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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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SCENE IX

 

ARLETTE, BOUR

 

Au moment où Bour rentre par la porte latérale, Arlette, l’air songeur, se regarde dans le miroir.

 

ARLETTE (sentant la présence de Bour, sans se retourner) – Tu es revenu pour m’étrangler ?

BOUR – Je n’en aurais plus la force. Le chagrin a opéré en moi une transformation en profondeur.

ARLETTE (se retournant pour le regarder) – En bien ou en mal ?

BOUR – J’ai tenu à t’avouer mon comportement honteux, digne du plus méprisable des proxénètes. J’ai agi, je l’avoue, sous l’emprise d’un irrépressible désir de vengeance.

ARLETTE – Je n’ai aucun mal à concevoir que, en mari jaloux, tu aies eu envie de te venger, mais pas de cette façon ignoble, insupportable. J’ai pris des amants, tu as eu des maîtresses, nous étions quittes.

BOUR – J’aurais pu utiliser des moyens classiques pour me venger, le fusil, le couteau, le poison. Seulement, je me serais trouvé devant ton cadavre. Je te voulais vivante, infidèle, mais vivante. Je savais que je pourrais te pardonner ; je crois à la régénération des êtres par la souffrance.

ARLETTE – Telle que tu me vois là, je suis un démenti formel à ta croyance. J’ai beaucoup souffert ces derniers temps. A ton avis, qu’a-t-elle régénéré en moi, la souffrance ? Elle m’a laissé ses marques indélébiles sur la figure, et le cœur plein d’amertume. Voilà tout !

BOUR – Parce que tu souffres encore. Mais l’envie de faire table rase du passé viendra un jour. C’est alors que la transformation et le soulagement se produiront en toi.

ARLETTE – Tu crois qu’on peut se débarrasser de son passé comme d’un manteau qu’on laisse tomber de ses épaules ?

BOUR – Nous nous sommes fait mal réciproquement, et nous en avons souffert. Cette épreuve nous a permis d’apprendre beaucoup de choses sur nous-mêmes. A présent, essayons de prendre un nouveau départ dans la course au bonheur.

ARLETTE – La course au bonheur ! Des mots, rien que des mots. Et que peut-on bâtir sur des mots dépourvus d’un contenu réel, vidés de leur substance au moment même où tu les prononces ? Des mots dont le sens varie au gré de l’humeur et du fonctionnement de tes boyaux ?

BOUR – Tout ou presque dans la vie repose sur les mots : des mots pour aimer ou pour haïr, des mots pour dire qui  on est, des mots pour vieillir, des mots pour mourir… (un temps) La vie,  c’est le bruit des mots en opposition constante avec la mort qui, elle, règne sur le royaume du silence absolu.

ARLETTE – Oh ! les mots me donnent le vertige. Qui dois-je croire ? J’ai appris dans les livres tant de choses que mon expérience vécue remet en cause. Parfois, je ne sais plus où j’en suis.

BOUR – Tu devrais prendre un peu de repos, Arlette. Je te sens déprimée en ce moment. Enfin, je suis venu te dire que je pars en voyage.

ARLETTE – Moi aussi, je pars. Je vais en province peaufiner le talent qui épatera Paris plus tard.

BOUR  – Ah ! je suis bien content de l’apprendre. Voir ton nom en haut de l’affiche, sur la façade d’un grand théâtre, ce serait un immense bonheur pour moi.

ARLETTE – Combien de temps resteras-tu absent ? Il faut que nous parlions très sérieusement.

BOUR – Le divorce, ce sera quand tu voudras. J’ai donné des instructions précises à maître Cholis dans ce sens.

ARLETTE – Je croyais que vous étiez fâchés.

BOUR – Je me suis réconcilié avec lui. Je pars en vacances avec ma fiancée. En attendant de pouvoir convoler en justes noces, nous jouirons par avance d’une lune de miel anticipée.

ARLETTE (d’abord incrédule) – Tu as trouvé une nouvelle maîtresse ? Et il est déjà question de mariage ? (elle commence à prendre la nouvelle au sérieux devant le jeu convaincant de Bour) Qui est l’heureuse élue ?

BOUR – Pour le moment, je préfère ne pas trop dévoiler mon bonheur. Tu sais que je suis un peu superstitieux. Je te présenterai Sophie dès notre retour des Caraïbes.

ARLETTE – Quelle Sophie ? Tu crois pouvoir me mener en bateau, moi ? Non, non, elle ne s’appelle pas Sophie, c’est cette grue de Claudine ; elle t’a envoûté, la salope !

BOUR – Tu devrais penser à tes fredaines avant de lui jeter la pierre.

ARLETTE – J’ai un idéal en amour, moi ! Je brasse des étoiles dans mon giron quand je suis amoureuse.

BOUR – Dans des aventures d’un soir.

ARLETTE – Claudine, tout ce qu’elle cherche c’est l’argent, le confort. (elle attrape un à un les colis empilés et les jettent sur Bour comme des projectiles) Tiens ! c’est pour elle. Ça aussi. Tiens encore ! Pour ta Sophie, tout ça pour ta Sophie !

 

Bour esquive un colis, écarte un autre de la main, mais un troisième heurte sa jambe ; le dernier projectile rate de peu sa figure, et il reste debout, éberlué, au milieu des emballages qui s’étalent à ses pieds, comme les détritus sur la place du marché.

 

SCENE X

 

LES MEMES, RICOT

 

Ricot rentre par la porte du fond et reste ébahi devant la scène jonchée de cartons d’emballages, tessons de bouteilles, deux bijoux reluisant sur un morceau d’étoffe froissée ; le tout dans un amas confus.

 

ARLETTE (s’adressant à Ricot) – Tu vas rester là, figé comme une sauce ratée ?

Bour se dégage du tas de détritus, Ricot s’en approche.

RICOT – (sous le regard du couple déchiré) – Voilà une scène de ménage menée avec éclat, comme je les aime. (tendant les bras ouverts comme pour embrasser l'amas de déchets ) Les dégâts sont tout simplement somptueux. Un foulard en soie de Chine, une écharpe de cachemire, un miroir d’argent, des bouteilles du meilleur parfum... Ah ! quel gâchis, quel désordre ne peux-tu engendrer, jalousie ! Aucune poubelle n’est assez bien faite pour recueillir le faste de tes ordures !

ARLETTE (à Ricot) – Quand tu auras terminé l’éloge de la mésentente conjugale, tu penseras à me dire le résultat de tes démarches.

RICOT – Bien entendu. Mais, je te préviens, les nouvelles ne sont guère rassurantes. Au contraire, il se passe quelque chose d’étrange qui m’intrigue et m’inquiète. (il se tourne vers Bour, lui jette un regard significatif) Une main invisible, qui pourrait bien être celle d’une providence intéressée, se plaît à arrondir nos fins de mois. Et peut-être, à notre insu, manipule-t-elle un tas d’autres choses.

ARLETTE (ébauchant un geste d’impatience) – Venons-en aux faits. Qu’est-ce que tu as appris de si effrayant ?

RICOT – Je n’ai trouvé aucune trace du producteur lyonnais. Le numéro de téléphone qu’il m’a donné n’est pas en service actuellement. A l’hôtel où il m’a dit de venir le trouver, on n’a jamais vu le personnage.

ARLETTE – Passons outre cette déconvenue, c’est un moindre mal. Ensuite ?

RICOT – J’ai contacté Jomard, le distributeur de notre chef-d’œuvre. Eh bien ! la cassette ne se vend pas du tout. Personne n’en veut.

ARLETTE – D’où proviennent donc les droits d’auteur que nous avons perçus ?

RICOT – De la poche de quelque mécène original. Quelqu’un qui a intérêt à rester dans l’ombre, pour le moment.

Bour devient nerveux, mal à l’aise.

ARLETTE – Et le  propriétaire ? Tu l’as vu mon propriétaire ?

RICOT – Il n’est pas mort, mais tu es quand même logé gratuitement. Le paiement du loyer est à jour.

ARLETTE – Qui l’a réglé ?

RICOT – Mystère. J’ai réussi à avoir le numéro du compte d’où provient ce secours inattendu, mais je ne connais pas le nom de son titulaire.

ARLETTE (se rapprochant vivement de Ricot)) – Montre-le-moi !  (elle regarde le numéro inscrit sur un bout de papier) Ces chiffres me sont familiers ; je connais notre bienfaiteur qui est aussi généreux que discret. (elle se tourne vers Bour) Pourquoi as-tu fait ça ?

BOUR – J’ai voulu te venir en aide.

ARLETTE – Non, c’est une humiliation de plus que tu as voulu m’infliger. Oh ! tu ne pouvais résister au plaisir de me voir vivre à tes crochets malgré moi. Parce que tu as du fric, tu te crois tout permis.

BOUR – Je te jure, la main sur le cœur, que je n’avais qu’un seul but : t’éviter les soucis d’argent pour que tu puisses préparer ton spectacle.

ARLETTE – Et tu me fais croire que je vis sur mes droits d’auteur ? Je maudis le jour où je t’ai rencontré. Tu me fais du mal, tu m’as encore fait du mal, tu me feras toujours du mal.

BOUR – Et pourtant, c’est ton bien que j’ai toujours cherché.

ARLETTE – Comme c’est émouvant ! Ton cœur vibre littéralement dans tes paroles. M’avoir dans ta dépendance te grise comme un alcool. Tu n’en démords pas ! Dans ta grosse tête, tu t’es fourré une bonne fois pour toutes que je ne peux pas vivre sans toi.

BOUR – Loin de moi cette prétention. Ton talent suffit à te aire vivre dignement.

ARLETTE (se tournant vers Ricot)  Ecoutons l’oracle, religieusement. Il s’agit de mon destin de star.

BOUR – Les meilleurs cabarets de Paris sont prêts à s’assurer ta collaboration... et celle de Jean, bien entendu. D’ailleurs, tu ne tarderas pas à recevoir des propositions dans ce sens.

RICOT – Mmm ! la voyance devient intéressante. C’est combien pour connaître la suite, vénérable mage ?

BOUR – Pour vous, j’ai fait l’imprésario bénévole.

ARLETTE – Nous ne t’avons rien demandé, tu n’as pas à te mêler de nos affaires.

BOUR – Rassure-toi, je n’ai pris aucun engagement. J’ai fait visionner votre cassette par des connaisseurs en la matière. Ils ont été unanimes : vos noms ne resteront pas longtemps dans l’anonymat.

ARLETTE – Jean, à ton avis ?

RICOT– Ma foi, je crois qu’il dit vrai ! D’ailleurs, nous avons le moyen de vérifier ses affirmations. Il nous suffit d’appeler les cabarets.

ARLETTE – Tout bien pesé, ton initiative me semble plutôt utile. Je n’ai pas l’intention de retourner au cabaret. Par contre, la bonne impression que la cassette a produite stimule mon envie de monter le spectacle.

RICOT – Le fait qu’on ait apprécié la qualité de nos sketches n’apporte pas de solution aux problèmes d’organisation que nous rencontrons.

ARLETTE – Si Michel devient maire de notre ville, il nous ouvrira le théâtre municipal. N’ai-je pas raison, mon ami ?

RICOT – Je crains que ce ne soit trop tard pour tenter le coup. Maître Cholis devrait être incessamment sous peu désigné candidat officiel du parti.

ARLETTE – Je déteste ce prétentieux qui croit posséder tous les talents du monde. Si Michel le veut, il peut tous les battre. Il y a des influences décisives en politique. Le maire sortant, lui-même, nous apportera son soutien, j’en suis sûre.  Qu’est-ce que tu en penses, Michel ?

BOUR –  La partie me semble jouable, à certaines conditions, toutefois.

ARLETTE –  Lesquelles ?

BOUR – Le succès est à notre portée, mais pour y parvenir, il faudra que tu t’engages à fond dans la campagne.

ARLETTE –C’est-à-dire ?

BOUR – Qu’on te voie à mes côtés dans les meetings, ce sera très positif pour mon image, mais ça ne suffira pas. Nous devons reprendre la vie commune, nous devons faire croire aux gens que nous avons surmonté nos divisions.

ARLETTE – La réconciliation jouerait en notre faveur, c’est indéniable. J’avoue que je n’avais pas prévu cette difficulté.

RICOT – Disons une réconciliation de façade, le temps d’une campagne.

ARLETTE – Il convient que nous habitions sous le même toit. D’accord. Mais nous ferons chambre à part.

BOUR – La réconciliation ne sera crédible que si nous donnons à tous ceux qui nous observent, y compris les rédacteurs de « La Gazette », l’image d’un couple retrouvé, uni, heureux.

ARLETTE – Nous jouerons donc le couple qui file le parfait amour.

BOUR – Je crains que ce ne soit pas très convaincant, si le plaisir charnel ne réconforte pas nos cœurs.

RICOT (devant le consentement tacite d’Arlette) Je te sens prête à te laisser prendre à nouveau dans ses filets, Arlette.

ARLETTE – Seulement le temps d’une campagne. Je veux que Michel devienne maire de notre ville.

RICOT – Non pas pour avoir le théâtre, mais pour te sentir fière d’être son épouse. Il ne me reste plus qu’à reprendre ma place de fonctionnaire.

BOUR – Jean, reste avec nous. Tu es le meilleur directeur campagne que je peux trouver.

RICOT – Non, il n’en est pas question. Comment pourrais-je contribuer à la réussite d’un homme qui s’apprête à briser mes plus beaux rêves ? Tu écrases sans remords tous ceux qui t’empêchent d’arriver à tes fins. Tout compte fait, tu n’es qu’un politicard minable, doublé d’un citoyen malhonnête. Tu ne seras jamais maire de cette ville, je t’en empêcherai

ARLETTE – Jean, rien n’est perdu. Sois raisonnable. Calme-toi ! Tu ne veux pas être près de moi comme au bon vieux temps ?

RICOT – Ecarte-toi, Arlette ! (il sort de la poche un pistolet qu’il pointe sur Bour) Tu ne te moqueras plus de moi !

BOUR (tendant les bras comme pour empêcher l’issue fatale) – Jean, arrête !

Ricot tire un seul coup de feu ; Bour s’effondre.

ARLETTE (s’agenouillant près de son mari) Michel, mon chéri, j’ai besoin de toi ! Oh, mon Dieu, je l’aimais si fort ! (levant les yeux sur Ricot) Es-tu devenu fou, malheureux ?

RICOT – Tu dois être une femme libre ; tu es née pour vivre libre ! En plus, désormais, tu es riche, ce qui, contrairement à l’amour, n’est pas du tout incompatible avec la liberté.

Il jette le pistolet loin de lui. Entre-temps, Bour relève la tête, puis se met sur son seyant, sous le regard ahuri d’Arlette.

BOUR (comme sortant d’un mauvais rêve) – Que s’est-il passé ? J’ai entendu un coup de feu, puis plus rien.

RICOT – Regardez-moi ce froussard ridicule ! La balle n’a pas voulu de lui, mais il a failli mourir de peur.

ARLETTE (visiblement désappointée) – Mais il n’est pas mort ! (s’adressant à Ricot) Tu l’as raté, presque à bout portant. Ce n’est pas possible, tu l’as fait exprès ?

RICOT– Me croyais-tu un assassin ? J’aurais perdu ma liberté et l’espoir de ton amour par la même occasion, tandis que toi, plus libre que jamais, tu aurais raflé au passage la fortune de la victime.

ARLETTE – Je t’aurais trouvé le meilleur avocat de France.

RICOT – Aucun ne prendrait sur lui le remords qui m’empêcherait de dormir.

ARLETTE – Et puis, cela m’aurait fait plaisir d’aller te voir en prison. Je t’amènerais des paniers bien garnis.

RICOT (avec ironie) – Arrête ! Je finirais par regretter d’avoir raté ma cible.

BOUR – (s’adressant à Arlette)  Et tu passerais volontiers me rendre visite au cimetière ? Encore que... je n’en suis pas sûr. Peut-être n’y viendrais-tu même pas, puisque  je n’aurais plus rien à te donner.

Ricot et Arlette se regardent, résignés, et ils haussent les épaules.

ARLETTE– Eh bien, tant pis ! Nous retournons au cabaret. Maintenant, nous n’avons plus le choix.

RICOT – Oh, ne perdons pas espoir ! Mon nouveau sketch s’intitulera : « Con et Cocu à la Fois. » Le succès sera immédiat, foudroyant.

BOUR – Ah !... Tout un programme. Restez donc ensemble. Les feux de la rampe ont brûlé beaucoup de papillons comme vous.

 

Arlette sort par la porte du fond suivie par Ricot. Bour prend la porte latérale.

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Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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