Connexion : supprimer Ou

Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

Venez publier un scénario ou pièce de théâtre ! / Protéger un scénario ou pièce de théâtre

Page : Lire Précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Lire la suite

ACTE II

 

Le deuxième acte se joue dans le même décor ; on a juste accroché un grand miroir sur le mur, du côté droit de la scène.

Arlette et Michel Bour continuent de vivre chacun de son côté. La procédure de divorce par consentement mutuel attend toujours l’accord des intéressés.

Entre-temps, Arlette se laisse aller au libertinage ; Michel, lui, n’arrive pas à surmonter l’épreuve de la séparation.

Quant à Jean Ricot, le sort semble lui être favorable. Son duo avec Arlette au cabaret est un succès. Ils rêvent maintenant de monter un spectacle dans un petit théâtre parisien.

 

 

SCENE I

 

BOUR, seul.

 

Il s'arrête devant la glace, regarde son visage fatigué.

 

BOUR – (comme en écho aux paroles d’Arlette) – « Si tu veux, tu peux encore gagner, Michel. » (L’air rêveur) Arlette croit en moi ; et quand elle croit, je crois aussi. Avec elle, rien n’est impossible ! (Il jette un dernier coup d’œil dans la glace) Avant tout, il faut que je soigne mon apparence ; et aussi, de toute urgence, je dois établir mon plan de campagne.

(Il revient au milieu de la scène et se tourne vers la salle, en orateur qui s’apprête à prononcer un discours.) Chers concitoyens, mes amis, nous bâtirons ensemble l’avenir de notre ville ! Nous nous y sentirons plus heureux que nulle part ailleurs, nous en serons si fiers que nous ne voudrons plus la quitter ; et le monde, frappé par notre sens de la démocratie, par notre esprit novateur, le monde nous montrera en exemple.

 

SCENE II

 

BOUR, LE FACTEUR

 

Le facteur pénètre sur la scène par la porte du fond, impeccable dans sa tenue, la casquette vissée sur la tête, une cravate jaune ressortant sur la chemise bleue ; il porte la sacoche en bandoulière.

 

LE FACTEUR – Veuillez m’excuser, Monsieur. Je ne voudrais surtout pas vous déranger.

BOUR (se retournant vers le facteur) – Vous revoilà, facteur ! Alors, les nouvelles ? Le nom sur le bouquet de roses... vous vous en souvenez ?

LE FACTEUR – Il ne m’est pas revenu tout de suite, comme je m’y attendais. J’ai parcouru l’almanach du facteur, j’ai épluché l’annuaire de tous les départements de l’Ile de France et rien, rien ! Ce n’est pas un nom courant, vous savez, il n'y’a pas d'autre pareil dans le pays. Et puis, il y a un instant, j’arrive devant cette maison et c’est le déclic ! Tout à coup, j’ai eu l’impression que ce nom s’inscrivait sur mon front en lettres de feu.

BOUR (baissant la tête pour regarder le front du facteur) Sous la visière de votre casquette, je ne distingue que les arcades sourcières et quelques rides bien marquées à l’endroit où votre peau se plisse. N’importe. Ce nom n’a plus tellement d’intérêt. Le bouquet que vous avez vu n’était qu’un élégant hommage d’un gentleman à l’adresse de mon épouse. Vous comprenez ?

LE FACTEUR – Et ma mutation, monsieur ? J’aurais quand même ma mutation ? J’ai dit à ma mère qu’un Monsieur haut placé allait me ramener au foyer.

BOUR – J’ai mis le train en marche ; vous n’aurez bientôt qu’à sauter dedans.

LE FACTEUR – C’est un TGV ou un omnibus, le train que vous avez mis en marche ?

BOUR – Le nombre de postes vacants est plutôt limité dans votre coin, là-bas. Il faut attendre qu’une place se libère, cela prendra un certain temps.

LE FACTEUR – Je comprends ;  mon train pour le Pays basque, c’est un omnibus dans une voie de garage. J’aurais encore des colis à apporter à votre dame. Aujourd’hui, c’était un joli paquet de chez Hermès.

BOUR – Normalement, ce devrait être un colis de chez Dior, que j'ai commandé hier !

LE FACTEUR – Eh bien ! elle en a reçu un de chez Hermès. Le Dior, ce sera pour demain... peut-être !

BOUR – Et le nom de l’envoyeur ? C’était écrit dessus ?

LE FACTEUR – Bien sûr, en lettres d’or. Il habite à trois rues d’ici, votre gentleman ; je passerai chez lui tout à l'heure.

BOUR – Vous le connaissez, vous l’avez déjà vu ?

LE FACTEUR – Qui ne le connaît pas ? C’est un homme riche, beau, cultivé, élégant.

BOUR (faisant un effort sur soi-même) – Allez, jeune homme, dites-moi son nom.

LE FACTEUR – Et ma mutation, monsieur ? Je veux un TGV pour rentrer chez moi.

BOUR – Votre mutation ne dépend pas que de moi. Vous comprenez cela ? Je ne peux que faire jouer mon influence pour qu’elle intervienne au plus vite.

LE FACTEUR – Je dois donc me contenter de vagues promesses, hein ? Le vent emporte une graine qui tombe, on ne sait pas où, peut-être sur un rocher. Germera ou ne germera pas... Je veux du concret, monsieur, du concret.

BOUR – Je vous donnerai de l’argent ; combien en voulez-vous ?

LE FACTEUR – Là, vous essayez de me soudoyer. Je suis un agent de l’État, j’ai prêté serment.

BOUR – Vous n’avez pas violé le secret de la correspondance que vous distribuez. Le nom qui était écrit sur le colis, n’importe qui pouvait le voir.

LE FACTEUR – Hum ! ça commence toujours de la même manière. Quand je vous aurai dit le nom, vous voudrez en savoir plus, toujours plus.

BOUR (sortant son portefeuille) – Allons, cinq cents euros ; ça vous va cinq cents euros ?

LE FACTEUR – Et pour des chuchotements d’alcôve, vous me donneriez combien ?

BOUR – Parce que vous... vous auriez entendu ?...

LE FACTEUR – Vous ne voyez pas ? Regardez. J’ai l’oreille large et l’ouï très fine.

Perdant les pédales, Bour se rapproche du facteur, rembruni, menaçant, et il saisit le col de sa veste.

BOUR – Espèce de salaud ! Tu n’en sais rien, tu mens, tu essaies de m’extorquer de l’argent !

(le facteur essaie de se dégager) Ta mutation, tu la veux, ta mutation ? Je vais plutôt te faire révoquer !

LE FACTEUR – Lâchez-moi, monsieur ! Sinon, vous le regretterez toute votre vie. (Bour le relâche) Vous avez peur de savoir la vérité. Voilà pourquoi vous vous mettez en colère. Je m’en vais ; consultez une voyante, si vous voulez savoir le nom de... du gentleman.

BOUR – Attends. Venge-toi, dis-moi la vérité. Tu verras la peur que ça me fait.

LE FACTEUR – Mille euros pour le nom, ça vaut bien mille euros. Le reste, on verra plus tard. Parce qu’il y a autre chose, figurez-vous ?

BOUR (sortant de son portefeuille une liasse de billets)Il y a autre chose, avez-vous dit à l’instant. De quoi s’agit-il ?

LE FACTEUR (après avoir fourré l’argent dans la poche de son pantalon) L’autre chose... il s’agit du  tableau de maître dont votre mère vous a fait don. Autrement dit, une de ces transactions que le fisc regarde d’un mauvais œil.

BOUR – Qu’est-ce que vous me chantez là ? Et puis, comment savez-vous que ma mère ? ...

LE FACTEUR – Quelques phrases saisies au vol au détour d’un couloir. Je ne vous en dirai pas plus. Mais si vous contrariez madame, alors ma langue pourrait bien se délier. (Il sort l’argent de sa poche) Reprenez votre fric, mon uniforme n’est pas à vendre. Revenant au gentleman, il s’appelle Cholis, maître Cholis.

D’abord surpris, décontenancé, Bour se ressaisit donnant libre cours à sa colère.

BOUR – Ah, ce fumier de Cholis ! Il me vole mon argent, et, en plus, il drague ma femme. Et il veut aussi mon fauteuil à la mairie. Traître ! Bandit ! Je t’anéantirai, sale fricoteur!

 

Le facteur se presse de quitter la scène par la porte du fond ; Bour prend la porte latérale.

SCENE III

 

ARLETTE, RICOT

Arlette rentre par la porte du fond et s’approche du miroir. Elle examine son visage, caresse du bout des doigts les rides qui s’annoncent ; puis, elle tâte la peau du cou, qui devient chaque jour plus flasque.

Ricot pénètre sur la scène par la porte latérale ; il tient à la main une serviette épaisse qu’il vide sur le divan. Arlette se rapproche de lui.

RICOT – Voici les numéros de la « Gazette » que j’ai pu réunir. Michel est leur cible favorite. Semaine après semaine, ils sapent sa réputation, ternissant son image auprès des électeurs.

ARLETTE – Michel a toujours été la bête noire de ces pisse-copies de bas étage.

RICOT – A ce qu’il paraît, Michel ne proteste même pas, se réfugiant dans un silence coupable. Ses ennemis disent qu’il partage sa vie entre le bistrot et le bordel. Ils n’hésitent pas à faire l’apologie de l’homme qu’il a été pour mieux souligner la dégradation où il s’abîme.

ARLETTE – Je hais cette clique qui profite des blessures intimes d’un homme pour le démolir. (Elle choisit un exemplaire au hasard, jette un coup d’œil aux pages centrales) Hier encore, Michel ironisait sur les cancans du « Canard Illettré», c’est ainsi qu’il appelle ces feuillets noircis de mensonges, et il traitait les gens qui le publient de clabaudeurs minables.

RICOT – Les sondages les plus optimistes ne créditent Michel que de 10% des intentions de vote.

ARLETTE – Ce n’est pas mal, vu qu’il ne fait pas campagne.

RICOT – Au sein du parti, sa cote est tombée au plus bas, son évincement comme candidat à la mairie est plus que probable. Michel est un homme fini, Arlette.

ARLETTE – Le chagrin le ronge de l’intérieur, la dépression le pousse sur les rives de la déchéance physique et morale.

RICOT – C’est le bon moment pour relancer la procédure de divorce. Je suis persuadé qu’il est prêt à accepter toutes tes exigences.

ARLETTE – Si l’ardeur de l’amour galvanisait son cœur, il serait encore capable de retourner la situation à son profit.

RICOT – Toi seule pourrais réussir ce tour de force. Mais ne t’y aventure pas avant de réfléchir aux conséquences qui en découleraient.

ARLETTE – Pourvu que j’y trouve un sens à ma vie.

RICOT – Es-tu prête à sacrifier ta liberté pour un fauteuil dans lequel tu n’auras point le droit de t’asseoir ? Tu te retrouverais enfermé dans le petit jardin grillagé du mariage. On épierait tes mots, on suivrait tes pas ; et, au moindre écart, on tisserait des intrigues, on crierait au scandale.

ARLETTE – Je rêvais d’être libre, libre comme un papillon, voletant d’une fleur à l’autre.

RICOT – Prêt à brûler ses ailes sous le soleil du désir.

ARLETTE – Je ne voulais surtout pas avoir des comptes à rendre à qui que ce soit. Je ferais fi des convenances ; je jetterais la boue du scandale à la tête des gens bien-pensants ; jamais je ne cacherais mes excès sous le masque de la bienséance.

RICOT – Tu serais vite rejetée, honnie de tous, comme une pestiférée.

ARLETTE – L’amour, je le voulais sans mélange, spontané, généreux comme l’eau jaillissant des entrailles de la terre.

RICOT – Tu es passée d’un extrême à l’autre, tes expériences ne pouvaient que te décevoir. Pourquoi ne chercherais-tu pas le juste milieu, aux frontières de l’amour et de la liberté ?

ARLETTE – J’ai eu des aventures amoureuses avec de beaux étalons. Mais est-ce là l’amour ?  Au bout de quelque temps, ils s’en allaient contents de m’avoir possédée ; quant à moi, je restais plus seule qu’avant de les connaître.

RICOT – Une solitude que tu cherchais à tromper en te donnant à un autre, qui à son tour s’en allait fier comme un coq, satisfait de sa prouesse ; puis un autre le remplaçait dans un jeu où tu te retrouvais toujours perdante.

ARLETTE – Chaque fois, c’était le même déchirement. Je luttais de toutes mes forces entre l’envie d’être aimée par mon séducteur et l’absolue nécessité de le repousser pour rester libre.

RICOT – L’amour est une cage dorée que la liberté tient sur ses genoux.

ARLETTE – Cruel dilemme ! Ou bien je m’enferme dedans, la porte fermée, ou bien je reste dehors libre comme le vent, mais dépourvue d’affection. Regarde-moi, j’ai quarante ans et je n’ai même pas le bonheur d’être mère.

RICOT – Ce n’est pas trop tard. Ton visage n’est pas encore flétri, il a la beauté d’un fruit bien mûr.

ARLETTE – Que le ver de la solitude ronge de l’intérieur nuit et jour.

RICOT – Tant que je vivrai, tu ne seras pas seule. Je suis libre, le divorce d’avec Claudine a été prononcé hier.

ARLETTE – Et tes enfants, que deviendront-ils ?

RICOT – Ils restent avec leur mère.

ARLETTE – Ce drame, vous l’avez joué devant vos enfants ; ils continueront de le jouer dans leur tête, longtemps après que toi et Claudine aurez oublié vos rôles.

RICOT – Que veux-tu ? Quand je me suis marié, je ne soupçonnais même pas que la vie à deux pouvait devenir un vrai cauchemar.

ARLETTE – J’en sais quelque chose moi-même.

RICOT – Le jour qu’on y ait confronté, on ne trouve qu’une seule issue. Dans mon cas, ce n’était pas seulement une question d’incompatibilité d’humeur. Elle me trompait.

ARLETTE – Ah ! tu aurais peut-être pu avoir la garde des enfants.

RICOT – Par égard pour toi, j’ai renoncé à faire la preuve devant le juge qu’elle était une épouse perfide doublée d’une mère indigne.

ARLETTE – Par égard pour moi ? Je ne comprends pas où tu veux en venir. (Ricot sort de sa poche un papier qu’il tend à Arlette) Mais, c’est l’écriture de Michel !

RICOT – Il a eu l’incroyable imprudence d’écrire ce billet doux, sans doute dans un moment d’égarement. Je t’ai dit l’autre jour que j’avais les moyens de faire pression sur lui. En voilà un. L’autre, c’est une affaire de transactions illicites qui le mettraient aux prises avec la justice.

ARLETTE – Tout compte fait, je ne suis pas fâchée d’apprendre que Michel n’est pas aussi vertueux que je le croyais. A l’avenir, nous pouvons débattre de notre situation sur un pied d’égalité.

Souriante, Arlette quitte la scène par la porte du fond.

 

 

Partager

Partager Facebook

Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

Lire Précédent Lire la suite
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.