La vieillesse est un meurtre - Journal intime

La vieillesse est un meurtre

Ma mère. J’ai déjeuné aujourd’hui avec elle dans sa maison de retraite. Nous avons déjeuné dans le restaurant de l’établissement, un cadre plutôt sympathique. Je l’ai faite manger. Elle glissait sur le côté dans son fauteuil roulant, son coude frottant sur l’une des roues de l’engin.

Curieusement elle allait mieux qu’il y a 3 mois ou 1 an, où elle ne reconnaissait personne et ne tenait que des propos incohérents. Bonjour mon fils, m’a t’elle dit, et nous avons pu un peu parler, bien sûr de façon incohérente (elle avait refusé le poste de premier ministre qu'on lui avait offert sur un plateau. Le kiné de 38 ans était amoureux d'elle et la poursuivait de  ses assiduités, elle le détestait.) Surtout elle semblait apaisée. A un moment elle a même souri. Comme avant, elle m’a dit que je devrais me peigner et me faire couper les cheveux. Elle m’a dit ça comme elle me l’a dit toute sa vie. Je lui ai caressé doucement le visage, les mains et puis les bras.

Ça s’est passé très vite. Elle a 80 ans. Il y a 2 ans nous ses enfants et petits enfants avons passé un été avec elle dans sa grande maison de Noirmoutier. Elle était autonome, quoique flippée par Parkinson qui s’était depuis 2 ans installé, encore à un stade léger. Puis, en septembre, de retour dans son appartement de Paris, elle est tombée une nuit. Elle a déclenché son collier d’alarme dont mes sœurs avaient quand même pris la précaution de l’équiper. Elle s’était cassée la jambe et a été hospitalisée. Et là tout s’est dégradé à la vitesse d’un cheval au galop. Elle s’est cassé le col du fémur, l’arcade sourcilière, le nez, les dents. Alzheimer s’est invité. Elle n’est sortie de l’hôpital que pour la maison de retraite, bien sûr médicalisée, que nous lui avons trouvée. Et elle a perdu la tête. Aujourd'hui, harnachée dans son fauteuil roulant, elle pèse 35 kilos.

Ma mère. Il faut lui parler. Avec une voix très douce. Il faut lui murmurer des chansons à l'oreille. Il faut l'embrasser et lui chuchoter Je vous aime. Il faut lui caresser très doucement le visage, les mains, les bras.

Ma mère. Tant qu'il y a de la vie il y a du désespoir, devrait-on dire parfois. Parfois, souvent, la vieillesse est un meurtre.