entrailles se resserra un peu plus. Une fois cette mission terminée, Ned se promit une petite excursion en solitaire sur une planète bombardée de soleil pour une durée indéterminée. Peut-être même qu'il y poserait ses valises une bonne fois pour toutes afin de profiter un peu de la liberté relative qu'on lui accordait et qui lui avait semblé si dérisoire jusque-là.

Revenir sur Tantale et revoir Decke lui avait fait comprendre un point essentiel : s'il ne menait pas l'existence dont il rêvait, au moins avait-il le droit de vivre sans avoir à prouver qu'il le méritait.

Un signal strident le réveilla en sursaut. Ned se redressa d'un bond. Il ne se souvenait pas avoir fermé les yeux. Un coup d’œil au réveil lui apprit que moins de deux heures s'étaient écoulées depuis qu'il avait programmé l'interface. Decke ne perdait pas de temps ! Pourtant, il lui semblait que les humains avaient besoin d'un temps de repos largement supérieur à celle de son espèce. Celui-là devait être une exception...

-   Je crois que je commence à comprendre pourquoi les autres te détestent... maugréa Ned à l'adresse de l'écran sur lequel un petit point se déplaçait lentement à l'intérieur de L'Apocalypse.

   D'après ses constantes, retransmises par le mouchard, Decke était dans un état de nervosité avancé. Ce pouvait être un signe d'épuisement comme de tout autre chose. Le point stagna dans la caserne située sous le club et Ned remarqua alors une communication entrante sur le bord de l'écran opposé. Le code de reconnaissance indiquait qu'il s'agissait d'un message de ses employeurs. Ses doigts voletèrent au-dessus du clavier holo-tactile pour taper la clé d'activation. Le logiciel décrypta instantanément le message lapidaire qui lui était adressé. Ned soupira dès la première ligne.

  Ce devait être rapide... Où en êtes-vous ? La cible présente-t-elle une quelconque forme de résistance ?

Il prit une minute de réflexion pour envoyer la réponse.

L'affaire est plus compliquée que prévu. Des éléments nouveaux semblent montrer que la cible a des alliés extérieurs. Pour l'instant, son élimination est suspendue dans l'attente d'informations complémentaires. Rapport dans vingt-quatre heures.

La réplique ne se fit pas attendre.

Vous n'êtes pas habilité à prendre une telle décision. L'objectif de votre mission n'a pas changé. Si vous n'êtes pas capable de la mener à bien, quelqu'un d'autre s'en chargera.

La menace qui planait dans ces dernière lignes n'échappa pas à Ned qui jura tout bas. Quelle bande de bouffons ! Ils étaient bien capables d'envoyer un autre agent le fliquer, histoire de s'assurer de sa loyauté ! Il hésita un long moment à enclencher le micro pour leur dire sa façon de penser de vive voix. Finalement, il eut un geste tout aussi peu diplomate et coupa la communication.

  D'une façon ou d'une autre, Ned savait qu'il n'échapperait pas au débriefing musclé. Dès lors, il n'avait pas de temps à perdre en justifications vaines.

Un autre signal l'alerta. Decke se déplaçait à nouveau et se dirigeait vers la sortie du club à une heure où il n'était pas en service. Ned savait que Séli gardait ses agents sous étroite surveillance et que seuls ceux en qui il avait le plus confiance étaient libres de circuler comme ils l'entendaient. Aux dernières nouvelles, Decke n'en faisait pas partie. Il mijotait quelque-chose et Ned aurait parié que cela avait un rapport avec les événements qui avaient eu lieu un peu plus tôt dans les Halles.

Parfaitement réveillé, cette fois, il attrapa sa veste, débrancha le transcripteur et se rua sur la porte.


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Auteur

Emmalys

04-04-2012

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Le moindre mal appartient au recueil Marche à l'Ombre

 

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