Comme toi - Texte court

 Comme toi

gérome Jean-Léon (1824 - 1904)  -  Omphale

Comme toi je travaille la vie.

Comme toi je ne sais trop comment m'y prendre.

Cela me fait penser à la jeune mère que j’ai été, 

sans expérience, face à mon nouveau-né.

Comme toi je confie à mes sens la complexe tâche de débroussailler.

Comme toi j'ai peur de la peur des autres.

Comme toi je travaille l'espace, la matière, le mot, la lettre.

Les couleurs que je fluidifie pour les inviter à épouser une forme qui rayonne.

Comme toi je confie au contenu un rôle d'ambassade.

Il a pour charge de nous représenter aux yeux de ceux qui savent écouter

pour leur faire sentir notre démarche, 

merveilleuse plate-forme de notre embase philosophique. 

Les écrits doivent leur dire que rien de ce qui est humain n'est vain. 

Que nous sommes présents dans le maillon de notre histoire, vigilants et déterminés, obstinés à n'être autre chose que des inconditionnels de l'incompressible

et incontournable respect de l'éternel vecteur de vie.

Dans ce monde qui se meurt d'indigestion ou de totale pauvreté

où tout doit être marchandises

où la multitude impose sa fade légitimité

où le long terme est morcelé par les soifs de pouvoir temporel

où le bonheur doit être évaluable et quantifié

où le destin est un rival

où la mort est un mensonge par omission

où la vie est un emballage qui se jette.

Dans ce monde qui se meurt de désillusion

Toi et Moi, ne jetons pas trop vite l'éponge.

Encrons, peu à peu, dans la mémoire du quotidien

la saveur de la cristalline conscience

 elle germera tôt ou tard, le moment venu.

L'humain n'avance que par touches

par petits sauts

par tâtonnements

par ricochets

par allers et retours

Il ne pense à se protéger de la pluie 

qu'après une violente bourrasque

puis il oublie vite

dès qu'il fait beau.

Indiscutablement une nouvelle ère est proche. 

Des milliers d'années d'Histoire nous ont préparés 

à la naissance d'un homme nouveau. 

Aujourd'hui encore

nous entendons les grognements de la bête usée

qui ne veut pas mourir et qui s'accroche à ce qu'elle est.

La longue agonie d'un vieil arbre chargé d'un long passé,

lourd et noueux au feuillage clairsemé

n'est jamais un réjouissant spectacle, 

mais nous sommes impuissants face à cela. 

Nous ne pouvons, faute de mieux, 

que favoriser l'arrivée d'une jeune pousse 

qui pour un temps prendra sa place.

Les yeux de la science ne voient que le vide glacial et le désespoir de l'infini, 

dans un univers aux frontières opaques. 

Ces yeux là nous disent

que la solitude est pour les Hommes la fin de leur long voyage.

Mais

Les yeux du cœur nous disent que le destin nous accompagne

que le temps n'est pas le temps

que vide n'est pas vide

que l'amour comble les espaces

que la vie est un règne.

Ils nous disent d'apprendre à être des Seigneurs.

D'apprendre à savourer notre ignorance comme on savoure une tendre jeunesse. Apprendre à nous servir du visible comme passerelle vers le merveilleux

étape vers la plénitude. 

Apprendre à aimer le temps unique support de l'espérance.

Apprendre à effacer la ligne d'horizon marque avant la limite.

Apprendre à faire de notre corps le palais d'une limpide conscience. 

Apprendre à être la vie bien plus qu'à être une vie.

Il y peu d'espoir pour que le proche avenir apaise l'esprit 

de tant et tant d'humains en quête d'eux même. 

Il y a peu d'espoir de voir la sérénité prendre la place de la haine 

engendrée par l'éblouissement des miroirs que sont les autres. 

Il y a peu d'espoir d'achever l’œuvre de paix

trop souvent repoussée vers le lointain.

L'homme qui atteindra la sagesse n'est pas encore des nôtres

mais nous sommes peut-être ceux qui doivent se préparer 

pour être le moment venu

hors d'atteinte de la tourmente

afin qu’un lendemain puisse être.

Que vive l’art

Porte lampion de notre âme.

Illustration : Ch. Guerry

Texte : Ca. Valmalette

17-11-2016