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La Maison du Berger (Lettre à Eva) - Domaine Public

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La Maison du Berger (Lettre à Eva)

Si ton coeur gémissant du poids de notre vie

Se traîne et se débat comme un aigle blessé,

Portant comme le mien, sur son aile asservie

Tout un monde fatal, écrasant et glacé ;

S'il ne bat qu'en saignant par sa plair immortelle,

S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle,

Eclairer pour lui seul l'horizon effacé ;

Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme,

Lasse de son boulet et de son pain amer,

Sur sa galère en deuil laisse romber la rame,

Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,

Et cherchant dans les flots une route inconnue,

Y voit en frissonnant, sur son épaule nue,

La lettre sociale écrite avec le fer ;

Si ton corps frémissant des passions secrètes,

S'indigne des regards, timide et palpitant ;

S'il cherche à sa beauté de profondes retraites

Pour la mieux dérober au profane insultant ;

Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges ;

Si ton beau front rougit de passer dans les songes

D'un impur inconnu qui te voit et t'entend,

Pars courageusement, laisse toutes les villes ;

Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin,

Du haut de nos pensers vois les cités serviles

Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.

Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,

Libres comme la mer autour des sombres îles.

Marche à travers les champs, une fleur à la main.

La nature t'attend dans un silence austère ;

L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,

Et le soupir d'adieu du soleil à la terre

Balance les beaux lys comme des encensoirs.

La forêt à voilé ses colonnes profondes.

La montagne se cache, et sur les pâles ondes

Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.

Le crépuscule ami s'endort dans la vallée,

Sur l'herbe d'émeraude et l'or du gazon,

Sous les timides joncs de la source isolée

Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon,

Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,

Jette son manteau gris sur le bord des rivages,

Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison.

Il est sur la montagne une épaisse bruyère

Où les pas du chasseur ont peine à se plonger,

Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière

Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger.

Viens y cacher l'amour et ta divine faute ;

Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute,

J'y roulerai pour toi la Maison du Berger

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Proposé par

Yzalba

Auteur

Blog

Alfred de Vigny

23-08-2014

Couverture

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