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Harcèlement pixels - Texte

Texte "Harcèlement pixels" est un texte mis en ligne par "Ancolies"..

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Harcèlement pixels

(état des lieux)

 

 

 

En ce temps-là, les animateurs télé faisaient l'objet de mesures de protection rapprochée permanentes. Ce qui avait débuté à la façon d'un simple quoique choquant fait divers - un animateur de second ordre lynché sur un marché populaire - avait viré à la vitesse de l'éclair au phénomène de société. Bien que désormais hors d'usage, l'animateur refroidi avait fait des petits. Comme il s'agissait de "quelqu'un de la maison", les chaînes "touchées en leur propre chair" s'étaient empressées de sur et surexposer l'événement. Et déclencher du même coup un irrépressible mouvement mimétique. Maintenant les animateurs / animatrices tombaient comme des mouches, et nulle émission ne se trouvait à l'abri d'un coup dur même en plein "prime". Bien que ne comprenant goutte à ce qui leur arrivait, les chaînes avaient réagi en grandes professionnelles. D'une part en majorant sans attendre et dans les grandes largeurs leurs tarifs publicitaires, d'autre part en mobilisant dans les meilleurs délais le haut du panier en matière d'agences de sécurité. Malgré cela, il ne se passait de semaine ne livrant son lot de nouvelles victimes.

 

Le fait le plus frappant est que les agresseurs étaient des Citoyens Ordinaires. Et aussi qu'ils préféraient mourir plutôt que de se rendre. Les animateurs lynchés ou kidnappés y passant de toute façon, les unités d'intervention mobile laissaient leurs gants de velours sur les banquettes en skaï de leurs fourgons métallisés et n'y allaient pas avec le dos de la cuillère. Parfois un Citoyen Ordinaire hagard émergeait miraculeusement des décombres fumantes. Hélas les enquêteurs n'en tiraient jamais grand indice susceptible de leur expliquer le pourquoi du comment tant de peine. Bien qu'adroitement convaincues de se montrer coopératives, les parties rescapées du rescapé parvenaient dans le meilleur des cas à balbutier des Plein le cul !... Pue des Prix !... Pour des cons !..., à hoqueter des Plus rien à foutre ! ou encore des Péter vos putains de plombs ! Bref des propos parfaitement incompréhensibles et incohérents dont les plus fins analystes ne pouvaient tirer la moindre interprétation, la moindre conclusion. Animateurs, producteurs, présidents, liftiers, script-girls, stagiaires, téléspectateurs, chacun se terrait dans une excitante expectative.

 

Parfois, dans un sursaut d’espoir et d’inspiration, un gars ou une fille de la rue se saisissait d’une guitare par le manche et balançait une sorte d'hymne humaniste genre Dope'n'Dope'n'Rock'n'Roll. Nan, maintenant y' avait hélas quasi plus de sexe dans l'affaire. En ce temps-là la confédération u.s. répondait au bon vieux Liberté, Egalité, Fraternité européen par la trilogie Armes, Dope and Cash,    ceci afin que tout soit tout à fait clair. Le gars / la fille faisait parfois un tube, mais même si c'était le cas il / elle faisait un flop. C'est que depuis longtemps, plus personne n'écoutait les paroles. Plus personne ne pouvait même soupçonner qu'il y avait eu un monde avec des paroles. En ce temps-là, l'histoire s'écrivait en images pixellisées et en sons numérisés, sans paroles ni réponses, et seuls les vrais chiens de guerre et de marketing écoutaient encore ce que soufflait le vent, le vent qui maintenant s'en foutait, des gens.

 

Bien entendu, des Groupes Terroristes s'étaient engouffrés vite fait dans la brèche ouverte par les agressions croissantes perpétrées par les Citoyens Ordinaires. Mais en réalité ces Groupes Terroristes c'était de la petite bière, du déjà vu,  des négociations et des tractations déjà entendues, des assauts déjà vécus, car l'audimat avait plutôt percuté sur les troisièmes larrons de l'affaire.

 

Ceux-là réunissaient la fine fleur des tarés graves et des pervers. Eux-aussi avaient rapidos exigé leur part de gâteau. Rarement en panne de panne d'inspiration, les médias les avaient finement baptisés Kathod's Killers. Ouais, Kathod's Killers ça sonnait bien et c'était pas de la bibine. La preuve : en à peine quelques mois, ces gus là avaient commis la prouesse de remettre totalement à plat les fondements même de la psychiatrie moderne. Car, très certainement excités par les enjeux, ces tristes personnages pourtant fondamentalement individualistes avaient foutu aux orties toute libido personnelle pour organiser redoutablement efficacement la mise en commun des immenses ressources de leurs psychoses respectives. Les résultats rivalisaient d'audace et d'imagination et c'était proprement terrifiant.

 

Cependant, piqués au vif, les Citoyens Ordinaires marquaient les Kathod's Killers à la culotte et ne s'en laissaient point conter. Mieux, c'est eux qui réalisaient  le meilleur score dans la catégorie Poupées de Pixels Etendues pour le Compte. Et pourtant, pour d'évidentes bandantes raisons virtuelles, celles-ci bénéficiaient du niveau Protect 10+, soit le degré le plus élevé de dispositions préventives en jargon de sécurité. Certes pénalisés par leur cruel manque d'expérience relativement aux Kathod's Killers, mais cependant appuyés sur une motivation exacerbée, les Citoyens Ordinaires parvenaient à dénouer les mailles les plus serrées des couvertures de protection les plus sophistiquées avant de s'en donner à cœur joie. Leurs modus operandi reprenaient les concepts, thèmes, trucs, jokers... des émissions les plus divertissantes. Les malheureuses animatrices étaient ficelées à une roue de tombola, propulsées en pièces détachées au télé-crachat, bouffées crues par les phacochères du Koh-Lanta... Oui, les Citoyens Ordinaires Et Totalement Exaspérés faisaient ça vachement bien : Pour sauver Cathy Tapez 1, pour Laurie Tapez 2... Bien sûr, service public ou réseau câblé, aucune de ces malheureuses ne s'en tirait jamais. Le public s'indignait, tapait des pieds, cassait tout dans les studios, bouffait les tréteaux des plateaux, hurlait au déshonneur, à la trahison, maudissait ses dieux bien trop vieux, s'étouffait de rage et d'impuissance.

 

En ce temps là, on avait des baskets blanches et pimpantes à soixante ans et des cheveux morts et blancs à trente.

 

Et pourtant et fort curieusement, chacun s'y retrouvait.

 

Les agences de sécurité fleurissaient, florissaient, se frottaient les mains, marchaient à la coke, investissaient la partie visible du flot d'argent rentrant dans des programmes de formation bourrés de poudre aux yeux pour faire face à l'explosion de la demande. Faut dire qu'elles revenaient de loin les pauvres. D'abord, leurs services n'avaient plus intéressé leur ancestral fond de commerce, les représentants politiques qui n'intéressaient désormais plus personne. Bon, des acteurs, des sportifs, des rock stars avaient bien assuré quelques conséquents honoraires, mais hélas de façon irrégulière puisque nombre d'entre eux étaient incapables d'être protégés contre eux-mêmes. Bref, un moment, c'était la totale insécurité dans les métiers de la sécurité et c'était pas marrant. Ouf, c’était du passé maintenant..

 

Quant aux télés, ça c'était du sept sur sept. Un feu de dieu de sept sur sept. Passées du bon vieux et familial rectangle blanc au carton rouge sanglant, elles ne se laissaient pas un instant démonter. Elles diffusaient, rediffusaient, touchaient sur ce qu'elles touchaient, payaient pas un rond leurs petites mains et déposaient de bons et beaux rubis sur les ongles sales de leurs gros bras à cols blancs ou noirs. Ouais, les télés, ça c'était du bizness, du bizness puissance sept. En plus que, réclamant aux agences de sécurité du boulot de première, elles rechignaient pas une seconde à leur adjoindre les services consultants d'agents officiels ou retraités du renseignement. Consciencieux, les gars faisaient leur métier, se renseignaient par grappe au bistro du coin et ça faisait grimper la douloureuse.

 

Ça, les chaînes, z'avaient pas loupé le filon, pensez ! C'était du caméra / micro vingt quatre heures sur vingt quatre aux culs des enquêteurs, des animateurs et des commentateurs chargés des programmes. Des programmes inespérés, pensez ! Entre séquences live, montage des moments les plus forts de chaque journée, analyses et statistiques, historique des agressions les plus spectaculaires ainsi que rediffusions diverses en boucle, le sujet tapait sans problème ses douze / quinze heures d'antenne quotidienne. La télé était devenue le sujet de la télé, la télé était devenue la star de la télé. Ça, elle avait bien réussi son coup. En plus qu'il était beaucoup plus facile de remplacer une animatrice que de l'effacer. Et puis, la télé allait pas se laisser emmerder, ni par les gens ni par la télé. C'était pas sa vocation, c'était pas marqué dans sa charte.  

 

De leur côté - et en secret croyaient-ils -, les animateurs serraient fort les fesses et se frottaient encore plus fort l'ego. Souriaient de toutes leurs dents payées par les annonceurs. Prouvaient au monde que Courage et Cupidité sont l'avenir  de l'homme. Certains emmerdeurs prétendaient que les annonceurs étaient payés par les consommateurs-spectateurs, et que ces derniers n'avaient donc à s'en prendre qu'à eux-mêmes. Les consommateurs-spectateurs montaient alors le son de leur téléviseur afin de ne plus entendre les emmerdeurs, et on en restait là.

 

En ce temps-là, les pains et les jeux étaient industriels. Tous les adultes ou presque avaient volé l'orange et étaient soit idiots, soit marchands, soit les deux. Les télécommandes universelles avaient remplacé les chapelets qui remplaçaient déjà la pensée. Du sociologue averti à l’individu lambda bien assis, chacun de sa conne de chapelle hochait du chef d'un air entendu. En ce temps-là, l'arme principale était la gomme.

 

Les zagazines, la performance, le suspense et la peur avalaient tout. Moulinant laborieusement des deux bras et des deux pieds, les historiens un peu gênés justifiaient notre disparition annoncée à travers les phases et caractères désespérément naturels de notre condition humaine et universelle. Tandis que, vachement déprimés mais dans le louable objectif de ne pas penser qu'ils étaient tout aussi vulnérables que leurs voisins des bas quartiers, les tenanciers planétaires et les grands intellectuels ironisaient en grimaçant au motif que l'homme se mordait la queue tout seul. Et comme au premier jour, les mères, enfin la plupart d'entre elles, pleuraient pour les enfants.

 

En ce temps-là les vrais tatoués se foutaient complètement de leurs vrais tatouages dont la signification originelle leur échappait désormais totalement. En ce temps-là, le temps était un steak haché surgelé périmé, tandis que ma raison vacillait sur sa tige et que je souffrais moi-aussi pour mon fils. Oui, en ce temps-là, le temps était une caricature et un futur cadavre.

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Ancolies

02-09-2012

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Harcèlement pixels appartient au recueil La vie des médias

 

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