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L'Exercice de l'État de Pierre S... - Critique de Film, Théatre, série...

Critique de Film,  Théatre, série... "L'Exercice de l'État de Pierre Schoeller" est une critique de film, Théatre, série mise en ligne par "Rosemonde Vagh"..

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L'Exercice de l'État

de Pierre Schoeller

 

   

Critique sur l'esthétique du film 

L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller

Par Rosemonde Vagh 

                                                                                                                      

                                    

Après avoir vu L’exercice de l’Etat, l’expression « vie politique » devient un oxymore. Pas une douceur, pas une respiration, pas une once d’oxygène dans le nouveau film de Pierre Schoeller. Le réalisateur remporte son pari : nous livrer, impuissants, aux coulisses des paroles officielles, des réunions aux portes closes, des soirées riantes et autres costumes lisses. Rien de moins donc, qu’un brutal réveil à l’allure d’un lever de rideau. Toute vie qui tente de croître, la moindre marque de sensibilité se trouve entravée, happée, massacrée sans scrupules, au nom d’intérêts qui passent la fidélité, la loyauté, l’honneur au rouleau compresseur. La transparence ? Quelle transparence ? Celle que nos politiciens nous promettent avant chaque élection ne tient plus. Seul le cinéma nous l’apporte, en nous la refusant car l’opacité est celle des personnages, des affaires, des réformes. L’illusion est brisée. Pourtant L’exercice de l’Etat n’est pas un énième portrait au vitriol du monde politique, de notre monde de là-haut, avec son « Père » et ses disciples.

Aucun sarcasme simplet, aucune critique évidente et remâchée. Tout dans ce film est religieux. C’est d’abord ce nom de Saint Jean, ministre des transports que nous suivons d’accidents en réformes, jusqu’au lit et à l’église, dans ses beuveries, plus ou moins habillé, du costume aux pantoufles. Quand le ministre de la Santé, lui qui tient à tout prix à préserver le service public, apprend que les gares sont sur le point d’être privatisées, c’est un coup de fil violent qui se termine par un « le costard, regarde le bien », il va bientôt te tomber des épaules. Plus qu’un costume, c’est la tunique du martyr, cette tunique maculée du sang de la cravate rouge criante de vérité, jusqu’au sang véritable, qui n’en finit pas de se faire malmener. Religieux et violents, sans scrupules, les rapports avec le président, nommé

« Le Père » et que l’on ne voit qu’en deux occasions, toujours entouré, et dont la parole est d’évangile. Oui, cet exercice, cette fonction, est un sacerdoce, peut être le plus difficile de tous. Le réalisateur ne prend jamais parti que pour une esthétique des contrastes nuancés et on l’en remercie. Du nom des gares –  « Saint Lazare » pour n’en citer qu’un – à la séquence macabre qui ouvre et clôt (presque) le film dont Lynch ne désavouerait pas l’esthétique onirico-glaçante, tout a des allures de rêve éveillé, de nuits écourtées, de prédestination et de sacrifice.

Religieux certes mais royal, du simulacre de trône des toilettes au terme de « règne » sur toutes les bouches – la plupart du temps pour en sonner le glas. Le personnage de Gille révèle de manière grandiose cette soumission à la « voie royale » que tous nos personnages ont choisis. Dans son appartement, il écoute le discours de Malraux en hommage à Jean Moulin. Les voix des deux serviteurs de l’Etat se mêlent et se superposent : l’une enregistrée dans les années 1940, grésille, émue, l’autre, celle de Gilles, connait le discours par cœur et le murmure sans que jamais le visage de Malraux ne soit visible. Il nous hante pourtant, comme la question que pose à Gilles son ami .. « Que vaut le pouvoir sans la puissance ? ». Voie royale, donc, pour laquelle il est beau de s’offir, mais bien ingrate puisque le dévouement du directeur de cabinet à la cause de l’Etat – cet Etat lui aussi, comme Malraux, sans visage –  se soldera par une décision irrévocable du Président : « il faut du sang jeune », et Gilles retournera dans l’ombre tandis que Bertrand Saint Jean occupera désormais les fonctions de ministre de l’Emploi.

Il  faut  comprendre  que  L’exercice  de  l’Etat  est  le  film  des  contrastes. Aucune  médiété possible, aucune accalmie. Le spectateur se trouve projeté du huis-clos étouffant des conversations dans les voitures, les bureaux, où les apparences priment ainsi que les tons chauds, oranges, rouges, jaunes, à la rue en colère, images blanchies des reportages télévisés, violences physique lorsque Bertrand Saint Jean se trouve pris dans une manifestation CGT contre la suppression d’emploi. La

colère, partout, gronde, feutrée mais explosive dans les jeux politiques d’alliances entre sénateurs, conseillers et ministres, fruste dans la population, qui fait grève et proteste. L’une de ces scènes de vindicte populaire, à laquelle assistent en différé, par la télévision, Bertrand, Gille et le « Père », n’est pas sans rappeler la scène célèbre de l’Education Sentimentale de Flaubert, lorsque le peuple pénètre par la force dans le palais des Tuileries en 1848. Des visages, anonymes, des voix, sans visages, et des images dont la surexposition contraste évidemment avec les ombres dans lesquelles est filmée toute la fourmilière de Matignon, de l’Elysée, de Bercy. Les bureaux sont mis à sac, les chaises fracassées contre les murs, les insultes fusent, le peuple de France gronde.

Partout des images de lutte : pour sa place, pour un salaire décent, pour un amour qui lui- même suinte la brutalité – la seule scène d’amour du film est tournée sans paroles, dans le noir, et ne connait d’autres préliminaires qu’une chemise arrachée, signe, s’il en est, du désir comme une main invisible  qui  consume  tout.  La  farce  politique  est  mise  à  nu :  c’est  la  libido,  une  immense  et incontrôlable libido qui meut tout un chacun. L’entretien d’embauche du chômeur Martin Kuypers lui- même passe entre deux dossiers et l’on n’en retient qu’un mot, prononcé par Gilles : « désir ». Mais les désirs des personnages sont bien différents les uns des autres, et la caméra parvient à la fois à les mêler dans une orgie de pouvoir et à donner à chacun son envergure propre. Il y a d’abord le désir policé de Pauline, la chargée de com’, policé c'est-à-dire lisse, comme la tablette qu’elle manipule pour montrer à Saint Jean les unes du Figaro, du Monde, des Echos, et lui offrir sur un plateau l’image construite pour lui sur-mesure. Désir lisse et tactile, tout aussi tactile que cette tablette, lorsqu’on la voit enfiler ses collants sans vouloir dire avec qui elle a un rendez-vous. Mais toutes les femmes du film n’ont pas un désir si discret : Séverine, l’épouse bourgeoise qui soutient son mari dans l’ombre, n’existe, elle, que par son désir, libidinal, silencieux, presque aux antipodes de la tendresse la plus élémentaire. C’est le désir muet et fruste qui dit la vérité de tous nos personnages, peu importe les costumes, apparat bien inutiles. Pauline représente explicitement la parole jugulée, manipulée, le dire mis au service des intérêts politiques du moment. Pour autant Séverine ne représente la discrétion qu’en apparence : elle sait utiliser les «prérogatives » du pouvoir, comme dirait Gilles, autre nom des privilèges, en passant un simple coup de fil. Si Pauline n’a de cesse que de reprendre Bertrand, de le corriger, et, comme un souffleur au théâtre, de jouer pour lui son rôle dans l’ombre mais dans une optique médiatique, Séverine, elle, dans une optique personnelle.

Mais ce film n’est à aucun égard «féminin », il transpire au contraire la virilité, celle que s’impose Bertrand lorsqu’il s’adresse avec fierté aux journalistes lors de l’accident du car, et qui se solde par une nausée irrépressible, celle des « couilles » qu’il faut avoir pour être ministre et que chacun s’accuse de ne pas avoir. On ne relèvera pas ici la kyrielle de métaphores sexuelles, omniprésentes dans les conversations. Le premier contact du film avec la réalité ne se fait-il pas par le plan de Bertrand Saint Jean en train de bander dans son lit après son rêve étrange ? Cette libido, sur laquelle jouent les personnages (pour se motiver, se dévaloriser, s’insulter les uns les autres) donne au film son atmosphère à la fois grave et animale.

On peut se demander si cette sensation d’animalité brute n’est pas tributaire du fait que Pierre Schoeller réussit à nous montrer un Bertrand Saint Jean prisonnier de ses instincts, et qui finit par ne plus être qu’un pantin, entre les mains des conseillers qui façonnent son image, et de l’image qu’il voudrait donner de lui-même. Au début du film, lorsque réveillé à deux heures du matin il doit aller en urgence auprès des victimes de l’accident du car dans les Ardennes, c’est avec un téléphone sur chaque oreille et la voix de Pauline que les messages se transmettent. Lui n’est qu’un intermédiaire entre ce que la chargée de com’ et le secrétaire de cabinet lui disent de dire et de faire. Ce sont eux qui s’occupent de son image. Deux générations de politiciens cohabitent : la vieille génération, à l’aise dans les entretiens en huis-clos, pour être sur que secrets et questionnements existentiels soient bien gardés, et la nouvelle, celle d’internet, des flashs infos de dernière minute. En somme, deux temporalités s’opposent et cohabitent tant bien que mal, l’hyper-rapide et le temps long. L’hyper rapide, c’est celui de la communication en temps réel, de la coordination des moyens de transports seconde après seconde (sorte de méta-poétique puisque Bertrand occupe ce ministère), des communiqués écrits dans l’urgence. Le temps long, c’est celui du film, celui du passage du ministère des transports au ministère de l’emploi, les luttes interne de pouvoirs, comme une partie d’échec dont on ne saurait retracer tous les mouvements pour en écrire l’histoire exhaustive. Ces deux temps sont bien visibles dans l'opposition des lieux, entre le bureau officiel et la voiture de fonction, dans laquelle est tournée au moins 1/3 du film (prises de vues d’extérieur et d’intérieur, comme pour montrer que l’on franchit ici la barrière interdite, celle que les journalistes ne franchissent pas).

Comme Pauline, on pourrait trouver que l’image du ministre est floue, mouvante, car trop profonde et trop complexe : « un ovni politique ». Mais nous pouvons poser un second diagnostic : plus que « flou », son image est diffractée, morcelée, car ce que veut Bertrand Saint Jean, c’est avant tout endosser le rôle de ministre du mieux possible, et pour cela il doit apprendre à plaire sans que ceux à qui il veut plaire soit toujours du même bord. Ce sont des effets cinématographiques comme les miroirs, les écrans de télévision, les photographies qui rendent cette diffraction palpable. Pour le spectateur, Bertrand Saint Jean demeure un personnage médiatique insaisissable parce que par définition les médias, dans la multiplicité des supports qui est leur marque de fabrique, ne peuvent renvoyer une image synthétique et cohérente d’une personnalité politique. Lui-même, voulant les prendre d’avance, s’évertue à n’être jamais là où on l’attend.

L’exercice consiste bien avant tout en un jeu de parole – « C’est la parole du gouvernement » affirme Saint Jean à Marc-Oliver Fogiel sur Europe 1 – c’est à qui sera le rhéteur le plus capable de dissimuler les trahisons perpétuelles qu’imposent un poste politique de l’envergure d’un ministère. Tout au long du film la parole médiatique, langue de bois du prêt-à-porter politique, (qui n’est pas sans rappeler le prêt à porter de la fonction politique, puisque fonction est ce qui n’a pas de visage mais occupe une place dans un système qui le dépasse et dont il n’est qu’un élément fonctionnel sans identité) s’oppose à la parole personnelle, dans un combat à mort. Seul, la cérémonie religieuse pour l’enterrement du chômeur aurait permis que soit réconciliée parole personnelle et parole politique mais le discours que Saint Jean devait prononcer, et qui devait les réunir, ne sera entendu que par lui seul, puisque la femme du chômeur demande à ce qu’il ne s’exprime pas, pour préserver l’intimité de sa douleur. Dans un plan très rapproché, la voix de Bertrand, en off, prend le relais de la voix du prêtre, pour réciter, d’abord dans sa tête puis tout bas, les quelques phrases qui auraient sacré l’union de ces deux paroles. Parole policée des discours politiques, parole nerveuse et irrationnelle de Josépha, l’épouse infirmière du chômeur recruté par le ministère, lorsqu’entre deux verres d’alcool fort, dans la caravane qui lui tient lieu de foyer à côté de sa maison en construction, lance sans scrupules au ministre, « vous brassez du vent, vous n’avez rien dans les mains, rien à part votre petite ambition, alors vous occupez de la place, la télé, la radio (…) »

De  ce  film  il  faut  retenir  enfin  l’extrême  hétérogénéité  des  sons  mis  en  valeur  par  le réalisateur. Si la parole est primordiale, elle s’oppose à un autre type de son qui n’a pas moins de valeur, c’est à dire les nombreux bruits, roues qui crissent, hélicoptère qui décolle, rumeurs et cris des protestataires, rires gras, qui peut-être plus que les promesses médiatiques révèlent l’identité chaotique et diffractée à laquelle se trouve enchaîné qui accepte l’exercice dangereux que lui impose l’Etat.

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Rosemonde Vagh

25-05-2017

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